Retour sur le séminaire Rosco : Le langage de la couleur pour la lumière

Par Clément Colliaux
La couleur est une question de précision chez Rosco, qui a réuni un large panel pour discuter de ses terminologies : Nils de Montgrand (co-fondateur de DMG Lumiere, vice-président et directeur du département LED de Rosco) interroge Dejan Georgevich (chef opérateur, ASC), Oona Menges, Natalie Kingston (cheffes opératrices), Julian White et Jason Velez (chefs électriciens) sur la communication autour des couleurs sur un plateau, en particulier à l’heure du passage aux projecteurs LED.

Entre les différentes gélatines et les différents fabricants, il y a de quoi se perdre en acronymes (CTB, CTO), termes jargonneux (plus et minus green) et licences poétiques (le "Storaro Violet" chez Rosco en hommage au célèbre chef opérateur), qui varient de plus entre les fabricants. Ce langage fleuri va tendre avec l’arrivée des LEDs, dont les capacités colorimétriques remplacent en partie l’usage de gélatines, à prendre une nouvelle forme, peut-être plus standardisée mais toujours cryptée. Parle-t-on en réglages CCT (température de couleur corrélée), HSI (teinte, saturation, intensité), RGB (rouge, vert, bleu), en coordonnées x et y ?

De gauche à droite : Julian White, Oona Menges et Dejan Georgevich. - Photo Katarzyna Średnicka
De gauche à droite : Julian White, Oona Menges et Dejan Georgevich.
Photo Katarzyna Średnicka


« La terminologie est centrale pour pouvoir communiquer », commence Dejan Georgevich. Le panel explique comment les projecteurs LED se sont frayés un chemin dans leurs listes de matériel. « Je m’y dirige doucement », raconte Oona Menges. « Mon chef électricien me montre les nouveaux projecteurs qui sortent. Je sors d’un film sans aucun projecteurs LED, et je ferai mon prochain uniquement avec. »
« Je m’y suis mis tardivement, et aujourd’hui j’utilise constamment des LEDs, des sources à incandescence, et des gros HMI », ajoute Jason Velez. « Plutôt en CCT, pour avoir des valeurs exactes. » Julian White dresse un bilan encore perfectible : « J’aime l’efficacité de la LED, mais je trouve qu’on n’a pas encore atteint un rendu optimal. C’est encore trop synthétique et il faut salir ces couleurs trop pures pour que ce soit plus organique ». Oona Menges, au contraire, apprécie la finesse des réglages, là où les gélatines lui semblent souvent trop fortes, ou pas assez.

De gauche à droite : Julian Velez, Natalie Kingston, Julian White. - Photo Katarzyna Średnicka
De gauche à droite : Julian Velez, Natalie Kingston, Julian White.
Photo Katarzyna Średnicka


Ce nouvel accès à la couleur, ce « monde sans fil » (Dejan Georgevich), demande de nouveaux postes-clés sur les tournages. Tous les invités rappellent d’abord l’importance de la relation entre chef opérateur et chef électricien : « Je ne comprends ceux qui s’y investissent autrement que totalement », dit Natalie Kingston. « On finit par se comprendre instinctivement, sans parler », poursuit Oona Menges, « Ce rapport est devenu encore plus intime grâce aux nouvelles technologies. » Mais le panel s’accorde également sur la nécessité d’un "board operator" qui télécommande les réglages des différents projecteurs connectés. « Moi, je ne m’occupe pas trop des nombres », continue Natalie Kingston. « Et en fonction des projets, si on veut une lumière plus discrète et réaliste, je ne jouerais que sur la température en Kelvin et les plus ou minus green. » En revanche, Dejan Georgevich et Oona Menges n’ont pas la même appréciation pour le poste de DIT, la seconde préférant réduire les intermédiaires.

De gauche à droite : Oona Menges, Dejan Georgevich et Nils de Montgrand. - Photo Katarzyna Średnicka
De gauche à droite : Oona Menges, Dejan Georgevich et Nils de Montgrand.
Photo Katarzyna Średnicka


La fiabilité des moniteurs sur le plateau est devenue primordiale. Kingston et Georgevich insistent sur l’importance d’avoir des écrans bien calibrés, et Kingston garde même, de projet en projet, un petit moniteur personnel qu’elle garde calibré en permanence et qui peut lui servir de référence. « Mais il faut toujours éclairer d’abord à l’œil », ajoute-t-elle. Oona Menges alerte cependant sur l’abondance de la vidéo, qui risque d’habituer le réalisateur ou la production à une image dont ils auront du mal à se défaire en étalonnage. Cette précision exigée des instruments accompagne un travail de plus en plus minutieux : « Le travail des nuits réalistes a beaucoup changé », explique Julian White. « Grâce au numérique également, on peut aller plus loin dans l’obscurité tout en gardant de la couleur, avec les projecteurs allumés mais réglés à un niveau très faible. »
« Parfois j’arrive sur des plateaux si sombres qu’il faut un peu de temps à mes yeux pour s’y habituer », ajoute Jason Velez.

Au centre : Natalie Kingston. - Photo Katarzyna Średnicka
Au centre : Natalie Kingston.
Photo Katarzyna Średnicka


Le principal cependant ne change pas : « Je montre des références à mon chef électricien, je fais la lumière en me fiant à mon regard, et j’ajuste pour que ça rende de cette façon à la caméra » (Kingston). « On gère les projecteurs LED comme les autres : fabricant par fabricant, on vérifie qu’ils sont alignés, on les corrige si c’est une dérive légère et sinon on les renvoie » (White). Velez s’est plusieurs fois tourné vers ses mentors, des chefs opérateurs et électriciens expérimentés, pour leur demander : « Comment est-ce que vous faisiez avant ? ». Julian White a quelques réticences sur l’utilisation des couleurs permises par ces nouveautés : « Aujourd’hui, il y a peut-être trop de couleurs. Mais faire moins est souvent faire plus. Je pense que les tons sont plus importants que les couleurs ». Comme le dit Nils de Montgrand, la définition d’une "couleur" est variable. Et Jason Velez de plaisanter : « ‘No Color Straw’, qu’est-ce que c’est comme couleur ? ».

(Compte rendu rédigé par Clément Colliaux, pour l’AFC)