Plus que la lumière

Par Bernard Nauer, réalisateur

La Lettre AFC n°243

Parmi les témoignages qui nous sont parvenus à la suite du récent décès de notre confrère directeur de la photographie Carlo Varini, AFC, nous publions ci-après un texte du cinéaste Bernard Nauer, qui a fait appel à lui pour photographier trois de ses films.

Carlo était un ami.
Dit comme ça, c’est un peu ridicule.
Mais dans ce métier où l’on a, bien entendu, que des " amis "…, la fameuse grande " famille " du cinéma…, où règne à chaque fin de tournage le « on se téléphone et on se fait une p’tite bouffe »…, Carlo avait été l’un des rares à le faire !
Depuis, nous étions amis, à la vie comme aux plateaux.
Et ce depuis trente-six ans.
Sinistre ironie du sort, loi des séries, dix jours avant d’être à Montauban pour lui dire adieu, j’étais au cimetière du Montparnasse, pour enterrer Gabriel Auer, victime de cette saloperie de crabe et réalisateur de Vacances royales, film sur lequel j’avais justement rencontré Carlo, en 1978. Il était premier assistant de Robert Alazraki, j’étais régisseur-adjoint.
Depuis, j’ai tourné presque tous mes films avec lui.
Un bonheur à chaque fois. Un sentiment de sécurité pour moi. Tourner avec Carlo, c’était un partage, profiter de sa réactivité, de sa curiosité permanente, de sa créativité brillante, de sa volonté d’être toujours au service du film et du réalisateur. Avec un enthousiasme intact à chaque début de tournage, comme s’il entamait un nouveau Citizen Kane tous les quatre ou cinq mois !
Je m’en amusais quand il me parlait des films des autres…
De ceux pour lesquels je savais qu’il déchanterait vite. Je le traitais même parfois de jeune pucelle. Mais cette énergie positive, totale et non feinte qu’il déployait à chaque début d’aventure, était sa force, son moteur.

Alors, comme toujours après une disparition, a fortiori quand elle est brutale et accidentelle, les souvenirs remontent à la surface.
Les bons, les moins bons, ceux qu’on aime, ceux qu’on préférerait oublier.
Pèle-mêle, je repense...
À cet été 1986 à Locarno, dans la grande maison de sa mère, pour ses 40 ans, juste après qu’on ait tourné Nuit d’ivresse.
À Nuit d’ivresse justement..., où ce deuxième lundi de tournage j’ai retrouvé Carlo en pleurs dans les couloirs des Studios de Billancourt. Le directeur de production – dans une tentative de prise de pouvoir comme cette profession en raffole histoire de passer le temps – venait de lui annoncer que ses deux chefs, machino et électro, étaient virés ! Carlo s’était alors battu bec et ongles et les deux chefs étaient restés... Mais à quel prix.
À cet autre tournage, d’une pub cette fois, où un directeur artistique très anxieux fumant cigarette sur cigarette était venu faire remarquer à Carlo que l’éclairage sur l’actrice lui dessinait des cernes. Carlo avait évidemment tenté de le rassurer en lui montrant que son électro était déjà en train de déplacer un projo.
L’excellent D.A. lui avait alors très sérieusement rétorqué : « Mais pourquoi ? Y a qu’à changer de focale ! »
Carlo savait être très diplomate et aimable, même en pareilles circonstances.
Moi pas. Nous nous complétions aussi à ce niveau !
À ces week-ends à Trouville... Puis à ces dîners avec Claire dans leur appartement de la Gare du Nord.
À ces jours où il venait, parfois à l’improviste, chercher son vin qu’il stockait dans ma cave. Et à nos longues discussions avec un ami vigneron à Béziers.
À l’arrivée des filles, tant attendues.
À Besson, alors que nous nous partagions Carlo en alternance dès notre époque des courts métrages, qui, pour d’obscures raisons, suite à leur séparation post Grand bleu, me déconseilla de le prendre sur un de mes films qu’il produisait.
Pour finalement mieux partir avec lui dès la première semaine de mon tournage, faire une pub aux Bahamas.
À cette rencontre avec son frère Felice qu’il m’a fraternellement offerte et dont je ne manque que les vernissages trop lointains.
À Dialogue de sourds, dont je me suis souvent demandé quel film cela aurait pu être sans l’apport considérable, l’indéfectible soutien et l’investissement de Carlo.

Mes pensées vont aujourd’hui vers Claire, Giulia et Serena.
Je partage très profondément leur douleur.

Bernanrd Nauer et Carlo Varini ont tourné ensemble Nuit d’ivresse (1986), Dialogue de sourds (CM, 1985) et Détournement mineur (CM, 1980).
(En vignette de cet article, Carlo Varini mesure la lumière pendant le tournage des
Choristes - Photo Rémi Boissau)