Plus Camerimage – des mots sur les images

par Souki Belghiti

AFC newsletter n°194

C’est le seul festival auquel j’ai assisté où l’audience applaudit chaleureusement quand le nom du chef opérateur apparaît au générique. A Plus Camerimage, c’est possible de voir un film et de rencontrer son chef opérateur immédiatement après la projection pour discuter avec lui.
Il y a à la fois des projections et une compétition (courts, longs, clips, documentaires) des rétrospectives, des conférences. Il y a aussi, surtout, des ateliers, où des professionnels de renom partagent leurs techniques. Leur amour de leur métier et leur enthousiasme sont extrêmement communicatifs.

Ainsi, Don Mac Alpine, qui revient sur l’ensemble de sa carrière et, en projetant des extraits, demande à l’assemblée d’étudiants médusés – il y en a d’un peu partout dans le monde, venus avec leurs écoles, mais je suis la seule Française, venue par moi-même, en bus (24h) – comment on pense qu’il s’y est pris pour éclairer telle ou telle séquence puis explique. Face à tel dispositif virtuose (quand Leonardo Di Caprio et Claire Danes s’embrassent pour la première fois en plan séquence dans un ascenseur alors que la caméra tourne autour d’eux, dans Romeo + Juliet), il nous montre comment il s’y est pris et confesse, dans un sourire gourmand, que personne ne savait à l’avance si cela pouvait marcher, et qu’il a l’impression de ne cesser d’apprendre, aux frais des productions. Il partage aussi ses précieuses et parfois douloureuses expériences en matière de relations avec les producteurs et les réalisateurs pour nous en livrer les leçons.

Oliver Stapelton, lui, a fait apporter une voiture sur le plateau et disposer autour quelques éléments d’éclairage (une potence, des grands polys, etc.) Pendant qu’il nous parle des techniques pour les plans de voiture tournés en studio et projette des extraits de son travail pour illustrer ses propos, deux volontaires de l’assemblée s’y essaient l’un à la lumière, l’autre au cadre, aidés d’un " gaffer " et d’un cadreur professionnel.
On regarde ensuite ce qu’ils font, et il revient dessus, livre d’autres pistes, corrige les erreurs, toujours avec une grande bienveillance, pour les scènes de jour et de nuit.
Il nous parle aussi de sa conception du métier de chef opérateur, en insistant beaucoup sur la notion de responsabilité. C’est la responsabilité du chef opérateur qu’on puisse tourner quoi qu’il arrive, donc d’avoir prévu tous les essais nécessaires, d’avoir repéré dans le scénario les plans " de secours " en cas d’intempérie...

En plus des workshops, il y a aussi des séminaires techniques qui permettent aux fabricants de présenter leur nouveau matériel – Arri sort 3 nouvelles caméras numériques en 2010, et à Camerimage, j’ai pu en voir des prototypes, et assister aux échanges entre les gens qui fabriquent ces caméras et ceux qui les utiliseront, échanges qui permettront probablement de faire évoluer ces prototypes... Pour moi, c’est l’occasion de me faire expliquer clairement les caractéristiques du signal ArriRaw. Cette scène me reste. Je ne me souviens plus (je n’ai jamais su...) comment on dit " format d’encapsulage " en anglais. Je fais le geste d’enserrer quelque chose dans mes bras, mon interlocuteur sourit, mais il voit immédiatement de quoi je veux parler : « We call it a wrapper, yes », et il m’explique tout ce que je veux savoir – on parle tous la même langue.
Il y a aussi la projection de la BSC qui a testé 18 caméras numériques en comparaison du 35 mm et du 16 mm, dans des conditions rigoureusement identiques, travail titanesque et appelé à se poursuivre en testant la chaîne de postproduction, mais qui permet déjà à chacun de juger et de choisir " sur pièce ".

Bien sûr il y a aussi quelques couacs organisationnels qui me permettent de constater que je suis bien Française : je râle vite et beaucoup. Pourquoi la conférence de Vittorio Storaro et Carlos Saura, à 22h45 a-t-elle lieu dans une salle à peine plus grande que mon studio parisien ? Bientôt une foule d’étudiants magnétisés, dont moi, s’entassent avidement, bloquant toutes les issues de secours et raréfiant dangereusement l’oxygène autour des deux maîtres, qui ont pris un avion à 7h le matin même. Il n’empêche, en partant, j’ai un peu le sentiment d’un fervent catholique après sa première bénédiction papale.

Je pourrais continuer longtemps, en arrière plan flou, mais présent. Il y a bien sûr aussi la Pologne, mais voilà, il y a cette opportunité merveilleuse de rencontrer des gens venus de partout qui font le même métier, des artisans amoureux de leur art, des apprentis enthousiastes, des maîtres, de partager des expériences, de voir des films et d’en parler, de festoyer ensemble, et cette sensation en repartant, malgré l’épuisement, d’avoir durablement rechargé mes batteries, d’avoir respiré de l’oxygène pur – mais attention, c’est addictif !