Rencontre à Montréal avec Jérôme Cloutier, étalonneur chez MELS

by FilmLight AFC newsletter n°300

Étalonneur canadien à la réputation bien établie, Jérôme Cloutier a commencé sa carrière comme graphiste Flame avant de passer à l’étalonnage dans une agence de publicité à Montréal. Depuis il a travaillé chez MELS sur de nombreux longs métrages et séries télévisées. Il a signé son premier étalonnage de long métrage avec Whitewash, un film photographié par André Turpin et réalisé par Emanuel Hoss-Desmarais en 2012.

Il rencontre ensuite Xavier Dolan, considéré comme l’un des cinéastes les plus talentueux du XXIe siècle, et travaille avec lui sur l’étalonnage de ses quatre derniers films dont Mommy, Juste la fin du monde et plus récemment Matthias et Maxime, en compétition au Festival de Cannes 2019.

Quel est votre parcours ?
Jérôme Cloutier : J’ai toujours été attiré par la photographie. J’adorais les peintres et les photographes. J’avais une chambre noire équipée en noir-et-blanc dans le sous-sol chez mes parents, et j’ai toujours expérimenté avec Photoshop et la retouche photo en général. Puis j’ai fait des études de postproduction et j’ai trouvé un emploi en tant que graphiste Flame junior dans le secteur de la publicité. Nous tenons cela pour acquis mais tout ce nettoyage numérique est un travail acharné... et souvent invisible.

Quand j’ai approché l’étalonnage, comme la plupart des gens, j’ai été fasciné par l’impact qu’il avait sur l’ambiance, la texture et la structure de l’image. J’ai été étonné de voir comment on pouvait transformer complètement une image en quelques secondes.
J’aime à dire, un peu à la blague, que l’étalonnage est un effort minimal pour un résultat maximal : en cinq minutes, l’impact que vous pouvez avoir sur un projet est énorme !

Comment avez-vous commencé votre carrière comme étalonneur ?
JC : J’ai lentement abandonné le compositing pour l’étalonnage colorimétrique. J’ai démarré un petit département de couleur (juste moi) chez un prestataire de postproduction publicitaire à Montréal. Jusqu’alors ils ne faisaient que du montage image et des effets visuels car le traitement de la pellicule était trop cher. Le passage au numérique a créé une opportunité pour nous. Et j’ai progressivement construit une relation de confiance avec les réalisateurs et les directeurs de la photographie, principalement dans le domaine publicitaire au début.


Vous souvenez-vous du premier projet que vous avez réalisé sur Baselight ?
JC : André Turpin et Emanuel Hoss-Desmarais, avec qui j’avais collaboré pour de nombreuses publicités, m’ont offert un premier long métrage, Whitewash. C’est un très beau conte hivernal sur un type qui fuit sa conscience. André a tourné en 35 mm 2-perf. C’était magnifique. Parfaitement exposé. C’était si facile, le projet parfait pour commencer sur Baselight. Aujourd’hui encore, je dois beaucoup à André. Il a été très important dans ma carrière.

Comment pensez-vous que votre profession a évolué au cours de votre carrière ?
JC : L’ère numérique a soulevé tant de questions sur le traitement de l’image en général. Il a été perfectionné au fil des années et il y a toujours de meilleures et de nouvelles façons de faire les choses. Le rôle de l’étalonneur, selon moi, est de s’assurer que l’intégrité d’une image soit maintenue et la manipulation optimisée. Aussi, ironiquement, je fais de plus en plus de retouches mineures pour aider à affiner les prises de vues et gagner du temps sur les effets visuels. Mais peu importe les corrections que j’ajoute ou les changements que j’apporte, je sais que le logiciel d’étalonnage tient toujours le coup. Je dois dire que la fiabilité et la solidité de Baselight m’ont toujours aidé à traverser les journées les plus stressantes.

