Pour Bernard Zitzermann, le magicien

Par Elie Chouraqui

La Lettre AFC n°284

Bernard portait un briquet autour du cou. C’était l’époque où nous fumions, même sur les plateaux. Et je me souviens que je riais avec lui du fait qu’à chaque fois que je voulais allumer ma clope, je devais m’incliner devant lui pour porter la flamme de son briquet jusqu’à ma cigarette.

Bernard avait des moustaches. Je me foutais de lui. Ça le faisait rire. J’essayais toujours de dégotter après la cantine une miette de quelque chose que le revers de sa main aurait oublié d’enlever. Je disais à Bernard : « L’avantage avec toi, c’est qu’on se souvient du menu de la cantine ». Ou : « Ne prend pas de douche cette semaine, comme ça on saura ce qu’on a mangé depuis lundi. » Et on riait. Nous avions l’âge où nous riions de tout et de n’importe quoi.

Bernard portait un poncho et nous parlions souvent de Mai 68 dont nous étions les enfants. Et il se moquait de moi bien sûr. Il me traitait de petit bourgeois sans bien savoir d’où je venais réellement. Je pensais que papa et maman seraient surpris qu’on me traite de petit bourgeois mais après tout, si ça fait plaisir à Bernard. D’autant que moi, je le traitais de vieux jeune syndicaliste. Il adorait ça.

Bernard avait un regard de gros nounours. Tendre, plein de pépites de joie dans les pupilles. Quand je me sentais en difficulté sur le plateau, je me tournais vers lui et c’est sur ce regard-là que je tombais et sur son sourire. Un bon sourire qui rendait la vie simple. Qui disait : « T’inquiète ! Personne ne va te manger et si on t’emmerde trop, moi je suis dans le coin. Il ne peut rien t’arriver. »

Bernard était un magicien. Il avait du talent et le talent de ne pas s’en occuper.

Bernard m’a toujours manqué. Quand on ne faisait pas de films. Quand j’évoquais les films que nous avions faits ensemble. Quand je fermais les yeux parfois pour me remémorer mes meilleurs, mes plus belles rencontres.

La vie nous a joué un drôle de tour. Nous ne nous sommes pas vu pendant des années. Pourquoi ? Ne me le demandez pas. Je n’ai pas de réponse. C’est comme ça. C’est le temps qui passe. Le travail qui nous prend. Le temps qui défile et nous laisse sans force. Nos amours. Nos enfants.

Je regrette, Bernard, que nous n’ayons pas eu plus de temps. Et je m’incline encore une fois vers toi. Et pas pour allumer ma clope.