Querelles d’experts sur le régime des intermittents

Par Clarisse Fabre

AFC newsletter n°246

Le Monde, 19 septembre 2014
Qui va mener l’expertise des propositions et des contre-propositions sur l’épineux dossier de l’assurance-chômage des intermittents du spectacle ? On se bouscule au portillon.

En plus de l’Unedic ou de la Caisse des congés-spectacles, divers spécialistes, tels les sociologues Mathieu Grégoire et Pierre-Michel Menger, ou encore l’économiste Jean-Paul Guillot ont été sollicités par les trois sages qui conduisent la mission de concertation – le député PS Jean-Patrick Gille, l’ancienne codirectrice du Festival d’Avignon, Hortense Archambault, et l’ex-directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle.
Les travaux de cette mission doivent reprendre jeudi 18 septembre sur les questions de santé, de retraite et de congé-maternité. C’est aussi l’acte II de cette mission : lancée à la veille des festivals d’été par le premier ministre, Manuel Valls, en vue d’apaiser la crise déclenchée par l’accord du 22 mars sur l’assurance-chômage, la mission de concertation doit faire des propositions d’ici à la fin de 2014 pour réformer en profondeur les annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) de l’Unedic.

Inégalités creusées
Son existence a déjà permis de rétablir le contact entre des partenaires sociaux (CFDT, FO, Medef, CGT-Spectacle…) ou des acteurs (Coordination des intermittents et précaires) qui ne s’adressaient plus la parole, après onze ans de lutte, depuis la réforme contestée de juin 2003. « On a créé un climat de travail. Il y a de la bonne volonté chez les uns et les autres, et l’envie d’aboutir à un diagnostic partagé », dit M. Gille, à la veille de la reprise.
Désormais, place aux travaux pratiques. La question de l’expertise est centrale dans la mesure où plusieurs modèles d’indemnisation de l’intermittence s’affrontent. Les artistes et les techniciens alternent des périodes de travail et de chômage, plus ou moins longues, auprès de divers employeurs. Et leur régime spécifique vise à compenser la précarité de l’emploi.

Experts contre experts, depuis onze ans
Avant 2003, les intermittents devaient effectuer 507 heures en douze mois pour être éligibles aux prestations. Depuis, le régime a été durci, et l’accès à l’assurance-chômage est devenu plus aléatoire : les artistes doivent « faire » leurs 507 heures en dix mois et demi, et les techniciens en dix mois. Cette réforme n’a pas permis de réaliser les économies attendues, tandis qu’elle a creusé les inégalités entre les intermittents les plus modestes et les mieux dotés. C’est pourtant la réforme de 2003 qui a été reconduite en mars 2014, moyennant quelques modifications. D’où la colère.
Experts contre experts, chacun se renvoie la balle depuis onze ans. Avant l’été, deux études d’impact sur le retour aux « 507 heures en douze mois », aux conclusions fort divergentes, ont circulé sous le manteau. Comme le dit M. Gille, « on croule sous les chiffres. L’enjeu, désormais, est que les experts se mettent d’accord entre eux sur les méthodes de calcul ».
Le Centre d’études de l’emploi de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), un établissement public placé sous la tutelle de deux ministères (recherche et emploi), pourrait être mis à contribution pour mener l’expertise, avec la neutralité requise.

« On n’a pas encore parlé d’argent »
Mais qui va payer les statisticiens ? « On n’a pas encore parlé d’argent, et c’est bien le problème. Cette mission ne dispose pas de moyens à la hauteur de son ambition. Nous voulons une contre-expertise. Or, les experts n’ont toujours pas accès aux chiffres bruts de l’Unedic », déplore Samuel Churin, comédien et porte-parole de la Coordination des intermittents et précaires, membre de la mission de concertation.
En attendant, le travail de pédagogie continue, cette fois-ci en direction du public. Par exemple, le Théâtre de la Ville, scène parisienne emblématique, a pris une initiative inédite : dans sa plaquette de la saison 2014-2015, des informations sont données sur le nombre d’intermittents nécessaires au bon déroulement de chaque spectacle. Pour la pièce de Vincent Macaigne, Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer (du 1er au 12 octobre), il y aura « 34 intermittents : artistes et techniciens, sur scène et en coulisse, chaque soir ».

(Clarisse Fabre, Le Monde, vendredi 19 septembre 2014)