Retour sur la 3e édition des Assises de l’éco-production
Anticiper, innover, fédérer sont les trois axes adoptés par Ecoprod pour les assises de cette année. Dès janvier, nous pourrons retrouver le PDF du Carbon Clap sur leur site, ainsi que les 120 premières productions labellisées Ecoprod.
Une plateforme d’éco-production à l’international sortira par ailleurs en février 2025. Son but est de créer un écosystème financier, humain, institutionnel, et d’améliorer les formations, ses outils et de donner plus de clarté dans le domaine de la production éco-responsable.
Après le Guide de la postproduction et des VFX éco-responsables sortiront deux nouveaux guides, l’un sur la réalisation et l’autre sur le scénario. Ces derniers ont un rôle fondamental dans l’éco-production, et c’était le sujet de la première table ronde de cette journée.
Table ronde "Écrire et réaliser une production éco-responsable : allier créativité et durabilité"
Avec :
- Claude Barras (réalisateur)
- Gildas Bonnel (fondateur de Sidièse - Groupe EPSA, président de la Fondation pour la Nature et l’Homme)
- Thierry Desmichelle (directeur général de SND et de M6 Films)
- Barbara Schulz (réalisatrice, scénariste et actrice)
- Modératrice : Lucie Trémolières (autrice, consutante, formatrice).
Le besoin d’une transformation culturelle
Les récits engagés participent à changer les représentations du monde. Ils peuvent rendre ringard certaines pratiques (par exemple, rouler en SUV), et au contraire en valoriser d’autres (se déplacer à vélo).
Claude Barras, dont le dernier long métrage d’animation, Sauvages, est sorti en octobre dernier en salles, décrit certaines dispositions mises en place pour limiter l’empreinte carbone de son film. Tous les chefs de poste ont dû réfléchir aux impacts écologiques de leurs départements, les transports vers le lieu de tournage se faisaient à vélo, et chaque technicien amenait son propre repas.
Barbara Schulz ne s’attendait pas à recevoir des retours sur le scénario de son dernier film, Le Secret de Khéops, avec un angle “environnement”. Elle évoque comment ces contraintes ont aussi été des opportunités pour elle de pousser plus loin la création.
Gildas Bonnel évoque la sociologie des publics. Les catégories aux réalités économiques plus précaires ont moins de pouvoir d’achat pour adopter des solutions plus durables. À qui parle-t-on en lançant des messages écologiques, et comment garantir leur impact ? Selon C. Barras, un film doit déclencher des débats en sortant de la salle, avoir un impact socio-écologique.
Ce besoin de transformation culturelle advient aussi dans les habitudes de travail. La keynote qui suit se plonge au sein de l’éco-production en milieux naturels (Guide des tournages en milieux naturels).
"Tournage et Biodiversité : au cœur de l’éco-production"
Avec :
- Marina Ezdiari (Responsable de projets écologiques chez Audiens et co-autrice du guide des tournages en milieux naturels)
- Mathieu Thill (Coordinateur d’éco-production).
Il est important de prendre en compte la biodiversité au-delà des émissions de CO2, surtout en milieux naturels. En effet, la pollution générée par les tournages, qu’elle soit sonore, visuelle ou olfactive, impacte fortement la faune et la flore locales. C’est le rôle du ou de la coordinateur
rice d’éco-production, métier né très récemment, de veiller à la préservation de ces dernières.Quelles solutions pour toujours améliorer l’impact des tournages ? C’est l’objet de la table ronde qui suit.
Table ronde "Retours d’expériences : l’éco-production, une innovation permanente"
Avec
- Carine Cottereau (responsable RSE - Prodigious France Publicis)
- Valérie Valéro, ADC (cheffe décoratrice)
- Laurent Héritier (directeur d’exploitation Éclairage-Énergie - Transpalux)
- Hanna Mouchez (fondatrice et directrice générale de MIAM ! Animation)
- Modérateur : Baptiste Heynemann (président d’Ecoprod, délégué général de la CST)
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Autour de cette table ronde, chaque intervenant
Laurent Héritier explique que pour le groupe Transpa par exemple, une réflexion est engagée pour diminuer l’empreinte carbone due à la production d’énergie sur le plateau. Le branchement secteur reste le moins impactant (20 fois moins carboné que le groupe électrogène classique). La production d’énergie par les batteries reste encore marginale pour la lumière. La mutation des groupes existants vers une énergie moins carbonée en les passant au biocarburant (le biocarburant XTL fabriqué à partir de déchets) est pour le moment la solution la plus souple.
