Retour sur les "Filmlight Colour Awards", décernés lors du festival Camerimage 2021

Pour sa 29e édition, le festival Camerimage a – enfin – décidé d’honorer les étalonneurs, tant leur travail depuis l’avènement de la postproduction numérique est indissociable de celui des directeurs de la photographie. Ces "Filmlight Colour Awards" ont notamment récompensé les coloristes Eric Weidt (Mank, de David Fincher), Tony D’Amore (série "Fargo") ou Damien Vandercruyssen (série "Lisey’s Story"). Mais les français ne sont pas en reste, car l’équipe du Labo Paris a également reçu un très beau premier prix pour son travail de développement d’outils pour la plateforme Baselight. On revient avec Arnaud Caréo et Gilles Granier sur cette récompense qu’ils sont allés chercher avec leur complice Fabien Napoli à Toruń. (FR)

Récompensé pour l’utilisation la plus créative du système Baselight à travers la création de plug-ins maison, Arnaud Caréo est bien sûr très fier de cette distinction : « Contrairement aux idées reçues, et au défaitisme ambiant, ce prix prouve que la R&D en France n’est pas morte, et que nous n’avons pas à rougir face à nos homologues étrangers. Pour en avoir discuté à Toruń, les coloristes américains se posent les mêmes questions que nous sur la gestion colorimétrique de l’ACES, et notamment le problème des couleurs qui partent parfois trop loin dans cet espace très vaste. La seule grande différence étant que leurs enjeux de productions ne sont pas du tout les mêmes que les nôtres. Par exemple, ce qui peut être géré là-bas presque "industriellement", avec beaucoup plus de temps et de main d’œuvre, n’est juste pas envisageable d’un point de vue budgetaire ici. C’est ce qui nous force à une obligation d’efficacité économique en France, et c’est dans cette direction de simplicité et d’efficacité que l’on a mis au point nos plug-ins. »

Gilles Granier détaille : « Ces outils sont destinés à être utilisés dès la préparation avec le directeur de la photo et le réalisateur, afin de mettre au point le ou les looks du film. En intervenant très tôt, avec ces plug-ins, on peut très facilement doser les couleurs , leur saturation fine et se rapprocher le plus possible du rendu souhaité. Ainsi, on évite l’écueil trop souvent rencontré des LUTs clé en main proposées par les fabricants de caméra, qui scellent, à mon sens, l’image dans un look – bien sûr provisoire – mais qui après des mois passés en montage, devient très difficile à faire évoluer. En tant que coloriste, je peux vraiment affirmer que dans ce cas de figure, j’ai, la plupart du temps, une marge de manœuvre ridicule à l’étalonnage, le réalisateur et la production s’étant tout simplement habitués au rendu de la LUT de base. »

Des outils simples, qui sont aussi adaptés au rythme de plus en plus rapide de la mise en chantier des projets. Arnaud Caréo ajoute : « Le temps de préparation sur les films se réduit comme peau de chagrin. En quelques jours, il faut parfois trouver en urgence une solution pour proposer un look au moment des essais caméras. Avec ces plug-ins, le tandem directeur photo-étalonneur peut très vite trouver une direction pour l’image. Ce sont des solutions que l’on peut appliquer sans craindre l’apparition de défauts ou d’artefacts, et qui sont compatibles avec toute la panoplie des outils d’étalonnage classiques qu’on a sur Baselight par la suite. »

Pour prendre quelques exemples d’utilisation de ces plug-ins chez Le Labo Paris, Gilles Granier cite Astérix et Obélix : L’Empire du milieu, de Guillaume Canet (images André Chemetoff, en cours de postproduction) : « Sur ce film, avec André, on s’est inspiré de l’image de Tigre et Dragon (Ang Lee, 2000, images Peter Pau) lors des essais. En partant de la caméra RED Gemini Ranger avec laquelle il a décidé de tourner, on a ensemble retravaillé le rendu des peaux en ramenant un peu de magenta, fait glisser les bleus légèrement vers le cyan, les rouges légèrement vers le magenta et réchauffé les verts. On est là dans un look assez subtil. L’idée est de trouver, couleur par couleur, le rendu esthétique désiré avec la caméra d’André. Cette première "passe" est bien entendu complètement modifiable par la suite, elle n’engendre aucune scorie à l’image et permet, selon moi, d’aller beaucoup plus loin dans la recherche de l’image du film à l’étalonnage final. »

Autre exemple cité par Gilles Granier : la série "Irma Vep" (réalisation Olivier Assayas, DoP Yorrick Le Saux), pour laquelle 4 looks ont été mis au point avec l’aide de ces plug-ins. « La série se déroulant sur un tournage de film, Yorrick a demandé de mettre au point un premier look assez naturel pour les scènes de film dans le film. Vient ensuite un look plus marqué, avec un gros panel de bleus et de verts et des peaux plus désaturées pour les images du film lui-même tourné par l’équipe. Enfin, deux autres looks venant prendre place dans la narration, des extraits du film Les Vampires, de Louis Feuillade (1915) en noir et blanc pur, et enfin des scènes reconstituées du tournage de Feuillade. Pour ce dernier look, on a désaturé très fortement les parties les moins colorées, ne laissant dans l’image que des points de couleur ultra saturés. Une sorte de sépia avec des taches vives qui peut évoquer le rendu d’un vitrail. Un rendu qui a beaucoup séduit Yorrick et Olivier.»

Questionné sur l’importance grandissante de la production des plate-formes, (en série et en long métrage) et où se situent ces outils par rapport à leurs demandes en termes de workflow, Arnaud Caréo répond : « Les plate-formes imposent à la fois une contrainte technique très forte à travers leurs cahiers des charges, mais une liberté aussi grande à l’intérieur de ce cadre. Liberté sur les cadrages, sur la recherche d’image, les looks, le contraste... qu’on voit paradoxalement plus rarement en France sur les longs métrages. Si on prend l’exemple de nos plug-ins, il a fallu, bien entendu, les faire valider par ces nouveaux diffuseurs, ça a pris du temps, mais les interlocuteurs sont dans une vraie recherche de qualité. En fait, on peut tout à fait leur faire accepter des choses nouvelles... Mais ça ne suit plus la voie qu’on connaissait avant ici, où les labos avaient très peu de contraintes techniques de la part des productions. Ces nouvelles pratiques sont intéressantes et tendent souvent vers une meilleure qualité. Encore faut-il juste que les cinéastes s’emparent des nouveaux espaces de liberté créés et s’approprient "l’esprit" de ces nouvelles contraintes. Peut-être en faisant un peu moins cas de la "lettre". »

(Propos recueillis par François Reumont, pour l’AFC)