Retour sur la rencontre avec Jean-Jacques Annaud et Jean-Marie Dreujou, AFC

Par François Reumont pour l’AFC

Le réalisateur Jean-Jacques Annaud et son directeur de la photo actuel, Jean-Marie Dreujou, AFC, ont profité de leur présence à Camerimage pour montrer en avant-première les deux premiers épisodes de la série "La Vérité sur l’affaire Harry Quebert", annoncée en diffusion pour le mercredi 21 novembre, à 21h sur TF1. Une mini-série de 10 épisodes adaptée de l’œuvre de Joel Dicker (prix Goncourt des lycéens 2012). Tourné au Canada (bien que censé se dérouler dans le Maine), ce thriller sur deux époques, produit en anglais avec un casting et une mise en image très couleur locale rassemblant à l’écran Patrick Dempsey (dans le rôle titre), Ben Schnetzer et Damon Wayans Junior. A l’issue de la projection, les deux cinéastes se sont prêtés à une série de questions-réponses avec l’assistance.

Questionné sur l’importance de sa relation avec le DoP, le réalisateur français insiste sur les différents couples qui se forment au fur et à mesure la production d’un film : « Le premier couple, c’est celui entre le réalisateur et scénariste. À la base de tout le projet. Ensuite, il y a celui avec le chef opérateur et selon les projets le directeur artistique pour les décors. Vient ensuite le tour du monteur, puis enfin de la collaboration avec le compositeur de la musique. Ce que j’apprécie par-dessus tout avec Jean-Marie, c’est son habilité à comprendre le scénario et à dépasser son simple statut de technicien sur le plateau. Par exemple, à la sortie d’une prise, il va rarement me parler de la lumière ou de la caméra, mais toujours des comédiens et de l’intensité ou de l’émotion qu’il a pu ressentir a l’œilleton de la caméra. »

Interrogés sur leurs méthodes de travail, le réalisateur et le chef opérateur confient travailler en permanence à plusieurs caméras. « Minimum trois, souvent cinq, et parfois même sept, selon les scènes », explique Jean-Jacques Annaud. Pas plus d’une prise ou éventuellement deux car sur une série télé où il faut produire 10 épisodes en 80 jours de prises de vues, on n’a tout simplement pas le temps de faire autrement. La caméra 1 couvre l’axe principal en plan large, la caméra 2 s’occupe du contre-champ, tandis que la caméra 3, cadrée en général par Jean-Marie, s’occupe du gros plan. Avec en outre des mouvements de caméra, sur grue ou sur dolly, et une sorte de chorégraphie de manière à ce que certaines soient cachées par rapport à d’autres en fonction du décor. »

Sur l’utilisation des optiques, Jean-Jacques Annaud avoue adorer les zooms et toujours vouloir être plus près des comédiens au fur et à mesure des répétitions. « Sur L’Affaire Harry Quebert, j’ai même décidé de tourner les répétitions, pour obtenir un maximum de matériel au montage. Ayant moi-même devant le combo une poignée de contrôle de zoom, je me retrouve souvent en bout de course au 380 mm, alors que le zoom a en plus été équipé d’un doubleur, ce qui ne rend pas toujours les choses faciles au cadreur, surtout quand il est aux manivelles ! »

Sur la question de la différence entre tourner pour le cinéma et tourner pour la télévision, le réalisateur avoue ne pas trop voir la chose en ces termes. « Au début, les producteurs m’ont même proposé d’adapter le livre en long métrage. Mais vu la densité de l’œuvre, je me suis tout de suite dit que la série télé était le format idéal. La seule grosse différence, comme je l’expliquais, c’est le fait d’être limité en temps et la nécessité de capturer les émotions et le jeu des comédiens dans l’action. »

Interpellé sur les nécessaires compromis en lumière que peut occasionner la présence d’autant de caméras sur le plateau, le directeur de la photo se défend : « A partir du moment où vous préparez consciencieusement le tournage avec l’aide du réalisateur, que vous construisez les décors en fonction de la lumière ou que vous choisissez les lieux et les créneaux horaires de tournage, pour moi, il n’y a aucun compromis sur l’image de chaque caméra », explique Jean-Marie Dreujou. « Certes les choses peuvent être complexes à mettre en place mais c’est ce travail en amont - et sur le plateau - de plusieurs mois qui aboutit au look final, en intégrant bien sûr tous les postes, du chef décorateur à la costumière en passant aussi par le maquillage. »
Jean-Jacques Annaud ajoute : « Sur cette mini-série, un des enjeux était de traduire à l’écran les deux époques sur lesquelles l’histoire se déroule. En l’occurrence les années 1970, puis les années 2000. Pour cela, on est parti dès la préparation sur une image plutôt moderne et numérique pour le présent proche, tandis que le passé irait plus vers des dégradés de brun, un peu comme une image Kodachrome et fortement diffusée. Pour cela, je me suis souvenu des premiers films de Ridley Scott et j’ai fait un peu comme lui en utilisant pas mal de fumée ! »

Enfin, questionné par un étudiant sur les qualités nécessaires d’un bon réalisateur, Jean-Jacques Annaud avoue manquer de temps pour répondre correctement la question. « J’ai quand même quelque chose à vous confier : sur un plateau, il n’y a qu’une seule personne qui puisse tout foutre en l’air, c’est le réalisateur. Et le talent de tous les autres s’ajoute au sien pour que le projet soit réussi. Donc c’est très important de ne pas être hostile avec son équipe et d’essayer de tirer le meilleur du script qu’on vous a confié. Au pire de ne pas le bâcler ! »