Pierre Milon, AFC, revient sur le tournage en pleine mer de “Flo", de Géraldine Danon

Par Brigitte Barbier, pour l’AFC

Géraldine Danon signe la réalisation de son premier film avec un biopic rendant hommage à la navigatrice Florence Arthaud. Elle fait appel à Pierre Milon, AFC, pour mettre en image ce film aux décors magnifiques, dont le plus magique : la pleine mer. Pierre Milon rend de son côté hommage à cette beauté en signant une lumière et un cadre naturellement puissants, comme les flots affrontés par la navigatrice… Le film est projeté au Cinéma de la Plage au Festival de Cannes 2023, un bel hommage aussi puisque la sépulture de Florence Arthaud se trouve sur l’île Sainte -Marguerite, juste en face de la Croisette… (BB)

Flo, c’est l’histoire de Florence Arthaud qui fut avant tout une grande navigatrice. Son palmarès exceptionnel, et unique dans cet univers masculin, connut son apogée avec sa victoire de la Route du Rhum en 1990. Au-delà de ces exploits, Flo raconte l’incroyable destin d’une femme farouchement libre qui, après un accident de la route ayant failli lui coûter la vie, décide de rejeter son milieu bourgeois et la vie qui lui avait été tracée, pour vivre pleinement ses rêves.

L’identité visuelle de Flo
Pierre Milon : Ce fut difficile d’anticiper le style d’image que l’on allait pouvoir obtenir. Nous avions beaucoup d’inconnus avec le tournage en mer et sur le bateau.
L’identité visuelle s’est construite au fil du tournage, mais elle existait déjà fortement avec les décors, les costumes, le vieillissement des comédiens et une direction artistique qui créaient déjà tout un univers. Je ne voulais pas que l’image surligne l’époque du film qui se déroule sur plusieurs décennies, des années 1970 aux années 2000.

Les choix techniques peuvent être assez simples.
PM : Le plus difficile pour un tournage en grande partie en mer ce sont les choix techniques. Je pensais que ça allait être compliqué concernant la machinerie pour stabiliser l’image. J’ai réfléchi à pas mal de solutions et je me suis aperçu qu’en travaillant à l’épaule c’était le plus simple et le plus efficace. Cela me permettait de retranscrire au mieux les mouvements du bateau. Cela me donnait aussi une grande souplesse pour changer d’axe, faire des plans très différents, tout cela très rapidement car le temps en mer était compté.

Géraldine Danon et Pierre Milon (de dos) - Photo Lucien Balibar
Géraldine Danon et Pierre Milon (de dos)
Photo Lucien Balibar


En revanche pour filmer le trimaran depuis un bateau suiveur, j’avais besoin d’une vraie stabilité de l’image. J’ai utilisé un Ronin II sur lequel la caméra était suspendue avec un Black Arm, ce qui permettait de compenser tous les mouvements de la mer et d’avoir de mouvements très fluides.

Un filtre devant les optiques.
PM : Pour l’Alexa LF, donc grand capteur, j’ai pris les optiques Arri Signature. Mais j’avais l’envie de casser un peu la définition et la précision de cet ensemble caméra/optiques. J’ai diffusé en permanence avec des Soft FX. On sent particulièrement la diffusion sur les hautes lumières, et surtout sur les forts reflets de la mer. C’est peut-être sur cet aspect là que l’image évoque le plus les années 1980-90.

Quand le grand capteur fait bon ménage avec les courtes focales.
PM : Je n’avais pas vraiment tourné avec un grand capteur auparavant et j’ai découvert qu’en courtes focales - que j’ai pas mal utilisées sur les bateaux, surtout dans les cabines -, on ne sent pas "l’effet courte focale" contrairement à leur rendu avec des capteurs classiques. La perception de l’espace est plus juste avec ces optiques. Il y a aussi un beau dégradé de flou, même si je ne tenais pas particulièrement à la profondeur de champ réduite, au contraire, en mer ça vaut le coup d’avoir de la profondeur de champ. Une sensation de flou est là malgré tout et c’est juste la bonne dose !

Un bon système pour les top shot.
PM : Pour celui de la scène de liesse à l’arrivée de la course du rhum, Florence Arthaud est portée par la foule comme une rock star. La caméra est au-dessus d’elle et on la suit pendant un moment. Le Ronin était suspendu à une sorte de portique fait avec des barres de machinerie : deux barres verticales portées par les machinistes, et une autre horizontale sur laquelle est accrochée la caméra. Je cadrais à distance avec le système de joystick pendant que les deux machinistes suivaient le mouvement de la comédienne flottant presque au-dessus des gens. J’ai pu utiliser ce même système à d’autres moments du film notamment en fixant une barre entre deux cocotiers, me permettant de faire des top shot avec peu de déploiements techniques.

