Retour sur le Q&R d’Autumn Durald Arkapaw, ASC, pour son travail sur "Black Panther : Wakanda Forever"

"Nouveau règne" par Clément Colliaux pour l’AFC
Le roi est mort : la disparition prématurée de Chadwick Boseman, interprète du héros Marvel Black Panther, a contraint le studio à changer de direction pour la suite de l’un de ses plus gros succès. Black Panther : Wakanda Forever intègre donc ce décès à son récit ; une approche plus intime et émotionnelle pour laquelle le réalisateur Ryan Coogler a fait appel à Autumn Durald Arkapaw, ASC, qui compte bien conserver l’identité qu’elle s’est forgée durant son parcours dans le cinéma indépendant. A l’occasion d’un Special screening, elle raconte à Camerimage 2022 son combat pour affirmer son style de bout en bout dans une énorme machine.

Cheffe opératrice de Teen Spirit (Max Minghella, 2018) ou de Mainstream, de Gia Coppola (2020), Autumn Durald Arkapaw revient sur son parcours, débuté à l’American Film Institute. « Ma promotion était la première avec une majorité d’étudiantes. Il y avait très peu d’opératrices pour nous inspirer, à part des modèles comme Ellen Kuras, ASC, et Mandy Walker, ASC, ACS - présente à Camerimage pour Elvis, de Baz Luhrmann, en Compétition principale. Mais ce n’est pas une limite d’être en minorité si on sait ce que l’on veut faire. J’ai pu éclairer un long métrage entre deux années de cours. C’est à l’AFI que j’ai rencontré Gia Coppola, et on a travaillé sur des projets audacieux qui ont trouvé leur public, ce qui m’a donné confiance en ce que je faisais. » En 2019, Autumn Durald Arkapaw fait ses premiers pas dans le Marvel Cinematic Universe avec la série "Loki" : « J’ai vu que Jess Hall, ASC, BSC, avait travaillé sur "Wandavision", donc je suis allée rencontrer la future réalisatrice de "Loki", Kate Herron. C’était aussi sa première fois chez Marvel. On avait les mêmes références, on s’est très bien entendues, et j’ai obtenu le poste. » Ainsi, lorsque Rachel Morrison, ASC, ne peut pas rempiler sur la suite de la saga "Black Panther", Ryan Coogler s’adresse à elle. « Ryan m’avait proposé "Creed", mais la production n’avait pas voulu que je le fasse. On a donc pu se retrouver. C’est quelqu’un de merveilleux, et je n’ai pas hésité à partir à la guerre pour lui. Parce que c’est vraiment une guerre, comme faire trois films en un. »


Cent trente jours de tournage pour deux heures quarante de film, Wakanda Forever est en effet une immense machine, en termes de temps et de logistique. A cause de l’ampleur du projet, Durald Arkapawa doit batailler avec une production au long cours. « Beaucoup de choses se décident très en amont, donc il faut arriver sur le projet le plus tôt possible. Ryan est très précis sur ce qu’il veut, et quasiment tout le film doit être story-boardé ou prévisualisé. Même si on n’a jamais assez de temps de préparation, je suis très vite impatiente de tourner. » Pour garder la main sur son travail, la cheffe opératrice mise sur son équipe, constituée de nombreux collaborateurs de longue date. « Je connais mon chef électricien depuis des années. Mon premier assistant opérateur sait exactement ce que j’aime comme objectifs, ici des Panavision Série T anamorphiques. J’ai un attachement intime à l’anamorphique, et c’est très important pour moi de choisir mes optiques. Ça influe sur ma lumière de savoir comment elle navigue à l’intérieur, surtout que je les utilise souvent à pleine ouverture. Le département VFX nous aide à mapper les optiques, pour en connaître les courbes de sensibilité, la propension aux flares, les aberrations, et il peut ensuite tout appliquer aux images de synthèse. Le monde du film continue de se construire après qu’on ait tourné. Ma présence en postproduction n’est pas prévue dans le contrat, mais j’ai réservé du temps pour être aux côtés du superviseur Geoffrey Baumann. » Sur le plateau, elle tente de maintenir le rythme : « J’aime tourner rapidement. On avait beaucoup de pré-light, et on tournait en permanence à plusieurs caméras. Ryan travaillait sur chacune d’entre elle, sept jours sur sept. C’est une grosse machine qu’il faut réussir à faire pivoter rapidement. Mais dans l’ensemble tout prend très longtemps. D’autant plus que je ne veux pas avoir seulement une grande soft-box, je veux des visages et des décors contrastés et modelés ».


Autumn Durald Arkapaw et Ryan Coogler veulent imposer leurs choix, tout en prenant le temps, dans une séquence d’introduction, de rendre hommage à Chadwick Boseman. « Ce n’est pas juste un film d’action, il faut rendre justice à un acteur et à un film important culturellement », dit l’opératrice. Ils visent ainsi un style ancré dans le réel, avec de la caméra portée et une exposition dense. « Une des premières choses dont Ryan a parlé, c’est de ce brouillard du deuil. Je m’inspire beaucoup de chefs opérateurs des années 1970, donc il est normal que ma photographie soit assez dense. » Si plusieurs cadres jouent avec des flares, Durald Arkapaw ne veut pas en abuser. « La présence du soleil est très précieuse pour moi, et je ne voulais pas qu’il soit partout. » Dans une scène de nuit entre la reine Ramonda (Angela Bassett) et sa fille Shuri (Letitia Wright), elle ose un éclairage extrêmement réduit, entre un feu de camp et la lumière de la lune. « Si on sait ce qu’on veut faire, on peut oser des choix forts. Ryan voulait que cette scène soit très intime, très sombre. Il suffit d’avoir une légère silhouette, un point lumineux dans l’œil pour pouvoir lire l’émotion des personnages. Si on comprend cette scène, on comprend tout le film. » Cet enjeu de l’exposition est évidemment lié aux peaux sombres des acteurs, que la cheffe opératrice ne veut pas sur-éclairer. « Je préfère utiliser la réflexion des peaux. Je n’éclaire pas spécifiquement une couleur, j’éclaire l’espace, sans empiéter sur le plateau pour laisser la place aux acteurs, et j’ajuste les niveaux au dernier moment. Je rajoute une réflexion si la production estime que c’est trop sombre. Mais je suis contente du rendu qu’on a réussi à obtenir avec l’étalonneur. »


Lié à l’exposition, l’un des nouveaux enjeux de ce volet est l’abondance de scènes sous-marines, avec la découverte du personnage de Namor (Tenoch Huerta Mejía) et de sa cité atlantéenne de Talocan. « On a beaucoup d’images de scènes sous-marines en tête mais elles ressemblent rarement à ce que l’on voit vraiment sous l’eau. Il y a beaucoup de matière, on ne voit pas loin devant soi. » Autumn Durald Arkapaw travaille alors à mêler prises de vues réelles et incrustations avec des personnages censés parler sous l’eau, trouble et dense. A nouveau, le soleil a son importance, filtrant à travers la surface en raies nettes et camaïeux bleu-vert. « On voulait, autant que possible, faire un film réaliste. Je suis contente de faire un film que beaucoup de gens vont voir, mais je viens avec tout ce que j’ai appris sur de plus petits projets. L’essentiel est toujours le même : "Lighting, spaces and faces". »