"Philippe Van Leeuw met des idées en images"
Entretien effectué par Frédérique GuiziouLors du 28e Festival européen du Film court de Brest, une rencontre et un atelier étaient organisés avec Philippe Van Leeuw, AFC. Chef opérateur de Claire Simon ou de Laurent Achard et réalisateur engagé d’un film sur le génocide rwandais, il aime les histoires universelles.
Expliquez-nous le fonctionnement du duo réalisateur-chef opérateur sur un film...
Le chef opérateur, c’est la main droite du réalisateur, le relais entre la technique et l’art de la mise en scène : il se charge de mettre des images sur des idées. La tâche peut s’avérer parfois délicate. Je lisais récemment un témoignage de Philippe Rousselot, grand chef op’ français, collaborateur de Patrice Chéreau sur La Reine Margot. Il travaillait, en Louisiane, sur le lac Ponchartrain, qui est traversé par une autoroute, quarante kilomètres en ligne droite au-dessus de l’eau.
Et il se posait ces questions : « De quelle manière filmer ce paysage ? Où mettre la caméra, quel mouvement lui donner, où placer le point de fuite, la ligne d’horizon, quel filtre, quel objectif utiliser ? » Voilà notre métier : on nous montre un lieu, on nous décrit une situation. Et nous, on imagine comment les mettre en images, comment les mettre en lumière, comment les cadrer et comment les personnages vont pouvoir y évoluer...
Vous avez travaillé avec de nombreux metteurs en scène, dont Claire Simon, sur le film Les Bureaux de Dieu (2007), avec Nathalie Baye et Isabelle Carré. Racontez-nous cette expérience...
J’étais très heureux de faire ce film militant. Il parle de choses importantes, comme la contraception et l’interruption de grossesse. Sur la forme, l’opposition entre des actrices très célèbres et des jeunes femmes inconnues m’a beaucoup plu. L’alchimie fonctionnait admirablement. Pour moi, c’était une gageure. Il fallait filmer de longs entretiens sans couper, passer d’une actrice à l’autre, en faisant très attention à elles : Nathalie Baye et Nicole Garcia possèdent des beautés qu’il ne faut surtout pas abîmer...
Un film dont vous êtes particulièrement fier ?
Franck Spadone, de Richard Bean avec Monica Bellucci, un film que personne n’a vu ! Pourtant, on a fait un travail absolument exceptionnel. C’est un film aux partis-pris très rigoureux : pas de mouvements, que des plans fixes, un seul plan par séquence. Il a fallu trouver une chorégraphie très spéciale. Franck Spadone contient 120 plans. Et on ne s’ennuie pas du tout !
En 2008, vous avez réalisé votre premier long métrage, Le Jour où Dieu est parti en voyage, qui raconte le parcours d’une jeune femme tutsi pendant le génocide rwandais de 1994. Pourquoi ce choix ?
À l’époque, j’ai été très secoué par le traitement des médias. En Belgique, on ne parlait que de l’assassinat de dix casques bleus belges alors que des milliers de personnes mouraient au Rwanda. Puis j’ai rencontré des expatriés belges, que l’on avait évacués. Ils m’ont parlé d’une jeune femme, qui s’occupait de leurs enfants. Ne pouvant l’amener avec eux, ils l’avaient cachée dans le faux-plafond de leur maison. Elle n’a pas survécu. Je suis resté sur cette image. J’en ai fait un film, éloquent, qui déroulait le destin, dramatique, de cette jeune femme, jouée par une actrice rwandaise, elle-même témoin du génocide.
Quel genre de cinéma aimez-vous ?
Je viens de travailler comme chef op’ au Liban. J’aime leur cinéma encore frémissant, où l’on rencontre des gens très enthousiastes, malgré le filtre imposé par la guerre. Leurs films parlent de leurs racines et de leur avenir. Je cherche à comprendre, par le cinéma, des situations que je n’ai jamais vécues.
C’est pourquoi je monte un projet personnel qui parlera de la Syrie, des civils, de leurs conditions de vie aujourd’hui. Je suis fasciné par le cinéma oriental, coréen ou malais. J’aime les histoires simples, au message universel. Placées dans un contexte différent, elles nous enrichissent.
(Propos recueillis par Frédérique Guiziou, Ouest France, jeudi 14 novembre 2013)