Responsabilité - et réputation - du directeur de la photographie

Des propos de Peter MacDonald, BSC

Dans une série de onze entretiens recueillis à Plus Camerimage 2011 par la journaliste britannique Madelyn Most, des directeurs de la photographie font part de leurs réactions concernant l’impact des technologies numériques sur leurs responsabilités et leur travail au quotidien.
Nous publions ici la traduction en français des propos du DP britannique Peter MacDonald, BSC.

Peut-être ai-je manqué de chance, mais dans ma " courte " expérience de travail dans le monde numérique, je constate que cette technologie ne tient pas encore toutes ses promesses.

Il n’y pas de doute que le résultat final est étonnant et cela vous donne une grande souplesse pour d’éventuels changements. Mais je souhaiterais que les personnes qui dessinent ces caméras soient plus orientées cinéma. J’ai un réel problème avec les " tentes ", vous êtes comme une tribu de Bédouins toujours en déplacement.
Quatre ou cinq tentes noires avec un réalisateur dans l’une, un directeur photo et un technicien dans l’autre, puis un autre directeur photo ou l’opérateur avec une télécommande dans une autre, les personnes s’occupant de la 3D dans leur propre tente (je comprends qu’ils doivent se concentrer) et, enfin, une autre tente noire remplie de producteurs et de scénaristes. Et du coup les acteurs se sentent bien seuls au milieu du décor et de temps à autre quelqu’un sort d’une des tentes pour les regarder.

Peut-être est-il temps pour les directeurs de la photographie du monde entier de se regrouper et décider comment ils pourraient garder le contrôle de la photo du film, chose qu’ils ont discutée avant pendant des semaines, des mois ou même des années avec le réalisateur. Nous avons tous entendu des histoires horribles de directeurs de la photo écartés de l’étalonnage final du film – je trouve cela inquiétant et écœurant –, ou, après avoir passé un nombre d’heures incalculables à l’étalonnage d’un film, quelqu’un modifie les choses dès qu’ils ont le dos tourné tant et si bien qu’ils ne reconnaissent même plus leur propre travail.
Je peux très bien comprendre pourquoi les studios insistent sur le pré-visionnement dans des films avec beaucoup d’effets – cela leur permet un certain contrôle –, mais quelque fois on a l’impression que quelqu’un dans une cave à San-Fransisco est en train de produire une scène entière sans connaître le lieu de tournage et la dimension réelle du décor, où ce dont la caméra est capable de faire. J’ai toujours pensé que ces gens de la " pré-viz ", dont certain sont des génies, devraient faire partie intégrante du tournage comme le font les décorateurs, les opérateurs, la production ou le maquillage – ainsi nous pourrions être tous ensemble à faire le même film.

En ce moment, il y a des gens " à distance " qui envoient tous les deux à trois jours de nouvelles images et vous devez faire en sorte que tout fonctionne. On peut construire tout ce que l’on veut dans le monde virtuel, mais très souvent cela nous éloigne de la réalité – quand tout jaillit dans toutes les directions, sans aucune logique qui tienne compte de la réalité – et on manque l’objectif… Mais peut-être est-ce voulu et cela plait aux amoureux des jeux vidéos et de la play station.

Ce qui rend le cinéma si extraordinaire depuis toutes ces années – l’humanité et les sentiments humains – semble en voie de disparition et je pense qu’il y a un léger manque d’émotion ou de sensibilité dans les histoires d’aujourd’hui.

Alors que nous embrassons ce nouveau monde, je sens qu’il y a un danger dans l’art de faire du cinéma qui est remplacé par la technologie. Se battre pour le contrôle de l’image fait partie de cela, mais il doit y avoir assez d’associations et d’organisations de cinéastes à travers le monde pour en parler et pour le reprendre en main. C’est leur monde, c’est leur responsabilité et, enfin, c’est leur réputation qui est en jeu.

(Merci à Michele Zimmerli-Bellot pour cette traduction de l’anglais)