L’utilisation de solutions hybrides (batteries/ biocarburant) est aussi d’actualité.
Valérie Valéro (cheffe décoratrice) évoque ainsi La ressourcerie du cinéma. En effet, 20 % de l’empreinte carbone d’un film est due aux décors. Une accumulation de petits gestes fait la différence. La ressourcerie du cinéma permet de réutiliser et recycler des décors ou leurs éléments. Hanna Mouchez partage les diminutions significatives d’émissions carbone dans la production de films d’animation chez MIAM ! animation.
Ecoprod rappelle que la transition ne concerne pas que la production, mais bien toute la chaîne de création. Il est important d’adopter une lecture environnementale et sociétale des scénarios.
Cette chaîne de création est toute entière concernée et impactée par le développement de l’IA ces dernières années.
Intelligence Artificielle et éco-production
Avec :
- Landia Egal (autrice-réalisatrice, productrice (Tiny Planets) et experte environnementale).
L’IA, présente dans toutes les étapes de production, a de gros impacts environnementaux et sociaux. Les data centers impactent les ressources locales. Est cité l’exemple d’un secteur autour de Grenoble, où se trouve une source d’eau particulièrement pure, privatisé pour des data centers, obligeant les habitants à changer leur approvisionnement, et donc à perdre en qualité d’eau et de vie.
Concernant les scénaristes, l’IA risque d’uniformiser les contenus. Cette technologie crée des dépendances, cela a des impacts cognitifs, surtout si elles sont utilisées dès le plus jeune âge.
Existe-t-il des solutions ? Landia Egal en liste quatre :
- Se former, maximiser les externalités positives et restreindre les négatives. (Reste à comprendre comment le faire concrètement)
- Refuser que ses œuvres soient utilisées par les IA
- Faire pression, demander de la transparence sur la consommation énergétique des IA
- Proposer d’autres cultures et combats politiques, une révolution culturelle face au capitalisme déraisonné, ne pas être que dans la “tech-solution”.
Face à tous ces enjeux, il est nécessaire de créer des conditions favorables à l’éco-production. La dernière table ronde de la journée les explore.
Table ronde "Créer les conditions de l’éco-production : des éco-systèmes financiers, humains, institutionnels à déployer"
Avec :
- Thierry Hugot (responsable de programme et contrôleur financier - Eurimages Conseil de l’Europe)
- Leslie Thomas (secrétaire générale du CNC)
- Anne-Claire Telle (directrice de l’Engagement de Mediawan, vice-présidente d’Ecoprod)
- Marine Schenfele (directrice RSE de Canal+ Europe)
- Livia Saurin (secrétaire générale adjointe de France Télévisions)
- Agathe Lanté (journaliste).
Il existe une éco-conditionnalité des aides du CNC depuis janvier 2024 (pour les films en prise de vues réelles). Les contraintes “écolos” sont intégrées mais restent souvent “compliquées” à mettre en place. Les émissions de CO2 dans le secteur ne baissent pas (encore moins avec le développement de l’IA). Il y a aussi un problème d’harmonisation entre les pays en cas de co-productions internationales. Les distribut
eur rice s et producteur rice s se trouvent parfois démuni e s, ne savent pas quoi/comment faire et se posent évidemment la question des coûts de l’éco-production.Par ailleurs, au niveau de la représentation à l’image, la transition environnementale n’est pas attractive pour le public. Certains films, à l’image de Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent, ont marqué les esprits mais ils restent des exceptions.
Livia Saurin souligne l’importance d’apporter des réponses aux besoins d’éco-production avec les infrastructures. Dans les studios de France TV, une attention est donnée au fait de mettre à disposition un maximum d’éléments directement sur place, afin d’éviter les transports et achats.
Leslie Thomas (CNC) précise qu’il n’y aura pas de formation obligatoire similaire à celles des VHSS. Selon elle, il est difficile d’imposer une autre obligation de formation en cette période, c’est à séquencer.
