Raoul Coutard ou la maîtrise, l’exigence, la droiture, l’humilité d’un bon chef

Par Pascale Marin, directrice de la photographie

AFC newsletter n°270


Raoul Coutard m’a contactée en 2001, peu après ma sortie de l’Ecole Louis-Lumière, afin que je sois sa seconde assistante sur Sauvage innocence, de Philippe Garrel, nous nous étions rencontrés lorsque je rédigeais mon mémoire de fin d’études.
Raoul Coutard à la caméra, entre Philippe Garrel, à gauche, et André Clément
Raoul Coutard à la caméra, entre Philippe Garrel, à gauche, et André Clément

Sauvage innocence raconte le tournage d’un film, il y avait donc deux caméras, une Moviecam Compact en caméra principale et une Arri BL4S en caméra de jeu qui tournait vraiment. Une série Zeiss G.O. du 35 au 85 mm ainsi qu’un 100 et un 180 mm, le matériel caméra venait de chez Cinécam. Comme pellicule, de la Kodak noir et blanc 5222, développée et tirée chez LTC.
En retrouvant ces informations vieilles de quinze ans, ça m’a donné un peu le vertige car aujourd’hui, ces caméras ne sortent plus, le loueur et le labo ont disparu et à ma connaissance il n’y a que deux endroits en France qui développent encore le 35 mm noir et blanc.

Le clap du film dans le film - Photogramme issu de <i>Sauvage innocence</i> pour lequel le machiniste s'était amusé à nommer l'opérateur Raoul C. MAITRE
Le clap du film dans le film
Photogramme issu de Sauvage innocence pour lequel le machiniste s’était amusé à nommer l’opérateur Raoul C. MAITRE

Avec Coutard, j’ai découvert ce qu’était un bon chef, comme dans chef opérateur, mais pas seulement. Il aurait cité cet aphorisme très militaire : « Le chef, c’est celui qui arrive avant que la connerie soit faite ! ». Et c’est vrai que sa maîtrise technique lui permettait d’anticiper beaucoup de choses. Mais si malgré tout l’un de ses assistants commettait une erreur, il en assumait toute la responsabilité, c’était un véritable rempart autour de son équipe.

Sur Sauvage innocence, Raoul éclairait rapidement et simplement : une source, parfois une autre en réflexion sur le plafond pour adoucir un peu le contraste, rarement plus. Pour lui, il n’y avait pas de secrets de fabrication, il suffisait de lui demander. Parlant d’image, il m’a cité cette phrase : « Simplicité, qualité divine, pierre de touche du beau ». Soucieux de former la débutante que j’étais, il m’a permis d’éclairer quelques séquences du film, en cachette du réalisateur. Après le tournage, il m’a offert sa valise de filtres et sa cellule. Sauvage innocence a clos une filmographie impressionnante qui a marqué l’histoire du cinéma.

Raoul était rugueux, humble, bourru, plein d’humour, et il avait l’exigence de quelqu’un qui tient parole. Avant de le rencontrer, j’étais impressionnée par la légende, en ayant la chance de travailler à ses côtés j’ai découvert un homme droit pour qui j’aurai toujours un immense respect.
Depuis sa retraite, il avait gardé la capacité de s’émerveiller sans être dupe. Je lui envoyais les films dont j’avais fait l’image, ceux dont j’étais contente, sa perspicacité et la franchise de ses retours me manqueront cruellement.

Je sais qu’il manque bien plus douloureusement à sa femme, Monique, à ses enfants et petits-enfants, mes pensées les accompagnent.

Dans le portfolio ci-dessous, un petit clin d’œil de Pascale Marin à la lumière de Raoul Coutard avec quatre photogrammes extraits de Sauvage innocence dans lequel elle joue son propre rôle de seconde assistante. (NDLR)