Sauver ou périr

Sauver ou périr est le deuxième long métrage de Frédéric Tellier. Dès ma première rencontre, j’ai constaté que j’avais à faire à un réalisateur exigeant avec un sens aigu de la mise en scène et de l’image.

Pendant la préparation nous avons donc réfléchi aux moyens d’établir une identité visuelle singulière, qui irait souligner le long chemin par le personnage principal, Franck, vers la lumière.
À travers le format tout d’abord, l’enfermement dans lequel se retrouve Franck aurait pu orienter notre choix vers un ratio de 1:1 mais nous avions peur de créer un sentiment d’étouffement un peu artificiel. De plus, la première partie du scénario, qui suit notre personnage dans sa vie trépidante de pompier, nous incitait à élargir le cadre et à filmer en mouvement. Finalement le format 2,39 Scope anamorphique s’est imposé naturellement. J’avais envie de jouer avec la profondeur de champ pour isoler et détacher les personnages des décors.
Pour préparer notre travail sur la lumière du film, Frédéric a évoqué les photographes Philip-Lorca diCorcia et Gueorgui Pinkhassov et les peintres Rembrandt et Velasquez. Nous nous sommes inspirés de ces photographes, dans la manière dont ils jouent avec les hautes lumières, les reflets et diverses amorces. Puis en opposition, l’image devait tendre vers l’obscurité des peintres cités pour traduire les sentiments qui traversent les personnages.

Je suis allé faire des premiers essais filmés au Centre de réadaptation de Coubert où nous allions tourner une partie du film. Nous avons pu nous procurer la série C Primo anamorphique et faire plusieurs plans test sans lumière ajoutée.
Malgré la lumière crue des néons et les murs d’un triste beige, l’image se révélait passionnante. Plutôt qu’une retranscription neutre, il y avait déjà dans ces prises de vues une interprétation sensorielle du réel. Les "défauts" et les aberrations de ces optiques allaient dans le sens souhaité : une image accidentée par des reflets et jamais nette dans sa totalité. L’image semblait naturellement moins propre, comme abimée, patinée. J’avais la sensation que la lumière débordait du cadre, loin de l’image clinique fermée que peut provoquer parfois le numérique. Plutôt que de corriger ces imperfections, nous avons décidé de les provoquer en les dosant en fonction des trois grandes parties du film qui accompagnent nos personnages. Associer ces optiques à une caméra Arri Alexa Mini, m’a aussi permis de reproduire finement les tons de la peau et les prothèses fabriquées par l’Atelier 69 posées sur le visage de Pierre Niney.

Sur le tournage de "Sauver ou périr" - Renaud Chassaing, au 2<sup class="typo_exposants">e</sup> plan au centre derrière le moniteur - Photo Caroline Dubois
Sur le tournage de "Sauver ou périr"
Renaud Chassaing, au 2e plan au centre derrière le moniteur - Photo Caroline Dubois

Pour la première partie du film, Frédéric souhaitait tourner en plans larges, avec des compositions assez symétriques, en évitant la caméra épaule au profit de légers travellings ou l’utilisation d’un Steadicam. Une mise scène en mouvement qui viendrait souligner l’intensité de la vie de pompiers.
La direction de la lumière est souvent latérale ou en contre-jour, les réflexions parasites apparaissent souvent dans le cadre. Les principales références lumière de Fréderic pour cette partie, étaient les films Révélations, de Michael Mann, et La 25e heure, de Spike Lee. Deux films des années fin 1990 et début 2000. Une période où l’image des films américains se construisait encore parfois avec un jeu de directions de lumières tranchées, directes et contrastées. Une nouveauté et une crainte pour moi car je travaille rarement avec des projecteurs sans diffusion ou sans rebonds, d’autant que le numérique accentue l’artificialité de ce rendu.
Mais l’utilisation des sources tunstène, comme les Aircraft et les DinoLight, conseillées par mon chef électro, Michel Sabourdy, permet ces effets bruts. Le rendu est moins électrique que celui des projecteurs HMI et la série Primo C à pleine ouverture diffuse naturellement les hautes lumières.
Je me suis aussi inspiré de photos d’Harry Gruyaert, qui ont fini par me persuader que des lumières crues de face pouvaient aussi émouvoir.

Pour la longue séquence de l’incendie, nous avons tourné pendant trois jours dans un entrepôt désaffecté. Un story-board et des répétitions techniques furent indispensables pour la mener à bien.
Elle est entièrement filmée au Steadicam par Sébastien Leclerc. Muni d’une combinaison de pompier, il n’a pas hésité à traverser plusieurs murs de flammes ! Moi, je me suis mis à la commande de diaph, proche de la caméra. J’ai compensé comme j’ai pu, les variations de l’intensité des flammes, explosions ou autres passages au noir total, tout en changeant l’angle d’obturation que j’ai positionné à 90°.

