Retour sur Camerimage

Par Léo Hinstin, vice-président de l’AFC

par Léo Hinstin

Première fois à Camerimage pour moi et j’ai trouvé ce festival formidable, non seulement j’y ai vu de beaux films mais j’y ai surtout rencontré quantité de gens dans un contexte très détendu qui favorise l’échange et la discussion. Je ne suis resté que quatre jours, je prévois d’ores et déjà de rester plus longtemps à ma prochaine venue.

Mardi matin, départ aux aurores, le trajet depuis Paris est assez long. Je tombe sur Elin Kirschfink, SBC, AFC, qui arrive de Bruxelles et elle aussi cherche son chauffeur dans l’aéroport de Varsovie. Nous décidons de partager un véhicule pour les presque trois heures de route jusquà Toruń, ce qui nous permet de continuer à discuter tout au long du trajet. Une fois j’ai le temps d’aller voir The Auschwitz Report de Peter Bebjak, éclairé par Martin Žiaran. L’histoire des deux amis qui furent les seuls prisonniers à s’être échappés avec succès d’Auschwitz. Le sujet est connu, les véritables protagonistes sont dans Shoah et d’ailleurs le film n’apporte pas grand chose par exemple par rapport au Fils de Saul. On peut néanmoins saluer une belle mise à distance de l’indicible par le biais de la mise en scène et de bons comédiens. Si l’image n’échappe malheureusement pas à un traitement sépia un peu bateau, la crudité de la lumière des scènes de nuit dans le camp est très réussie et le travail du cadre est admirable. Je suis venu pour la première fois en Pologne en 2000 comme assistant de Caroline Champetier pour le tournage de Sobibor 14 octobre 1943 16 heures, de Lanzmann, donc évidemment je repense beaucoup à Claude et aux aventures de ce tournage que je raconterai un autre jour. Ensuite je participe à une conférence organisée par DMG Rosco autour de l’utilisation de la LED. Nils de Montgrand modérait cette discussion informelle à laquelle participait le gaffer anglais Jonny Franklin, Alice Brooks, une directrice de la photographie américaine en pleine ascension et récemment admise à l’ASC, ainsi que le célèbre Robert Yeoman, ASC, directeur de la photographie de Wes Anderson. La discussion s’est avérée passionnante, la salle était pleine, beaucoup de questions du public dans une ambiance très détendue. La soirée se poursuit dans un bar de la vieille ville où, à l’invitation de Tommaso Vergallo pour Leitz, l’ensemble des membres de l’AFC présents se retrouvent. Je rencontre ainsi Aymerick Pilarski et Michel Benjamin que je n’avais jamais vus en personne !

