Pauvre Richard !

Quand LE tsunami nous a fait basculer du numérique à l’argentique... « On a tous rêvé de gagner un jour à la loterie, mais quand on vit dans une cité, gagner dix mille ans de Smic ne vous facilite pas forcément la vie » Bien que les numéros gagnants soient dans le film, je vous donne ma propre combinaison : 2-5-11-13-30 et le 8 en numéro chance.

Pauvre Richard !, de Malik Chibane, est produit par Nadia Hasnaoui pour Alhambra Films, tourné en juin juillet 2011.
Quand je suis arrivé sur ce projet, le tournage de ce long métrage était prévu en numérique. Deux caméras F35 de Sony étaient donc réservées chez Transpacam, mais le tsunami du 11 mars 2011, en détruisant l’usine Sony de Sendai, a créé une pénurie de cassettes HDCAM SR qui durera plusieurs mois. Impossible de trouver des cassettes neuves pour notre tournage. Et, à l’époque, il n’y a plus de caméra Arri Alexa de disponible.
Malik Chibane nous propose alors de tourner en pellicule, ce malgré le surcoût que cela pouvait engendrer. Je pense que c’est un choix cohérent pour ce film tourné l’été, essentiellement en extérieurs jour.

Pauvre Richard ! est une comédie tirée d’une bande dessinée éponyme et Malik a souhaité obtenir une image pétillante, lumineuse, bien saturée en couleur, beaucoup d’éléments de décor étaient stylisés et nous avons fait tous les trucages à la prise de vues (séquence palais des glaces chez Conforama), etc.
Pauvre Richard ! a été tourné presque exclusivement dans le département du Val d’Oise (c’est d’ailleurs anecdotiquement le millième tournage dans ce département depuis 1901) avec une grande partie à Montmorency comme si nous avions tourné en studio ce qui confère une bonne cohérence des lieux au film.
Nous avons eu un petit temps de tournage, mais sans heures supplémentaires, Malik mettant un point d’honneur à ne pas dépasser ; il avait effectué un gros travail sur le casting et beaucoup de répétitions avec les comédiens et, la plupart du temps, deux prises suffisaient.

Malik adore le Scope et, quand j’ai visionné Voisins voisines, un de ses précédents films, j’avais tout de suite noté qu’il maîtrisait bien ce format ; il aime par moments ne pas trop découper et laisse à ses comédiens la liberté remplir l’image. Le Scope est son format idéal, mais il souhaite également de la profondeur de champ. Le choix du 2 perfs a été une bonne solution pour concilier les deux.
Le film a été tourné à deux caméras la majorité du temps, j’en cadrais une, nous avions une Arricam LT et une Aaton Penelope en 2 perfs. Les magasins de 120 mètres nous offraient une autonomie suffisante de 8 minutes.

J’attache beaucoup d’importance à la qualité des optiques pour travailler en 2 perfs et j’ai eu la chance d’utiliser pour la première fois une série Cooke 5 i T1,4. J’ai vraiment adoré travailler avec cette série d’objectifs même si je n’ai pas eu l’occasion de les utiliser souvent à pleine ouverture ; je leur trouve un très bon rendu des peaux, une excellente géométrie, une absence de pompage et, c’est très subjectif, une qualité dans le flou. La série 4S de Cooke ne m’avait pas autant impressionné.

Le choix de la pellicule : 5213 (200T) et 5230 (500T) chez Kodak.
La 5230, une émulsion 500T, était nouvelle à l’époque du tournage et n’avait pas bénéficié d’un gros lancement, la 5230 est plus douce que la 5219 et, après quelques essais, j’avais trouvé que la 13 et la 30 se mariaient parfaitement. J’ai volontairement surexposé les deux émulsions dans le but d’avoir un négatif bien rempli.
Sachant que mon temps d’étalonnage serait court j’ai essayé d’être le plus constant possible au niveau de l’exposition et j’ai utilisé un de mes trucs pour donner le diaph aux assistants je ne dis pas 4 plus un tiers mais 403 ou bien 568 pour 8 moins le quart… Cela peut dérouter au début, mais c’est drôlement précis et il n’y a pas de confusion possible.

Les trois quarts du film se déroulent en extérieur jour et nous avons tourné en juin juillet, je n’ai pas éclairé les extérieurs utilisant uniquement des réflecteurs et des feuilles de polystyrène : un pari risqué mais qui c’est avéré payant pour la rapidité de tournage, pas de groupe sur ce film.
Les conditions atmosphériques n’étaient pas toujours idéales, mais nous sommes passés entre les gouttes et également entre le bruit des avions car nous tournions dans l’axe des pistes de Roissy à Montmorency. J’ai utilisé essentiellement des Kino Flo et des Joker de K5600 pour les intérieurs.

Le laboratoire Arane a assuré tout le traitement argentique et numérique du film, le négatif a été numérisé en 2K sur un Scanner Director de Lasergraphics et étalonné sur une console Rain de Marquise Technologies. J’ai trouvé le scan " rond ", préservant bien le velouté de la pellicule.
Le budget du film était serré, le temps de tournage assez court et celui de l’étalonnage aussi, tout le monde à joué le jeu pour que ce film puisse se tourner en pellicule et la qualité est au rendez-vous sur la copie finale, je voudrais remercier Kodak, Transpacam, Transpalux, Arane et toute mon équipe pour leur soutien et leur professionnalisme.

La pellicule n’a jamais été aussi performante de toute son histoire et son mariage avec l’étalonnage numérique est des plus heureux, accroissant encore sa dynamique. Sur Pauvre Richard !, tourner en 2 perfs à deux caméras nous a permis d’avoir une mise en place très rapide avec une simplicité du matériel caméra ; les retours vidéo n’étaient là que pour le discuter des choix du cadre ; de plus, pour un film en extérieur avec de forts contrastes, le choix du film était cohérent.
Ce tournage s’est déroulé il y a 18 mois en juin 2011, tourner en pellicule était une alternative encore courante à l’époque. Aujourd’hui qu’en est-il avec à peine quinze pour cent des tournages en film en 2012 et l’arrêt programmé de Fujifilm ainsi que les difficultés de Kodak ? J’espère que ce choix restera possible.

Équipe

Directeur de la photo et cadreur : Vincent Jeannot, AFC
Opérateur Steadicam : Fabrice Sebille, puis François Adler
1er assistants opérateur : Ludivine Renard et Piotr Stadnicki
2e assistant opérateur : Claire Dabry
Stagiaire caméra : Victor Chwalczynski

Technique

Pellicules : Kodak 5213 (200T) et 5230 (500T)
Matériel caméra : Transpacam
Matériel éclairage : Transpalux
Laboratoire : Arane-Gulliver
Etalonneur : Eric Moulin