Retour sur la Conférence Femmes à la Caméra au Paris Images AFC Events 2022

Par Margot Cavret pour l’AFC

Contre-Champ AFC n°328

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Le 20 janvier, pour inaugurer l’AFC Events organisé dans le cadre du Paris Images 2022, le collectif Femmes à la Caméra a tenu une table ronde réunissant plusieurs directrices de la photographie européennes. Le collectif a également été présent pendant toute la durée de l’événement, à travers un stand offrant la possibilité aux visiteuses et visiteurs d’essayer divers systèmes d’optimisation de l’ergonomie en caméra portée.

Depuis sa création il y a quatre ans, le collectif Femmes à la Caméra compte parmi ses objectifs une ouverture vers l’international, afin d’échanger et de questionner les situations des femmes sur les plateaux de tournage à travers le monde. De nombreux collectifs ou associations similaires ont en effet vu le jour face à la prise de conscience collective du manque d’égalité dans les filières de la production cinématographique.

Les invitées* de la table ronde y ont présenté leurs divers associations et collectifs, et ont pu comparer les différentes actions menées. Ces groupements soutiennent et diffusent notamment les études et rapports menés dans leur pays, chiffrant le déséquilibre homme-femme dont souffrent les métiers du cinéma. Si les pourcentages montrent que la parité est un objectif loin d’être atteint, quel que soit le pays, ils se montrent également dégressifs à mesure que les budgets alloués aux films augmentent, démontrant l’absence de confiance que leur accordent encore les producteurs sur des postes à plus grandes responsabilités.

Les différentes associations et collectifs se retrouvent dans leur sentiment d’entraide, d’inclusion et d’ouverture. Ce sont des espaces de parole et d’échange, où les femmes cinéastes s’entraident, techniquement et psychologiquement, et partagent leurs carnets d’adresse. Plusieurs ont mis en place des systèmes de mentorat ou de parrainage, comme le programme "one-to-one" en Espagne, qui permet aux jeunes cheffes opératrices d’entrer en contact avec une cheffe opératrice plus expérimentée. Leur ouverture sur le monde inclut aussi la possibilité pour les femmes n’ayant pas de rassemblements de les rejoindre. Femmes à la Caméra est notamment en train de faire traduire son site Internet en anglais, afin d’être plus accessible pour d’éventuelles adhérentes étrangères. En effet, dans plusieurs pays, aucun collectif n’existe, tout simplement car les femmes cinéastes n’y sont pas assez nombreuses. En Serbie, il n’y a que quatre cheffes opératrices adhérentes à la SAS, l’association des directrice et directeurs de la photographie. L’une d’entre elles n’exerce plus en Serbie. Il n’y a par ailleurs aucune technicienne cheffe machiniste, cheffe électricienne ou opératrice Steadicam. Bojana Andric, venue témoigner de la situation en Serbie, s’est rabattue sur les associations internationales, notamment l’"International Collecitve of Female Cinematographer". Elle détaille son parcours personnel, les difficultés rencontrées : « Il n’y a pas d’agent ni de syndicat en Serbie, donc pas de soutien ni de sécurité. Il n’y a pas non plus de système d’encouragement à la mixité de la part des pouvoirs publics. Il faut être persistante et déterminée, constamment prouver qu’on n’est pas faible, donc ne jamais se plaindre des conditions de travail. Aujourd’hui je suis respectée sur les plateaux de tournage, à égal des hommes, mais j’ai dû lutter plus qu’eux. Beaucoup de femmes abandonnent ou changent de poste. Pourtant à l’école de cinéma de Belgrade, il y a plus de filles que de garçons ». Bojana Andric est désormais vice-présidente de la SAS et d’Imago.

Bojana Andric sur le tournage de "Jesen Samuraja" - Photo Nataša Ilić, Marko Vlaović
Bojana Andric sur le tournage de "Jesen Samuraja"
Photo Nataša Ilić, Marko Vlaović

En Allemagne, Miriam Kolesnyk délivre un constat similaire : bien que les femmes représentent 25 % des élèves en écoles de cinéma, elles ne sont plus que 10 % à être cheffes opératrices sur les plateaux. De son point de vue, ce sont surtout les mentalités des décideurs, notamment des producteurs et des productrices, qu’il faut changer. Elle témoigne d’un florilège de préjugés sexistes auxquels son réseau de collègues cheffes opératrices a régulièrement eu à se confronter : l’idée qu’une cheffe opératrice ne puisse pas être embauchée sur un film réalisé par une autre femme, par exemple, afin de ne pas manquer d’un regard masculin (par contre, un film où seuls des hommes assureraient la réalisation et la direction de la photographie semble beaucoup moins problématique) ; ou bien l’idée qu’une femme ne puisse pas être cheffe opératrice car les caméras sont trop lourdes. « Pourtant », commente-t-elle, « personne n’a jamais pensé à dire à une femme qu’elle ne pourrait pas être mère car elle serait incapable de porter un enfant de trois ans ! ». Les associations dont elle est membre (Cinematographinnen, qui regroupe des femmes cheffes opératrices, et Pro Quote Film, qui rassemble des femmes actives dans différents départements du cinéma) lui permettent de lutter plus efficacement contre ces stéréotypes persistants qui rendent l’accès aux hauts postes techniques beaucoup plus laborieux pour les femmes que pour les hommes. La BVK, l’association allemande, est notamment en train de corriger son site Internet pour rendre le nom du métier neutre. En Autriche également, l’appellation n’est plus genrée dans l’association des cheffes opératrices et chefs opérateurs, on dit « gens à la caméra ». En Espagne, l’AEC a été renommée il y a cinq ans, pour devenir l’association des directeurs et des directrices de la photographie. En France, les membres de Femmes à la Caméra espèrent que l’AFC suivra bientôt la tendance. Car au-delà d’un symbole, l’inclusion des deux genres dans les dénominations et les discours permet de rendre visibles et légitimes les femmes cheffes opératrices.

