Retour sur le Prix Vulcain 2016
Par Clément Clareton, ENS Louis-Lumière, membre du jury- Claudine Taulère, scripte et présidente du jury,
- Patrick Bézier, directeur général du groupe Audiens,
- Jean-Yves Mirski, délégué général de la Ficam,
- Ludovic Naar, directeur de production,
- Bernard Plégat, exploitant,
- Gao Xixi, réalisateur chinois.
J’en profite encore une fois pour tous les remercier chaleureusement pour leur bienveillance à mon égard, leurs conseils, leurs anecdotes, ainsi que pour les discussions passionnantes que nous avons pu avoir.
Le prix Vulcain récompense un Artiste Technicien, quel que soit son domaine : image, son, montage, effets spéciaux, costumes, maquillage, coiffure, décors. Il n’est pas question de mise en scène, d’écriture ou encore de composition musicale. C’est un exercice assez particulier, et comme nous l’avons évoqué à plusieurs reprises dans nos débats, un film est à la fois une œuvre unique et collective, un tout formé par le travail d’une multitude d’artistes techniciens (un terme qui souligne cette dualité).
Il est donc impossible de parler de la technique d’un film sans prendre en compte sa globalité et donc son histoire. Il s’agit ainsi d’évaluer comment la technique peut entrer au service d’une narration, sa place doit y être cohérente et non ressortir comme une performance à elle seule.
Ce fut l’occasion de réfléchir à des questions importantes sur le cinéma actuel, dans des conditions optimales. Toujours bien assis dans la grande salle du Palais des Festivals, nous avons pu profiter de projections exceptionnelles, supervisées par Pierre-William Glenn en personne, avant de discuter de chaque film entre les projections. On ne vit plus que pour le cinéma, la sensation d’immersion est finalement assez proche de celle que l’on peut ressentir en tournage : on s’installe dans une routine, le monde extérieur s’estompe, les films prennent toute la place dans nos têtes...
Une sélection cannoise est un "instantané" de la production cinématographique mondiale, comme me l’ont si bien fait remarquer mes collègues du jury. Ainsi, on peut y voir certaines tendances ressortir, que ce soit dans les thèmes, ou dans les techniques.
Cette année, les deux thématiques principales étaient celles de la famille et du sexe, des thématiques propices à des films plus intimes donc. Pour ce qui est de la technique, je dois avouer être resté sur ma faim, tout comme le reste du jury. Certes, contrairement par exemple à Camerimage en Pologne auquel j’ai eu la chance d’assister fin 2015, qui faisait la part belle aux faiseurs d’images, Cannes se veut plus ouvert vers un cinéma plus "indépendant".
Il n’empêche que peu de films cette année ont fait preuve d’une véritable audace technique. Nous avons notamment soulevé la question du "look" numérique que l’on retrouve de plus en plus : une image souvent peu contrastée, peu saturée, très discrète – ce qui peut être tout à fait à propos comme dans le très juste I, Daniel Blake, de Ken Loach. Est-ce vraiment lié au numérique ou est-ce plutôt un phénomène de "mode" ?
Cette question a d’autant plus fait débat après la projection en 35 mm de Juste la fin du monde, de Xavier Dolan, qui nous a rappelé à tous – surtout à moi – la chaleur du grain de la pellicule. L’image d’André Turpin nous a tous séduits, à la fois douce et contrastée, et une maîtrise du gros plan (bien que son utilisation systématique en a agacé certains). La photographie de Loving, de Jeff Nichols (tourné en pellicule) nous a également marqués, magnifique hommage aux grands peintres de l’Americana, de Hopper à Rockwell.
Mais le film qui nous aura le plus fait parler de son image était The Neon Demon, de Nicholas Winding Refn, photographié par Natacha Braier. Dès son générique qui évoque les grandes heures de James Bond, le film nous en met plein les yeux avec son esthétique de clip ultra référencée, en parfaite harmonie avec propos du film. Que l’on aime ou que l’on n’aime pas, on ne peut que saluer le travail apporté aux ambiances radicalement différentes en fonction de la séquence, ainsi que le travail d’étalonnage impressionnant de maîtrise.
Au niveau du son, c’est le mixage de American Honey qui nous a séduits, avec un placement de la voix plus subtil qu’il n’y paraît au milieu de cette marée assourdissante de musique et de basses dans laquelle ce groupe de jeune semble se noyer.
Mais notre coup de cœur reste Mademoiselle, de Park Chan-wook, projeté en début de festival. Après l’avoir découvert, nous ne pouvions nous empêcher de comparer chaque film à celui-ci (un des inconvénients de voir autant de films en si peu de temps). Très inventif dans son montage (image et son), impeccablement photographié, mais surtout, doté d’une magnifique direction artistique. Le débat a été assez long, entre ce film et The Neon Demon, mais nous avons finalement décidé de récompenser le travail de Ryu Seong-hie, Production Designer de Mademoiselle, pour son travail exceptionnel de cohérence sur les décors, les costumes, et le visuel général du film.
Le reste était parfois très bon sur le fond, moins sur la forme. Ce qui m’a plutôt donné envie de soigner l’aspect technique dans mes futurs travaux. J’ai personnellement été très touché par Paterson, de Jim Jarmusch, magnifique petit film sur les choses simples de la vie que je me surprends à conseiller à tous ceux que je croise depuis mon retour, et dont je ne saurais expliquer la mauvaise réception critique. C’est d’ailleurs ce qui fait la beauté du cinéma : quel que soit le sujet du film, son esthétique, son genre, à l’arrivée chacun d’entre nous est seul face au film, et parfois rien ne peut expliquer notre réaction face à lui.
Finalement, je reviens de ce festival riche de toutes ces expériences, de toutes ces rencontres, parfois émouvantes comme l’hommage d’Angénieux à Peter Suschitzky. Je tiens à remercier l’ENS Louis-Lumière et la CST pour cette opportunité, j’en ressors plus que jamais amoureux du cinéma, et désireux d’en faire.