Retour sur l’atelier FilmLight, les 11 et 12 novembre à Camerimage 2019

Par Thierry Beaumel pour l’AFC

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Toujours un grand succès pour les conférences de Filmlight, une longueur de queue pour accéder à la salle qui vous fait craindre le pire ! Philippe Ros, AFC, au nom du Comité technique d’Imago, introduit la conférence en rappelant les travaux sur les textures réalisés par la fédération et disponibles sur le site d’Imago. Le célèbre duo FilmLight des conférenciers sur la couleur est aux commandes : Daniele Sirugusano, Color Scientist, et Andreas Minuth, Colorist.
Le public assistant à la conférence - Photo Thierry Beaumel
Le public assistant à la conférence
Photo Thierry Beaumel

Première conférence
Daniele commence par la partie plus "théorique" sur la perception humaine et ses adaptations constantes.
La conférence commence par la visualisation d’une image fixe sur un visage au sujet duquel l’étalonnage va varier pendant quelques minutes, charge aux spectateurs de dire à la fin quels types de paramètres ont été modifiés. L’audience identifie des changements de contraste et de saturation pendant la durée de projection, tout le monde considère ces changements comme assez subtiles. Daniele nous compare alors en "cut" les différents points-clefs de son étalonnage dynamique : tout le monde est interloqué de voir à quel point les écarts sont importants tant en contraste (noirs très décollés et luminance écrêtée) qu’en saturation (presque du noir et blanc) mais encore plus surprenant, il a déformé la géométrie du visage pour rapprocher les deux yeux comme sur une caricature "grandes gueules". Personne, dans l’audience, n’a remarqué ce changement ! Tout cela pour démontrer la non fiabilité de notre vision dans le temps ou le cerveau reconstitue constamment ce que l’on croit voir en toute honnêteté. Il en résulte un doute sur l’intérêt de rester trop longtemps sur un seul plan en étalonnage !

Andreas Minuth et Daniele Sirugusano lors de la 1<sup class="typo_exposants">e</sup> conférence FilmLight - Photo Thierry Beaumel
Andreas Minuth et Daniele Sirugusano lors de la 1e conférence FilmLight
Photo Thierry Beaumel

Vont suivre d’autres expériences visuelles démontrant les adaptations permanentes de notre vision (et le manque de fiabilité de notre vision dans le temps). En regardant une image négative quelques secondes, après un "cut" sur une image toute blanche, on perçoit pendant quelques secondes l’image positive ! De même on peut rajouter la couleur sur une image noir et blanc après avoir vu uniquement la chrominance de cette même image…
Une autre expérience nous montre que si l’on applique du flou uniquement sur la partie chrominance d’une image (jusqu’à 60 %) l’image nous paraît toujours aussi nette alors que 5 % de flou sur la luminance nous rend de suite l’image floue. De même l’environnement joue beaucoup sur notre sentiment de neutralité (on perd en sensibilité à une couleur quand elle est dominante dans notre environnement), sans même parler de l’évolution de la colorimétrie de notre œil qui est de plus en plus chaude en vieillissant).

Quelques conclusions directes sur nos pratiques parmi une importante quantité d’informations : notre cerveau cherche toujours à rapprocher ce qu’il voit vers ce qu’il connaît. On peut renforcer la sensation d’une couleur ou d’une luminosité en préparant l’audience avec une couleur complémentaire ou luminosité inverse. On ne perçoit que les changements rapides. Il ne faut pas avoir peur d’une luminosité élevée, notre cerveau s’adapte naturellement. Une référence que l’on affiche régulièrement "remet les compteurs à zéro". A cause de cette adaptation on est incapable de comparer une image SDR et une image HDR en même temps (toujours faire une pause en passant d’un mode à l’autre).

Andreas Minuth, coloriste - Photo Thierry Beaumel
Andreas Minuth, coloriste
Photo Thierry Beaumel

Andy prend la parole pour nous parler du "développement des images numériques" en deux parties. Quelle est la position zéro de tous nos réglages d’étalonnage ("a zero fader position") suivie de quelques propositions de bonnes pratiques pour le développement d’un "look" spécifique et de l’étalonnage.