Vous avez travaillé sur les quatre derniers films de Xavier Dolan, dont Matthias et Maxime récemment présenté à Cannes. Quelle est votre collaboration avec lui ?
JC : Nous abordons l’étalonnage du point de vue de la scène, jamais du point de vue de la prise de vues. Il ne s’agit jamais de rendre un seul plan parfait, mais plutôt de trouver le ton approprié pour une scène. Ses indications sont donc souvent très larges, tout comme mes suggestions. Je pense que cela donne une image avec une forte personnalité, sans être surchargée. Le talent de Xavier est si évident dans la salle d’étalonnage : il a un très bon œil, il sait exactement où il va et ce qu’il aime ou n’aime pas. J’adore travailler avec lui parce qu’il me rend tellement meilleur.

Diriez-vous que ses choix de couleurs sont esthétiques ou plus symboliques ?
JC : Je pense qu’il prend ses décisions en fonction de ce qu’il ressent plutôt que de ce que cela signifie dans une doctrine particulière. Nous travaillons de manière très intuitive.

Comment Baselight vous aide-t-il à définir ces esthétiques ?
JC : Quand j’étalonne, je suis très concentré sur les demandes du réalisateur ou du directeur de la photographie et sur ce qu’ils peuvent penser. Parfois, la correction d’étalonnage est posée avant qu’ils n’aient fini de présenter le problème. Je souhaite qu’ils concrétisent pleinement leur vision grâce à mon travail.
Pour moi, Baselight est essentiel pour y parvenir. Il ne s’agit pas d’un outil unique – c’est un ensemble. Le design est si bon. Les outils d’étalonnage, la timeline, la gestion des espaces colorimétriques, le pupitre BlackBoard et j’en passe...

Vous avez collaboré à un second film dans la section Un certain regard à Cannes cette année, intitulé La Femme de mon frère. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce dernier projet ?
JC : J’adore ce film ! C’est le premier long métrage de Monia Chokri. C’est l’histoire d’une femme particulièrement cynique qui essaie de grandir malgré un sens des responsabilités qui lui fait terriblement défaut. Elle est trop dépendante de son frère, émotionnellement et financièrement. La mise en scène de Monia est si drôle et charmante. La direction artistique, les costumes, la musique - tout a une forte personnalité. L’esthétique de Monia est partout et elle ne ressemble à rien d’autre.
Josée Deshaies a tourné le film en 16 mm, principalement en hiver. Elle est si précise et son travail si détaillé. Elle sait exactement ce qu’elle fait. La palette de couleurs va du bleu au rose. C’est assez riche et saturé mais nous ne voulions pas que le 16 mm soit trop texturé. Je pense que l’image est encore douce, crémeuse, du moins la plupart du temps. Les basses lumières ne sont pas trop denses. J’aime la teinte chaude et naturelle que nous avons choisie pour les peaux. J’ai utilisé l’outil Colour Crosstalk pour décaler les teintes de certaines couleurs - le rose, le vert, le cyan - dans une tentative de rappeler la palette des mélodrames hollywoodiens de Douglas Sirk, dans les années 1950.

Sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?
JC : En raison du climat au Québec, la production cinématographique et télévisuelle est cyclique. Tournage quand il fait chaud, postproduction quand il fait froid. Début juin, j’ai terminé mon dernier long métrage du cycle hiver-printemps, et je fais plus de publicités ces jours-ci. Beaucoup de projets sont en cours de tournage en ce moment donc j’ai fait beaucoup de travail préparatoire avec les équipes pour définir les intentions et fabriquer des LUTs pour le plateau. J’ai aussi fait des essais d’étalonnage sur les rushes afin de m’assurer que ces projets soient bien lancés. J’aime rester à proximité quand ils sont en tournage. De cette façon, l’étalonnage final est plus précis et se déroule plus naturellement.

Avez-vous un objectif particulier que vous aimeriez atteindre d’ici la fin de votre carrière ?
JC : La tranquillité d’esprit. Mais je sais que c’est beaucoup demander...

Quelle est votre couleur préférée et pourquoi ?
JC : Au grand risque de paraître peu original, je dirais que j’aime la façon dont le soleil colore les choses quand il atteint l’horizon. C’est toujours si surréaliste. Le ciel bleu profond, un peu après le coucher du soleil, est aussi assez impressionnant - littéralement.