L’invité d’honneur
La journée s’est conclue avec Jean-Marc Jancovici, ingénieur, professeur, auteur, associé et co-fondateur de Carbone 4. Il était accompagné de Maxime Thuillez, rédacteur en chef de Greenletter Club. Le podcast de cet échange est disponible sur diverses plateformes (ici Deezer).
« Personne ne sait comment sera le futur, on ne connaît que les menaces : il faut se motiver à avoir peur de quelque chose qui n’est pas encore arrivé », commence J.-M. Jancovici. Difficile donc de représenter et d’être crédible sur les conséquences du réchauffement climatique à l’écran.
Le déclin pétrolier général auquel nous sommes confrontés aujourd’hui amène des troubles politiques, l’activité économique réelle baisse à cause du déclin de l’énergie. Afin d’atteindre la neutralité carbone au plus vite, il faudrait une économie de guerre selon J.-M. Jancovici : « Si on est sérieux sur la nécessaire réduction de 5 % par an [des émissions de gaz à effets de serre], on contractera l’économie réelle de 3 à 4 % par an. C’est un Covid par an. La probabilité que l’audiovisuel en sorte indemne paraît peu probable ».
« Si l’on ne baisse pas volontairement les indicateurs on subira une baisse et nos activités seront bloquées, les chocs externes vont augmenter (inondations, incendies, coupures d’énergie…). Dans un monde en récession structurelle, que garde-t-on, quelles sont nos priorités ? Manger, avoir un téléphone, rouler en voiture, prendre l’avion ? Les actions les plus rapides sont générées par des chocs (guerres, pandémies…). Nous sommes biologiquement “câblés” pour suivre nos habitudes, elles sont des facteurs de survie, nous sommes donc faits pour les changements lents », rappelle J.-M. Jancovici. Mais il est impossible d’avoir des changements rapides dans la douceur : pour cela il faut un choc.
Concernant l’audiovisuel, un gros sujet est celui de la diffusion : l’empreinte carbone du digital représente 4 % du CO2 mondial. Est-il possible d’avoir un secteur qui croît avec des baisses d’émissions carbone ? Très difficile et peu probable.
Trop de libéralisme technologique, est-il possible de le contraindre ?
J.-M. Jancovici propose d’imposer aux entreprises d’avoir l’autorisation d’exercer tant que leur empreinte carbone ne dépasse pas un certain seuil. C’est déjà le cas dans certains secteurs, comme celui des batteries. « Cela permettrait de devenir créatif quant au fait de mettre de la 4K sur les téléphones », plaisante J.-M. Jancovici.
Dans le public, on demande à J.-M. Jancovici « quelles histoires aimeriez-vous voir à l’écran ? ». Il répond qu’il est plus facile de décrire les choses « à ne pas faire » que ce qui est « à faire ». Pour adhérer à une histoire il faut jouer sur les émotions, pour y parvenir il faut marier les compétences techniques avec les créatives, avoir une mixité d’approches. On doit pouvoir se reconnaître et s’incarner dans les personnages.
« Faut-il s’interdire l’IA pour des raisons écologiques et créatives ? » J.-M. Jancovici cite Cédric Villani et ses conférences sur l’IA et ses modes d’apprentissage : le logiciel répète, il n’invente pas. On a toujours besoin d’auteurs et d’autrices.
« La créativité et l’écologie sont-elles un antidote à la destruction ? » J.-M. Jancovici répond que ça n’est pas suffisant. « Les humains sont aussi des animaux paresseux et accumulatifs. La pulsion destructrice vient de l’accumulation, on veut toujours plus. L’antidote à cela est que nous sommes aussi des animaux sociaux, le statut social compte énormément. La reconnaissance sociale inverse la pulsion animale. La créativité peut y contribuer mais ne peut pas y arriver seule. »
J.-M. Jancovici se considère malgré tout optimiste. « Optimisme et analyse sont deux choses différentes. Il faut être optimiste, de là vient l’action. » Il est par ailleurs important d’agir avec discernement car on peut parfois empirer les choses.
Il faut de la lucidité et de l’enthousiasme. Une autre nature humaine est la curiosité, le fait d’entreprendre de nouvelles choses, aller ensemble vers de nouvelles solutions.
Lire le compte rendu des assises sur le site Internet d’Ecoprod
(Compte rendu rédigé par Laurine Desmare Malvestio pour l’AFC)