Projection à Cannes Classics de "Panique", de Julien Duvivier, photographié par Nicolas Hayer
Né le 1er mai 1898, Nicolas Hayer débute après des études aux Beaux-Arts au Service Cinéma des Armées (il assure une mission de quelques mois en Sibérie), collabore un temps à la mise au point du procédé couleur Keller-Dorian, puis il devient opérateur d’actualités pour Gaumont, Eclair et la MGM entre 1928 et 1934.
Il rejoint le cinéma au début du parlant (signant alors Lucien Hayer) en travaillant avec les opérateurs Theodor Sparkuhl et Roger Hubert (Le Blanc et le noir, de Marc Allégret et Robert Florey en 1931), on le retrouve aussi cadreur avec Willy Faktorovitch (Le Gendre de Monsieur Poirier, de Marcel Pagnol en 1933).
Chef opérateur à part entière en 1934 (Cartouche, de Jacques Daroy), il enchaîne alors les films mineurs signés Robert Péguy, Yvan Noé ou Félix Candéra. Sa carrière démarre véritablement juste avant la guerre avec Jean Delannoy dans deux films interprétés par Mireille Balin : La Vénus de l’or (1938) et Macao, l’Enfer du jeu (1939), sans doute sa première grande réussite.
Mobilisé quelques mois en 1940, il retrouve rapidement le chemin des studios avec Jacques Becker (Dernier atout ; Falbalas), Abel Gance (Capitaine Fracasse), Henri-Georges Clouzot (Le Corbeau), Julien Duvivier (Panique), Henri Decoin (Entre onze heures et minuit)... tout en s’activant avec quelques autres « à former le premier noyau de résistance du cinéma qui, en 1943, devint Le Comité de Libération du Cinéma Français. » (dixit Jacques Lemare, qui travailla à ses côtés).
Panique – dont Patrice Leconte fera un remake en 1989, Monsieur Hire –, tourné en 1946 au sortir de la guerre, est un film sur la rumeur, la délation, le lynchage, d’une grande noirceur au sens propre comme au figuré. C’est peu dire que Nicolas Hayer n’était pas l’opérateur des demi-teintes, il avait développé un style d’éclairage très caractéristique privilégiant le principe de la source unique afin d’étirer des ombres profondes à la manière de l’Expressionnisme allemand mais on peut aussi oser un rapprochement avec le travail des opérateurs de la RKO. Déjà, dans Le Corbeau, en 1943, la photographie tout en contrastes voulue par H.-G. Clouzot soulignait parfaitement l’atmosphère délétère et le climat de suspicion.
Hayer définissait cependant son approche comme réaliste : « J’aime que l’éclairage soit vrai », affirmait-il dès 1938 lors de conférences organisées par Germaine Dulac, « Un journaliste m’a dit un jour : “Parlez-moi de la lumière”, non, mon métier c’est l’ombre. Et c’est ce qui donne du relief. »
On mentionnera encore son remarquable travail sur Orphée, de Jean Cocteau, en 1949, avec ses paysages en négatif vus à travers le pare-brise d’une automobile. Primé au Festival de Locarno en 1948 pour sa photographie de la Chartreuse de Parme, de Christian-Jaque (une lumière dure et contrastée sur les décors mais qui sait rester douce sur les visages), il aborde la couleur dès 1953 selon les procédés Gevacolor (Nuits andalouses et Par ordre du Tsar) et Agfacolor (Bel ami, de Louis Daquin), il tourne aussi un des premiers films français en CinémaScope (Fortune carrée, de Bernard Borderie, en 1955). Signalons encore en 1956, une comédie en Eastmancolor avec Fernandel signée Mario Soldati : Sous le ciel de Provence, sans oublier, toujours avec Fernandel, le Don Juan de John Berry dont les copies furent tirées en Technicolor par GTC Joinville.
Sa carrière au cinéma s’achève en pleine Nouvelle Vague avec Jean-Pierre Melville (Deux hommes dans Manhattan et Le Doulos avec son climat de film noir), Eric Rohmer (Le Signe du lion) et Pierre Granier-Deferre (les noirs d’encre sur l’écran large du Franscope de La Métamorphose des cloportes). Il travailla ensuite pour la télévision signant, entre autres, les images de quelques épisodes de la série “Les Cinq dernières minutes”.
Eric Rohmer disait avoir beaucoup appris de Nicolas Hayer. Dans la Lettre de l’AFC n° 135 de septembre 2004, Diane Baratier rapportait même que Rohmer voyait en N. Hayer un précurseur de la Nouvelle Vague par l’utilisation qu’il faisait alors de la lumière réfléchie.
Nicolas Hayer est décédé le 29 octobre 1978.
Nicolas Hayer (1898 - 1978)