La deuxième partie suit la longue convalescence de Franck dans un hôpital spécialisé. Les cadres se resserrent, les mouvements réguliers laissent place à une camera fixe ou légèrement flottante à l’épaule.
Les flares sont moins fréquents, l’éclairage provient des sources des décors comme le grand plafonnier en fluos de la chambre stérile. La lumière est douce, les sources dirigées en indirect puis rediffusées à la fenêtre dans la deuxième chambre de Franck.
Avec le chef décorateur, Gwendal Bescond, nous avons effectué un gros travail dans l’élaboration de l’éclairage sur chaque décor. Nous avons essayé d’écarter en repérages, les décors avec des murs aux couleurs primaires. Lorsque nous pouvions intervenir sur les teintes, nos choix se sont portés sur des couleurs tertiaires.

Enfin, pour la troisième et dernière partie nous nous sommes laissés une grande liberté dans la mise en image. Contrairement au reste du film, ce sont les comédiens Pierre Niney et Anaïs Demoustier qui nous orientaient par leurs déplacements dans l’espace. Les mouvements et cadres s’adaptaient à eux, un peu à la manière d’un documentaire. La caméra épaule est plus présente pour être au plus près de leur reconstruction.
Leur nouvel appartement, situé au 7e étage, ne nous permettait pas de garder le principe de sources extérieures diffuses. L’éclairage principal, finalement, fut la lumière naturelle entrant par les grandes baies vitrées et quelques projecteurs SkyPanel Arri sur le balcon en appoint.
Pour la gestion des rushes, je récupérais en fin de journée des snapshots de chaque séquence. Puis, à l’aide du logiciel Lightroom, je corrigeais ces images pour les envoyer au labo comme références pour l’étalonnage des rushes. Une méthode de travail qui m’a permis de ne pas perdre le contrôle sur les intentions de départ.
Une façon aussi d’imposer la nature de ces images tout au long de la post production, sans avoir à tout remettre en cause lors de l’étalonnage final.
L’étalonneur Gilles Granier a pu récupérer les bases des rushes, et nous avons accentué les partis pris initiaux en jouant sur les contrastes, les teintes et la texture.

Au final, je garde de ce tournage la sensation d’une grande liberté dans la manière de concevoir l’image, poussé par Frédéric Tellier et soutenu par son producteur, Julien Madon. Je les en remercie, car les échanges sur la construction d’une image deviennent rares.

Un grand merci à mon équipe.
Merci à Panavision Alga et en particulier à Olivier Affre et Oualida Bolloch.
Merci à Gwendal Bescond et Elisabeth Rousseau et leurs équipes pour tout le travail réalisé ensemble.
Et enfin, merci à Gilles Granier et au Labo.

Références :
Films
- Sicario, de Denis Villeneuve, photographié par Roger Deakins, BSC, ASC
- Blue Valentine, de Derek Cianfrance, photographié par Andrij Parekh
- Hunger, de Steve Macqueen, photographié par Sean Bobbitt, BSC
- 21 grammes, d’Alejandro Iñárritu, photographié par Rodrigo Prieto, ASC, AMC.

Photographes
- Philip-Lorca diCorcia
- Bill Henson
- Martina Hoogland Ivanow
- Paul Graham.

Dans le portfolio, ci-dessous, des photogrammes issus du film.

Équipe

1er assistant caméra : Guillaume Dreujou, assisté d’Antoine Delaunay et Chloé Suau
Chef électricien : Michel Sabourdy, assisté de Johan Bors et Peter Herve
Chef machiniste : Gilbert Lucido, assisté de Vincent Uccello
Opérateur Steadicam : Sébastien Leclercq
Cadreur 2e caméra : Eric Brun
Production : A Single Man-Julien Madon
Directeur de production : Daniel Delume
Chef décorateur : Gwendal Bescond
Chef costumière : Elisabeth Rousseau
1er assistant réalisateur : Mathieu Thouvenot
Monteuse : Gwen Mallauran

Technique

Matériel caméra : Panavision Alga (Arri Alexa Mini en RAW, série C Panavision anamorphique, zoom Panavision Panafocal 50-95 mm anamorphique)
Matériel machinerie : Panagrip
Matériel lumière : Panalux
Laboratoire : Le Labo Paris
Etalonneur rushes : Mickael Commereuc
Etalonneur : Gilles Granier
VFX : CGEV
Make Up SFX : Atelier 69