Retour sur la conférence Zeiss où Laurent Tangy, AFC, parle de son expérience avec les Supreme Prime Radiance
Par Margot CavretLe film BAC Nord est attendu pour Noël, sous réserve que les salles puissent ré-ouvrire d’ici là. En attendant, une bande annonce est disponible, révélant par petites touches l’esthétique singulière du film. Laurent Tangy nous confie que pour ce film, il n’y a pas eu d’échange de références entre lui et le réalisateur : « C’était surtout les lieux, visiter les endroits ». Adapté d’une histoire vraie, le film puise aussi dans le vécu du réalisateur, qui a grandit dans cette banlieue nord Marseillaise, dans cet univers dangereux et baigné de soleil, chaud, dans tous les sens du terme. « Cédric connaît bien l’endroit, comment ça se passe. Il sait ce qui fait vrai et ce qui sonne faux. »
Car la force du film, semble-t-il, est d’osciller joliment entre une image brute, réaliste, et une esthétique plus stylisée, colorée et contrastée. Le chef opérateur et le réalisateur, bien que très attachés à ne pas dénaturer l’histoire, gardent en tête qu’ils tournent une fiction et non un documentaire. Du choix des décors (proches, mais pas tout à fait les mêmes), au choix du matériel, et au traitement appliqué aux images.
C’est ce décalage subtil entre cinéma et réalité qui a porté le choix de Laurent Tangy vers la Sony Venice, utilisée en 2,39:1 et en 6K (pour une sortie 4K), et surtout vers les Supreme Prime Radiance. Il avait en effet l’habitude jusqu’alors de travailler en Arri Alexa et il souhaitait pour ce film allier la définition d’une LF et la mobilité d’une Mini (le film est en grande partie tourné à l’épaule et comporte de nombreuses scènes de voiture). Il cherchait également à aller vers une image plus colorée, et c’est ce qui l’a incité à se tourner vers la dernière née de Sony. Pour les objectifs, son premier choix aurait été de se tourner vers des objectifs vintage mais à ce sujet, Yov Moor apporte un point de vue intéressant. En tant qu’étalonneur, il remarque qu’on peut moins retravailler la texture offerte par une série vintage, celle-ci propose déjà son piqué, sa répartition, son vignettage. Il vaut mieux accompagner cette esthétique qu’essayer de la forcer en sens inverse car le rendu sonne souvent faux.
A l’inverse, une série moderne est plus malléable à l’étalonnage, on peut plus facilement l’adoucir, retravailler sa texture. Sans parler des séries de focales, bien mieux alignées avec des objectifs récents. Les Supreme Prime Radiance ont immédiatement séduit l’équipe, présentant à la fois un look atypique rappelant une série vintage et une grande qualité optique. Par ailleurs, les objectifs couvrent la large étendue du capteur de la Venice. La série propose notamment de très jolis flairs bleutés, que Yov et Laurent ont décidé de laisser tels quels, sans opérer de correction colorimétrique ou d’atténuation. Leur effet doux et naturel s’intègre parfaitement dans l’esthétique du film.
Le duo prépare des LUTs en amont du tournage mais le printemps parisien sous lequel ils préparent ces presets n’a rien à voir avec l’été marseillais. Les LUTs sont ajustées. Pour contenir un peu ces hautes lumières, Laurent utilise également des diffusions Glimmer de Tiffen. De plus, le film dispose d’une version HDR, demandé par Studio Canal. « C’est un exercice intéressant », juge Yov Moor, « car le HDR nous empêche de tomber dans un style cliché de film policier, type "sans blanchiment", etc. Le HDR nous a forcé à aller vers une image plus moderne. C’était intéressant de faire une fiction avec moins de codes qui ne se cachent pas derrière un style. C’est très naturel, c’est une image sincère, authentique. »
Le film, tourné à deux caméras, avec des prises longues et des focales courtes, propose de nombreuses scènes d’action, et donc un montage dynamique avec beaucoup de plans. Pourtant, l’étalonnage, fait sur Baselight, est assez rapide. Avec les LUTs comme référence et cette envie d’un rendu naturel, il y a peu de "patates", l’ajustement est général et assez régulier. Cependant, un travail sur la définition est apporté, s’adaptant parfois à l’histoire : elle est plus tranchée sur les scènes de violence, plus douce sur les passages romantiques. Le master est fait en SDR (la version HDR est affinée après sur la base de ce master SDR) et en 4K. Ils profitent de la diminution de la résolution entre les rushs et le fichier fini pour jouer sur les paramètres de "downscale" en forçant la résolution.
Selon Yov Moor, on assiste, peut-être en ce moment, au basculement entre une norme SDR, celle du cinéma, et une norme HDR, celle des plateformes de streaming, en plein essor à l’aide du confinement. Il fait le parallèle avec la transition entre la pellicule et le numérique. D’ailleurs, le film avait été pensé en pellicule à la base mais pour des question pratiques, notamment liées aux nombreuses scènes de voiture, Laurent Tangy a finalement renoncé à ce projet. Et finalement, le film y a peut-être gagné, poussant très loin le questionnement sur la définition, cherchant sans cesse la bonne frontière entre "trop sharp" et "trop soft", l’équipe semble s’être emparée parfaitement des nouveaux questionnements posés par le numérique, la course à la résolution et à la précision, pour en faire, bien plus qu’un paramètre technique, un réel inducteur de sens et d’esthétique.
Margot Cavret est étudiante en 3e année Cinéma à l’ENS Louis-Lumière.
Les images illustrant cet article sont des photogrammes issus de BAC Nord, photographié par Laurent Tangy et étalonné par Yov Moor.