Mercredi matin, je vais voir 200 meters, de Aymeen Nayfeh et photographié par Elin Kirschfink. Elle m’en avait longuement parlé la veille, j’étais donc curieux de le voir et je n’ai pas été déçu. Le scénario est brillant, plein de tours et détours, à l’image du trajet du personnage qui cherche à passer clandestinement de Cisjordanie en Israël pour retrouver son fils hospitalisé. Très beau travail empreint de naturel de la part d’Elin. La distance au comédien est toujours si juste… Au programme de l’après-midi, Denis Lenoir, AFC, ASC, avait proposé au festival de montrer les "essais comparatifs à l’aveugle des optiques plein et moyen format de cinéma" réalisés par Caroline Champetier, AFC, et Martin Roux. Ceux-ci étant absents, Aurélien Branthomme (manager technique workflow et couleur au sein du groupe TSF) et moi-même étions chargés de les présenter. Pour cette première projection, la salle n’était pas très remplie, je trouve que ces projections n’ont d’ailleurs été qu’assez peu promues au sein du festival à part quelques affichettes de ci de là, pas très bien placées. La réaction de l’audience a été en tout point conforme à celle constatée lors des précédentes projections, je ne développerai pas pour ne pas spoiler ceux qui ne les auraient pas encore vus. Beaucoup de questions sur la technique et la méthodologie employées, auxquelles je m’efforce de répondre de mon mieux, pas simple quand on n’a pas participé soi-même aux essais. Malheureusement un problème technique imprévu empêche Aurélien de présenter le travail de manipulation digitale des caractéristiques optiques d’un objectif effectué par lui et Martin Roux. Au Centre des Arts de Toruń, Bruno Nuytten, membre d’honneur de l’AFC, présentait, pour Camerimage, son magnifique travail photographique basé sur des images prises à l’iPhone tirées sur papier coton. J’ai trouvé impressionnant à quel point cette recherche sur la texture de l’image digitale effectuée par Bruno est d’actualité et rejoint nos préoccupations. Le questionnement de la technique par Nuytten est finalement toujours aussi pertinent… Et ce fut bien sûr l’un des sujets abordés lors de conversation entre la journaliste Yonca Talu et Bruno Nuytten qui se tenait en fin d’après-midi... On peut saluer l’excellente préparation de Yonca Talu pour ses choix d’extraits, et la pertinence de ses questions. Car ça n’est pas simple d’aborder ces sujets avec Bruno Nuytten qui est très critique dès que l’on aborde sa carrière et son travail de chef opérateur. J’étais pour ma part chargé de traduire en anglais les réponses de Bruno, un exercice dans lequel je suis novice mais dont j’espère m’être tiré sans trop de mal. Jean-Marie Dreujou, AFC, et moi étions ensuite invités à un dîner-débat organisé par Arri, modéré avec beaucoup d’humour par Nancy Schreiber, ASC, et au cours duquel j’ai pu mesurer à quel point nos essais à l’aveugle présentés plus tôt ne laissaient personne indifférent.

Ma seule obligation du jeudi était un rendez-vous organisé par Jean-Marie Dreujou avec Marek Żydowicz, directeur et fondateur du Festival, et Kazik Suwała, programmateur en chef et chargé des relations internationales. Nous avons pu leur exposer les projets auquel l’AFC pense pour les prochains festivals et eux-mêmes nous ont exprimé leurs envies et leurs attentes, notamment que les directeurs photo présentent plus leurs projets et également que nous fassions venir des comédiennes et comédiens au festival. Le reste de la journée, j’ai pu passer une journée de festivalier à discuter sur les stands des partenaires, à aller me promener dans la vieille ville et à aller au cinéma. Je retiens uniquement Eight for Silver, de Sean Ellis et éclairé par lui-même. Si ce film d’horreur offre quelques moments palpitants, il ne révolutionne pas le genre, en revanche la photo est très belle. Tourné dans un 35 mm anamorphique somptueux, les paysages hivernaux torturés de la campagne charentaise pleins de forêts tordues, de brumes traînantes et d’étangs noirs sont un vrai personnage du film. Le réalisateur est un ancien photographe et un chef opérateur accompli, il réside à Cognac, la méticulosité des repérages, du choix des axes et des heures de tournage en fonction de ceux-ci transpire donc à chaque plan, comme un cas d’école.

Le lendemain matin, la seconde projection des essais optiques était toujours relativement peu fournie en spectateurs, pour un résultat toujours aussi cohérent. Cette fois-ci Aurélien a pu présenter son travail sereinement pour le plus grand intérêt de l’auditoire. Je pense, à titre personnel, que cette présentation serait plus pertinente dans le cadre d’une étude plus globale sur les nouveaux outils numériques et optiques disponibles pour le travail de la prise de vues que cela soit en préparation, en tournage ou en postproduction. Que cela soit par ce qu’ils ne connaissent pas les technologies les plus récentes, ou bien car elles ne sont pas accessibles dans leur pays ou encore car leurs habitudes de travail sont ancrées différemment, un nombre assez marqué de spectateurs ne percevait pas le bénéfice potentiel du travail présenté, voire trouvait ça complètement inutile. Après cela, un rapide déjeuner avec Bojana Andrić, SAS, vice-présidente d’Imago, m’a redonné l’espoir que le projet Imago aboutisse à quelque chose d’utile dans lequel l’AFC aurait sa place. Ensuite il était déjà temps de repartir. J’espère pouvoir y retourner l’année prochaine… !

En vignette de cet article, trois photographies de Bruno Nuytten figurant sur l’affiche de son exposition.