Une scène très complexe à gérer.
PM : C’est une scène vers la fin du film où Florence Arthaud (Stéphane Caillard) tombe du bateau en pleine nuit et en pleine mer. Elle porte une lampe frontale, seule source de lumière justifiée. Mais comment éclairer un bateau de nuit sur la mer. Nous devions tourner sur le pont du monocoque, faire des plans larges depuis un autre bateau et être dans l’eau avec la comédienne, tout ça en pleine mer !

Bateau effet lune - Photo Lucien Balibar
Bateau effet lune
Photo Lucien Balibar


Nous avons loué les services d’un énorme bateau qui pose habituellement des câbles au fond de la mer, équipé d’un système de géolocalisation très précis et qui peut ainsi garder un point fixe au millimètre près pendant très longtemps. Mon idée était la suivante : installer une grosse source sur ce bateau pour créer un effet lune. J’étais sûr d’avoir cette source stable que je pouvais placer où je voulais, un peu comme une nacelle sur terre. Sur un puissant catamaran à moteur j’ai disposé une grosse boule chinoise pour faire une face. Ainsi on positionnait le gros bateau effet lune et le catamaran suiveur par rapport à notre voilier sur lequel on tournait, et on tournait.
A priori c’était simple !

Bateau effet lune, face - Photo Lucien Balibar
Bateau effet lune, face
Photo Lucien Balibar


Mais c’était sans compter avec la dérive qui était là tout le temps. Cela devenait très compliqué de garder les directions de lumières ! Notre voilier dérivait, le bateau avec la boule chinoise aussi et parfois on se rapprochait dangereusement de l’énorme bateau effet lune.
Une fois dans l’eau avec la comédienne, tout dérivait aussi. La cadreuse spécialisée en plongée luttait pour garder le bon axe et la bonne distance avec la comédienne.
Le bateau effet lune n’avait pas la possibilité de se déplacer rapidement. D’ailleurs, comme les marins travaillant sur ce bateau intervenaient habituellement sur des chantiers, ils ne comprenaient pas pourquoi leur bateau devait bouger toutes les cinq minutes ! Il m’a fallu faire beaucoup de concessions à l’image pour réussir cette scène de nuit en pleine mer !

Quand l’image s’impose.
PM : C’est l’une des scènes de drague entre Florence Arthaud et Olivier de Kersauson. Nous avons tourné dans un restaurant au bord des rochers, face à la mer. C’était un décor très lumineux, et évidemment le plus intéressant était d’être axé vers la mer. On a tourné comme ça, en gardant cette sorte de surexposition naturelle qui donne un aspect un peu pastel à l’image. Et puis à l’étalonnage, on a regardé si en la contrastant on arrivait à un meilleur résultat. Mais la scène fonctionnait moins bien. La manière dont elle avait été tournée était la plus juste. L’image s’est imposée d’elle même avec cette mer très claire, ces vitres partout, au contraste très doux.
Je crois beaucoup aux séquences qui prennent une couleur, une densité au tournage, de manière imprévisible et qui deviennent "le" bon choix.

Pour filmer le bateau depuis l’extérieur.
PM : Nous avons très peu utilisé de drone ou d’hélico. Les seuls plans d’hélicoptère sont tournés en Bretagne dans une mer plus agitée, au moment où, dans la Route du Rhum, Florence passe les Açores et est prise dans la tempête.

Pierre Milon et le machiniste
Pierre Milon et le machiniste


La manière de filmer avec Géraldine Danon.
PM : Pour ce premier film, c’était très important pour elle de voir la scène dans son ensemble, dans son rythme global, elle aimait donc les plans-séquences. On a commencé à tourner de cette manière avec des plans très longs filmés à l‘épaule.
Puis assez vite, à chaque prise, je changeais d’axe à des moments différents de l’action ou je changeais de personnage dans le dialogue. Toutes ces prises ont apporté beaucoup de possibilités de coupes à des endroits différents et créaient même des possibilités de champ contre-champ en mouvement. Cela nécessitait une bonne connaissance de la séquence, des dialogues, en générale au bout de 2, 3 prises je pouvais apporter des variantes facilement.

Au final, peu de postprod.
PM : La mer nous témoigne cela, qu’il faut peu de postprod ! [Rires]. Elle s’offre à nous de manière très changeante, elle impose une image, ce n’est pas la peine de vouloir la dompter. C’est ce qui fait sa richesse. On a retravaillé parfois la teinte de la mer suivant les axes car elle peut changer énormément de couleur mais c’est tout.
Et pour conclure, ce fut une belle aventure malgré toutes les difficultés à surmonter dans un environnement que j’avais peu pratiqué. Mais n’est-ce pas notre vie d’opérateur que d’affronter des éléments et des milieux toujours différents ?

(Propos recueillis par Brigitte Barbier, pour l’AFC)