Il nous montre côte à côte le même fichier RAW développé par le soft du fabricant de la caméra, puis en ACES puis par FilmLight. Les trois images sont différentes, ce sont trois vérités, ni mieux ni moins bien mais légèrement différentes. Ce sera plus un choix artistique. Il faudra bien sûr tester avec un étalonnage radical en contraste, couleur, densité, le comportement de l’image dans les extrêmes.
En décomposant les paramètres du développement, Andy nous commente ses choix avec des exemples. Pour le "demosaicing", il recommande très vivement d’utiliser celui du fabricant contenu dans le "SDK" du constructeur. Pour le "scalling" (changement de taille de l’image entre la résolution du capteur et la résolution du programme que l’on fait), il n’y a pas de standard, les différents algorithmes seront plus ou moins performants suivant la quantité de "resize" à faire (si on tourne en 8K pour une sortie en 2K, c’est un paramètre très important). Il faut donc essayer, et bien sûr chaque soft d’étalonnage a ses propres "recettes" et choix possibles.

Andreas Minuth - Photo Thierry Beaumel
Andreas Minuth
Photo Thierry Beaumel

Ceux de FilmLight semblent très performants. Le réglage de la texture sera important à régler en fonction de la caméra mais aussi du type d’affichage. Un réglage général est à mettre dans le projet avec des modifications plan par plan au besoin. Eviter de trop pousser le "sharpen", d’autres outils peuvent être beaucoup plus efficaces et beaucoup moins destructifs (Texture Hightlight).
Il s’agit donc de construire un projet avec son "zero fader position" qui affichera une image "honnêtement plaisante" dans le sens artistique souhaité et assurant un workflow complet du projet. Ce projet de base ne devra pas être dépendant d’un type de sortie spécifique pour permettre un archivage "universel" ne limitant pas les sorties possibles à l’avenir (autre résolution, espace couleur, HDR…).

Ensuite nous allons pouvoir travailler sur le (les) "Look" du projet.
Le principe est de toujours travailler avec des outils globaux sur l’image qui assurent une robustesse sur l’ensemble du projet. Par exemple, un choix d’isolation (extraction d’une couleur) sera toujours à re-régler différemment plan par plan avec des défauts spécifiques à surveiller et donc toute solution plus générale sur la couleur devra être privilégiée ((Color Crosstalk, courbes…) pour permettre une plus grande rapidité de travail et une meilleure qualité générale.

Pour régler un problème sur l’image, il faut toujours essayer de trouver son origine (à quel moment du workflow apparait ce défaut) et le régler à ce niveau, plutôt que de rajouter un "layer" de plus en étalonnage à chaque fois, et "empiler" les couches indéfiniment.
Ne pas oublier que la capacité de définition des outils d’affichage peut être très différente. Par exemple, un projecteur DLP aura une définition (MTF) beaucoup plus petite dans les hautes lumières qu’un écran OLED ou LCD. Un réglage différent de l’outil de Texture Hightlight permettra de doser finement ce paramètre suivant la destination finale.

FilmLight nous propose une organisation de l’étalonnage respectant ces principes (de l’entrée de l’image dans la machine, en haut, à sa sortie, en bas) :
- Footage
- Scaling Algorithme
- Base grade
- Compress Gamut
- Layers d’étalonnage par plan, séquence…
- Layers de Look …
- Texture Hightlight
- Texture Equaliser
- DRT
- Mastering CS
- White Point.

Il faut évidemment être très vigilant sur les conditions de visualisation en salle d’étalonnage, de réflexion de lumière ou couleur sur l’affichage, aux pollutions possibles (sortie de secours), aux flares internes du système, de la salle, des spectateurs !