Car même si, en France, certaines femmes cheffes opératrices ont une grande renommée, les chiffres n’en sont pas moins alarmants. Surtout, ils vont à l’encontre de l’idée générale consistant à penser que la situation est en train de s’améliorer : entre 2010 et 2019, et hormis le pic des 15,6 % atteint en 2014, la part de femmes directrices de la photographie sur les films de fiction d’initiative française stagne entre 8 et 12 %, sans montrer aucun signe d’évolution.

Source des graphiques ci-dessus L’Union de Chefs Opérateurs

Le collectif compte aujourd’hui 112 membres, de toute la filière de l’image (cheffes opératrices mais également assistantes caméra, cheffes électriciennes, cheffes machinistes, DIT, etc.). Elles organisent des réunions mensuelles et des groupes de conversations sur des points plus précis. Elles sont engagées dans la lutte contre le harcèlement et prévoient une campagne d’affichage chez les loueurs afin de prévenir les risques et d’informer sur le comportement à adopter, les numéros à appeler. Elles mettent aussi régulièrement en place des sessions d’essais chez les prestataires et des événements, comme une table ronde en mars sur la maternité, ou bien celle relatée ici, qui a été suivie par des sessions d’essais d’équipements de caméra portée.

Comme le rappelait avec esprit Miriam Kolesnyk durant la présentation, le problème de la caméra portée n’est pas le poids de la caméra. Cependant, on constate que les constructeurs, notamment ceux engagés dans la production de systèmes d’accompagnement à la caméra portée de type Easyrig, se sont laissés leurrer par l’invisibilisation des femmes cheffes opératrices, ou du moins ont joué le jeu de la majorité, et ont conçu leurs équipements en se basant sur des corpulences masculines. Femmes à la Caméra proposait donc un atelier pendant toute la durée de l’événement Paris Images, permettant de tester différents modèles, dont certains ont été revus par leurs constructeurs afin de s’adapter aux plus petits gabarits. L’atelier est surtout à destination des femmes, mais quelques hommes ont également tenté l’expérience, démontrant que l’importance d’ouvrir la gamme à des gabarits sortant des normes est un sujet transversal. Cependant, l’expérience ne s’est pas montrée concluante pour toutes et tous. Diminuer les dimensions d’un équipement n’est visiblement pas le seul aménagement à faire lorsqu’on souhaite le rendre vraiment ergonomique pour une femme : les sangles de serrage situées au niveau de la poitrine en auront gêné certaines, d’autres auront été ennuyées par la coupe droite, sans prise en compte des hanches généralement plus larges que le buste du corps féminin. Même la réduction des tailles ne se montre pas si drastique qu’elle le promettait : du haut de mes 159 cm, je n’ai pas trouvé de modèle suffisamment réduit pour me garantir un équipement vraiment confortable [NDLR - MC]. Le chemin est encore long jusqu’à l’égalité donc, de la construction du matériel à la conception des films, et celui-ci passera par la prise de conscience généralisée et l’évolution en profondeur des mentalités, encouragées par des associations et collectifs essentiels comme Femmes à la Caméra.

Les différents équipements proposés à l'essai sur le stand de Femmes à la Caméra
Les différents équipements proposés à l’essai sur le stand de Femmes à la Caméra

* Aux côtés de Nathalie Durand, AFC, Pascale Marin, AFC, et Céline Pagny, toutes trois membres de FALC, participaient Bojana Andric, SAS, Miriam Kolesnyk, BVK (Cinematographinnen, PQF), Elisabet Prandi, AEC (CIMA, Dones Visuals, Directoras de Fotografia) et Marie Zahir, BVK (Cinematographinnen, FC Gloria).

En vignette de cet article, les participantes à la Conférence de Femmes à la caméra (de g. à d. : Marie Zahir, Miriam Kolesnyk, Elisabet Prandi, Céline Pagny, Bojana Andric, Pascale Marin, Nathalie Durand) – Photo Jean-Noël Ferragut