Plus Camerimage 2013, les impressions d’un juré

Par Denis Lenoir, AFC, ASC

par Denis Lenoir La Lettre AFC n°237

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Dans ma chambre d’hôtel hier soir, avant ma dernière nuit à Bygdoszcz, rentrant de la dernière fête de cette 23e édition de Camerimage, j’ai soudain compris que depuis plus de trente ans je mène une vie secrète, une vie dont je ne peux parler qu’avec d’autres chefs opérateurs, les seuls qui puissent la comprendre puisque eux aussi mènent la même double vie.

Cette réflexion était un peu teintée de tristesse, j’aimerais parfois pouvoir partager cette vie avec ma femme, avec mes grands enfants et d’autres proches, mais j’ai essayé, c’est inutile, cela n’est pas transmissible. C’est d’ailleurs pour ne pas être toujours seul que quelques uns d’entre nous avons créé l’AFC et c’est parce que, pendant une semaine entière, j’ai vécu douze heures par jour avec mes sept co-jurés et qu’en plus de ces distingués gentlemen j’ai échangé des souvenirs d’anciens combattants, parlé boutique, c’est-à-dire réalisateurs, et sincèrement complimenté une bonne vingtaine d’autres chefs op’, sans compter les partenaires du côté des industries techniques, que j’ai rencontrés ou retrouvés avec bonheur (salut Didier D. !), qu’hier soir, cette notion de vie secrète a fini par éclore, au moment où je m’apprêtais à retourner dans le monde, celui où j’avance le visage en partie masqué.

Nous étions huit jurés, Adam Holender, ASC, homme de 76 ans, élevé dans un camp en Sibérie jusqu’à l’âge de six ans, étudiant à Łódź avec Polanski, ayant signé la photo de Midnight Cowboy et de Panique à Needle Park, homme d’une grande finesse d’esprit ; Jeffrey Kimball, ASC, Texan délicieux, je sais, c’est un oxymore, le chef opérateur de Top Gun ; Ed Lachman, ASC, et Tom Stern, ASC, AFC, dont nous connaissons bien le travail ; Timo Salminen, Finnois qui vit à Lisbonne, le chef opérateur de Kaurismäki, avec qui j’échangeais souvent, lors des déjeuners rituels où nous partagions tous les huit nos impressions à propos des films que nous venions de voir, des regards de connivence, nous retrouvant souvent du même côté dans la défense ou le rejet de tel ou tel film ; Frantz Lutzig (Don’t Come Knocking) et enfin Todd McCarthy, le grand critique. Pas une fois l’un d’entre nous n’a tenté d’impressionner les autres, pas une fois l’un d’entre nous n’a élevé la voix, pas une fois même l’un d’entre nous n’a coupé la parole à un autre, ce fût un rêve de jury.

Il y avait quatorze films dans la sélection et je pense que sans exagérer un tiers d’entre eux n’avait aucune légitimité à y être, c’est je crois un peu la faiblesse du Festival. Dont quatre films en noir et blanc, ce qui personnellement me semble beaucoup puisque je pense que le noir et blanc est trop souvent une façon bon marché de coller l’étiquette " art " à un film.
Comme les jours passaient et les films se suivaient, il devint vite évident qu’il était impossible de séparer la photographie, l’image de film, du film lui-même, une découverte pour certains. Après la projection du dernier film présenté, nous nous sommes réunis pour la dernière fois et sommes facilement tous tombés d’accord sur cinq films qui méritaient considération, le vote suivant en conserva trois, les trois primés. La suite fût un peu plus rude, je fus mis en minorité et m’inclinai. Ironie des choses, la télévision locale m’interviewa après la cérémonie et je me retrouvai défendre avec passion et éloquence le film que seul je n’aurais pas primé, remplissant ainsi, avec peut-être un peu de perversité ce que je crois être mon devoir de juré.

Bruno Delbonnel, Łukasz Żal et Lorenzo Hagerman - Grenouilles de bonze, d'or et d'argent - Photo Ewelina Kaminska
Bruno Delbonnel, Łukasz Żal et Lorenzo Hagerman
Grenouilles de bonze, d’or et d’argent - Photo Ewelina Kaminska


Philippe Ros, Tom Stern et Bruno Delbonnel étaient avec moi les seuls AFC présents, c’est vraiment peu, trop peu. Il faudrait je crois à l’avenir essayer d’être plus nombreux invités aux multiples jurys, d’autant que notre absence totale d’Imago nous enlève le peu de visibilité internationale que nous avions. Il y avait pourtant un hommage à Roger Hubert avec six films de Carné projetés, pourquoi ne le savions-nous pas longtemps à l’avance, pourquoi cet hommage n’était-il pas présenté par l’un d’entre nous ? Questions rhétoriques bien sûr mais qui devraient nous amener à réfléchir à une présence plus grande à l’avenir. Heureusement certains de nos associés étaient présents, leur stand servant de points de rencontre. Marc Galerne, K5600 Lighting, et Jacques Delacoux, Transvideo, avaient invité six étudiants de Louis-Lumière et six de La fémis à venir se plonger dans Camerimage. J’eus l’occasion de rencontrer ces étudiants, trop brièvement, à un dîner organisé pour qu’ils croisent aussi des étudiants de Łódź.

(Etaient également présents, sauf oubli ou ommission : Natasza Chroscicki, Arri ; Tommaso Vergallo et Didier Dekeyser, Digimage ; Olivier Affre et Patrick Leplat, Panavision Alga ; Jean-Yves Le Poulain, Thales Angénieux ; Benjamin B., membre consultant AFC.
En vignette de cet article, l’Opera Nova de nuit à Bygdoszcz - Photo Philippe Brelot)