Quand des archéologues s’intéressent au tournage de "Peau d’âne"
En 1970, au cœur d’une forêt des Yvelines, Jacques Demy adapte, avec Catherine Deneuve en princesse, le conte de Perrault. Depuis 2013, une équipe de chercheurs travaille sur les traces laissées par le tournage de ce classique du cinéma français.
Traverser la ferme du château de Neuville, dans les Yvelines, est une expérience riche en émotions. Les souvenirs remontent immédiatement : ici, devant ce mur de vieilles pierres, il y avait la longue table du banquet… et Jacques Perrin chantant qu’il venait de trouver « l’amour au passage, celui qui rend fous les plus sages ». Et là, dans le coin, la petite porte d’où sortait la sorcière aux crapauds ! Toutes les portes de la ferme ont d’ailleurs été repeintes en rouge, en souvenir du prince charmant qui a immortalisé les lieux cet été 1970, sous la caméra de Jacques Demy. Et la mythique maison de Peau d’âne, cette cabane en bois où Catherine Deneuve confectionnait son « cake d’amour » ? Elle est un peu plus loin, dans le bois. Ou du moins ce qu’il en reste, soit quelques planches en décomposition dans l’humus, des fragments de miroir, des éclats de verre… et une montagne de clous rouillés. C’est le butin de l’équipe d’archéologues qui investit le lieu du tournage chaque année depuis 2013 (1) .
La princesse de la bande
Agenouillées dans la terre, cinq jeunes femmes manient la truelle ce matin de juin, en pestant contre la pluie qui a trempé le terrain pendant la nuit en se glissant entre les bâches. L’une est spécialiste de la préhistoire, une autre des Gaulois, la troisième est étudiante en cinéma… Et toutes se retrouvent ici par amour de Peau d’âne, qu’elles ont déjà vu cinquante ou cent fois depuis leur plus tendre enfance car l’histoire leur parle – « la construction de la femme, sa liberté, son individualité ». Mais elles sont d’accord sur un point : la vraie princesse de la bande, c’est Olivier Weller, le chercheur du CNRS qui dirige la fouille s’émeut à chaque diamant en strass ressurgi de la terre. Rendez-vous compte, il est sûrement tombé il y a quarante-cinq ans de la « robe couleur Soleil » de Catherine Deneuve ! C’est là tout le sel de ce chantier inédit : il allie la fascination du conte de fées à la démarche archéologique la plus scientifique pour reconstituer une semaine de la vie d’une équipe de cinéma.
Tout a commencé avec un clou. Ce gros clou fiché par un accessoiriste dans l’arbre qui soutient la cabane de Peau d’âne, pour aider Jacques Perrin à l’escalader et espionner la princesse par la fenêtre. L’archéologue Pierre-Arnaud de Labriffe se souvenait de l’anecdote pour y avoir assisté quand il était gamin. Et quand il l’a racontée à son confrère Olivier Weller lors d’une conversation cinéphile, leur instinct de Sherlock Holmes les a poussés dans la forêt de Gambais. Mission : retrouver les lieux du tournage. Niveau : hardcore. Indices : il doit y avoir une allée, assez grande pour qu’y passe le carrosse du prince, et « un chêne avec un clou planté dedans ». Les deux détectives l’ont finalement trouvé, et ont même reconnu aux alentours d’autres traces du tournage : deux gros blocs de pierre qui ornaient la cheminée de Peau d’âne, et la cicatrice d’un cerclage sur un tronc. « On s’est dit que ça devait être un système d’attache, les câbles qui tenaient le toit de la cabane. » Mais d’ailleurs, quelle taille faisait-elle, cette cabane ? Quatre, cinq mètres de haut peut-être ? Déjà, Weller retrouve ses réflexes d’archéologue en échafaudant des hypothèses d’après les indices retrouvés sur le terrain. Il s’en convainc immédiatement : il faut organiser une fouille.
- Lire la suite du reportage sur le site Internet de Libération.
(1) Un documentaire de Pierre-Oscar Lévy et Olivier Weller sur la fouille et le conte de fées, Peau d’âme, sortira en 2017.
- Réécouter l’émission "Archéologie du merveilleux : on a retrouvé la cabane de Peau d’âne !" diffusée sur France Culture en 2015.
- Lire un article publié par Les Nouvelles de l’archéologie en 2014.
- Lire un article publié par le Service archéologique départemental des Yvelines en 2014.