Deuxième conférence
Le lendemain, Daniele reprend la parole pour nous rappeler que le HDR n’est pas qu’une augmentation de la quantité de lumière, c’est une augmentation de la dynamique du système d’affichage en augmentant le niveau lumineux pour les blancs et diminuant le niveau de noir quand c’est possible (projection, LCD).
Concernant les prises de vues, l’image HDR se rapproche de ce que l’œil voit sur le plateau, le dosage des effets sera différent (on voit mieux les détails en haute lumière), le rendu des couleurs claires et saturées est beaucoup plus réaliste et n’est pas limité par l’affichage.
Le bruit est plus un enjeu car plus visible en HDR de même qu’une plus grande définition de l’image ou les détails, de la peau par exemple, sont plus présents et peuvent nécessiter un traitement particulier (Texture Hightlight Tool). Enfin, dans certains plans, le centre d’intérêt peut changer (lumières dans le champ ou décors extérieurs trop présents) et nécessite un traitement spécifique avec des outils plus fins.

Après autant de technique, Filmlight avait décidé d’inviter l’étalonneuse Elodie Ichter et le "color scientist" Matthieux Tomlinson, tous deux de la société Harbor pour le film Irishman. Le chef opérateur est Rodrigo Prieto, le réalisateur, Martin Scorsese.
Le film se déroule sur une longue durée et les deux personnages principaux seront rajeunis numériquement. Le chef opérateur souhaitait tourner tout le film en 35 mm mais les VFX ont insisté pour avoir les plans de rajeunissement tournés en caméra numérique. C’est donc un mix dans les mêmes séquences très réussi.

Andreas Minuth, Daniele Sirugusano, Elodie Ichter et Matthieux Tomlinson - Photo Thierry Beaumel
Andreas Minuth, Daniele Sirugusano, Elodie Ichter et Matthieux Tomlinson
Photo Thierry Beaumel

Elodie et Matthieux étaient là pour nous raconter le processus de travail sur le film d’un point de vue couleur et postproduction. Rodrigo Prieto amena avant le tournage des références d’images fixes ou animées (tableaux, photos, extraits de films…) afin de donner des pistes de réflexion. Matthieux, après discussion avec Elodie, construisit des looks "de base". Rodrigo revint étalonner des essais filmés dans le décor ou en studio mais avec costumes et morceaux de décor (jour, nuit, int., ext.). Elodie, avec Rodrigo, étalonna les essais avec les looks que Matthieux avait proposés. En parallèle sur un deuxième Baselight, Matthieux en écoutant les remarques de Rodrigo modifiait en temps réel les looks pour qu’Elodie puisse faire évoluer son étalonnage. Il en ressortit quatre looks principaux nommés : Kodachrome, Ektachrome, ENR ("bleach by pass" positif) et un ENR surdéveloppé d’un diaph. L’intérêt des outils numériques étant de pouvoir cumuler ces différents looks et de pouvoir doser en pourcentage et en zones d’actions (densités) le mélange de ces différents looks par séquences.

Elodie étalonna ensuite tous les rushes chaque jour au laboratoire avec ces looks, « ce qui est fondamental pour avoir la vision du film en montage ». Le tournage s’est réparti sur 6 mois (108 jours).
Après le montage, tous les plans 35 utilisés furent rescannés et conformés avec les VFX en provenance d’ILM qui s’occupa aussi du rajout de grain sur le numérique. Les plans de rajeunissement furent tournés en RED Helium et Matthieux rapprocha si bien les images de la RED avec les scans qu’Elodie ne voyait pas de différences de réaction en étalonnage. Elle utilise principalement les "printer light" comme outil de base (points de tirage). Matthieux insiste sur l’importance de toujours travailler dans un espace "camera refered" (espace couleur de la caméra) pour seulement au moment des déclinaisons convertir en "display refered" (espace couleur de diffusion : Rec 709, P3 ou Rec 2020). Le DI, en collaboration avec Yvan Lucas (chez Harbor), s’est passé facilement, sur quatre semaines (le film dure 3h30) ou le chef opérateur était constamment présent. Le master a été fait en P3 SDR en projection.
Il y a eu ensuite deux semaines d’étalonnage pour le master HDR et ses déclinaisons. Elodie trouva la "trim pass" du Dolby Vision rapide et facile.