Résistances - Quartiers lointains Saison 8
Paru le Contre-Champ AFC n°358
Quatre courts métrages :
- L’Envoyée de Dieu, d’Amina Abdoulaye Mamani (Niger, Burkina Faso, Rwanda)
Photographié par Amath Niane
- Le Médaillon, de Ruth Hunduma (Éthiopie, Royaume-Uni)
Photographié par Henry Gill
- Astel, de Ramata-Toulaye Sy (Sénégal, France)
Photographié par Amine Berrada, AFC
Pour Astel, Amine Berrada a reçu le Prix de la meilleure photographie, compétition Courts métrages, au 36e Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF), en 2021 (prix doté de location de matériel par Eye-Lite).
- I Am Afraid To Forget Your Face, de Sameh Alaa (Egypte, France, Qatar, Belgique)
Photographié par Giorgos Valsamis.
A propos de Astel, de Ramata-Toulaye Sy, photographié par Amine Berrada, AFC :
Nous sommes en octobre, c’est la fin de la saison des pluies au Fouta, une région isolée au Nord du Sénégal. Astel accompagne tous les jours son père dans la brousse. Ensemble, ils s’occupent de leur troupeau de vaches. Mais un jour, en plein désert, la rencontre entre la jeune fille et un berger vient bouleverser le quotidien paisible entre Astel et son père.
De Berlin au Fouta-Toro, les prémisses d’une longue aventure
En février 2020, dans le froid berlinois, mon aventure sénégalaise débute par une conversation téléphonique captivante avec Ramata-Toulaye Sy. Pendant plus de deux heures, nous échangeons avec enthousiasme sur son scénario de long métrage Banel e Adama. Les idées fusent, l’envie est palpable, et l’impatience de tourner grandit. Pourtant, pour obtenir l’avance sur recettes, la commission du CNC demande à Ramata de réaliser d’abord un court métrage. Bien que légèrement déçus, nous relevons le défi. Ramata se lance alors dans l’écriture d’Astel, un court métrage original, distinct de son projet de long métrage, mais situé dans la même région du Fouta-Toro, au nord-est du Sénégal. Ce tournage est une opportunité précieuse pour tester les conditions climatiques intenses et les défis logistiques en vue du long métrage, tout en affinant nos besoins humains, matériels et logistiques.
Astel, un coming of age en terre peule
Astel est une jeune fille peule de 13 ans. Chaque jour, elle accompagne son père et leur troupeau de vaches dans la brousse. Astel partage une complicité évidente avec son père ; leur quotidien est tissé ensemble depuis toujours. Mais cette relation change brutalement lorsqu’une scène entre Astel et un autre berger éveille en son père une prise de conscience : sa fille n’est plus une enfant, mais une femme en devenir. Les normes sociales rattrapent leur relation, transformant le regard et l’attitude du père envers sa fille. Une distance douloureuse s’installe entre les deux. Ce changement est soudain et déstabilisant. Astel, perdue, se sent trahie, abandonnée. C’est presque un deuil qu’elle traverse. Une nouvelle étape de vie s’amorce.
Une grammaire cinématographique dictée par les sensations d’Astel
Notre défi principal était de créer une grammaire visuelle qui exprime pleinement les émotions d’Astel, notamment par un découpage précis et des effets optiques éloquents et affirmés. Nos principales inspirations, Moonlight, de Barry Jenkins et image de James Laxton, et Small Deaths, de Lynne Ramsay et image de Lynne Ramsay et Alvin Kutchler, ont guidé notre approche. De plus, nous avons conçu Astel comme un conte intemporel, imprégné du réalisme magique littéraire cher à Ramata, que nous avons traduit en images et en sons à des moments clés du film.
Le film s’ouvre sur la prière du père à l’aube, accompagnée d’un ciel qui s’illumine de manière féerique, annonçant un conte à la manière d’un "Il était une fois dans le Fouta-Toro…". Cet effet a été obtenu grâce à une légère surexposition lors du tournage et à un étalonnage dynamique, accentué par la lumière dorée du Sahel.
Le premier acte dévoile un village qui s’éveille, capturé par une série de panoramiques stables. La caméra, fluide comme une horloge, balaye l’action avec précision. Tout est chorégraphié, à l’image de ce quotidien régulier. La distance entre la caméra et les personnages est délibérément grande pour mettre en valeur la routine mécanique de ces habitants dans leur environnement. Astel et son père mènent leur troupeau à l’écart du village, jusqu’à s’arrêter sous l’ombre d’un arbre majestueux, un acacia raddiana.
Une rupture magique, Astel se révèle
La routine est brisée par l’arrivée imprévue d’un autre berger, en difficulté avec une vache récalcitrante. Attirée par le berger et sa vache, Astel résout la situation de manière presque magique, en envoûtant l’animal… et le berger par la même occasion. Ce moment marque un tournant : Astel s’affirme en tant que jeune femme, dévoilant un pouvoir subtil mais puissant, une aura éclatante, celle d’une femme en devenir.
C’était le moment parfait pour rompre avec la grammaire visuelle établie jusqu’alors. Nous avons voulu suspendre le temps, sortir du réel pour capturer la grâce et le don de cette jeune femme. Pour ce faire, nous avons filmé la scène avec des plans à l’épaule, en ralentissant le mouvement (48 et 96 images par secondes), en gros et très gros plans, et à pleine ouverture (T1.5), floutant l’arrière-plan pour s’abstraire du contexte afin de décaler la scène, de l’élever par rapport au reste du film.
Le père, témoin de cette transformation, réalise que son enfant a grandi. Le lendemain, il part avec son troupeau, laissant Astel derrière lui.
Au réveil, Astel découvre l’absence de son père. Paniquée, elle se lance à sa recherche dans la brousse, appelant en vain. Nous avons alterné des plans très larges et des gros plans pour traduire sa solitude et sa détresse, seule dans l’immensité désertique, à la fois littéralement et métaphoriquement.
La dernière lumière du crépuscule
Au cours de sa quête, Astel retrouve l’arbre iconique de la veille, mais épuisée, elle ne peut plus avancer. Elle s’endort et dans son rêve, elle retrouve son père et le troupeau, mais l’image s’efface, son père s’évapore, évanescent. On comprend alors qu’elle ne le retrouvera plus comme avant.
Pour traduire visuellement cette disparition, j’ai opté pour une méthode artisanale. J’ai utilisé de la vaseline sur des filtres clear que j’ai fabriqué et installé devant l’objectif. En même temps, j’utilisais des prismes en cristal (achetés dans un un magasin de lustres) placés devant la caméra. Ainsi le visage du père se troublait entre la vaseline et les cristaux ! J’ai filmé en très longue focale (135 mm + doubleur de focale) pour obtenir cet effet de flou indéfini. Nous avons également tourné à 96 images par seconde pour prolonger ce moment où le visage du père s’efface. C’est un instant crucial dans le film, symbolisant, d’une certaine manière, la "mort du père". Nous avons également choisi de tourner cette scène pendant le crépuscule, pour avoir et sentir les dernières lueurs du jour, ce qui participe à cette idée de fin, de petite mort, de fin de cycle.
Équipe
Premier assistant opérateur : Oumar BaElectricité et machinerie : Fatah team Dakar
Technique
Matériel caméra, machinerie, lumière : Think Films Dakar + Rone DakarCaméra : Arri Alexa Mini
Optiques : Série Sigma High Speed T1.5 FF
Laboratoire : Studio Archipel (Paris)
Étalonneur : Julien Blanche