Séance de questions et réponses à propos du film "Cabrini", d’Alejandro Monteverde, photographié par Gorka Gómez Andreu
Par Margot Cavret pour l’AFCDéjà récompensé en 2012 par un prix dans la compétition Cinematographer’s Debuts pour le film Chaika, Gorka Gomez Andreu revient douze ans plus tard au festival, cette fois-ci en Compétition principale pour sa seconde collaboration avec le réalisateur Alejandro Monteverde, après Sound of Freedom, en 2023.
Zbigniew Banas : Comment en êtes-vous arrivés à ce look brun-doré pour le New-York des années 1900 ?
Gorka Gomez Andreu : Nous nous sommes d’abord inspirés des photographies de Jacob Riis, qui photographiait les immigré
e s italien ne s à cette époque-là. Nous voulions des références qui soient réelles, ce qu’était réellement cet endroit dans ces années-là. Les photographies de Riis sont très sombres, les arrière-plans sont bouchés par de la fumée, les personnages sont éclairés par des flammes de bougies ou de lampes à huile. Il photographiait en noir et blanc, mais nous avons fait un film en couleur, dans lequel nous avons traduit cette présence du feu par des teintes brunes et des images sombres. La puissance de ces images était notre première inspiration.ZB : Comment vous vous êtes rencontrés ?
Douglas Shannon : J’avais fais tous les films de ce réalisateur, sauf celui sur lequel Gorka était chef opérateur. Donc il nous a mis en relation pour ce nouveau film, et nous avons immédiatement commencé la préparation, à distance, en échangeant des références, notamment de ce photographe. Quand Gorka est arrivé à New-York, nous avons continué à rechercher des inspirations visuelles, des films, etc. J’étais frappé par le travail avec la fumée dans certains films, même en extérieur, et nous avons voulu utiliser cela pour donner de la texture. Puis nous avons commencé la préparation officielle, en allant faire des repérages. Nous avons eu la chance d’avoir le temps de retourner plusieurs fois sur les décors, nous laissant le temps de réfléchir, de trouver des idées, puis d’encore meilleures idées !
ZB : New-York est très différent aujourd’hui, quelle est la balance entre les décors construits et les décors réels ?
GGA : Nous avons tourné à Buffalo, dans le nord de l’état de New-York, où nous avons trouvé des architectures d’intérieurs comme d’extérieurs ayant peu changé. Et nous avons reconstitué la rue principale de Five Points avec l’équipe décor.
La parole a ensuite été donnée à l’audience, qui n’a pas manqué à chaque intervention de souligner son émerveillement face à la qualité visuelle du film.
Quels objectifs avez vous utilisés ?
GGA : Nous aimions beaucoup les imperfections, les rayures sur les photos de Jacob Riis. J’ai donc demandé aux techniciens de chez Arri New-York de détruire autant que possible les Arri DNA, et elles étaient parfaites pour le projet ! Nous les avons utilisées en pleine ouverture et plein format.
On dit généralement que la caméra est bien opérée quand elle est invisible. Quel équilibre parvenez-vous à trouver entre cet adage et l’envie de faire de belles images ?
GGA : Avec Alejandro on voulait être en immersion avec le personnage. L’héroïne a des problèmes de santé, et elle dit : « Si je m’arrête je meurs », c’est pour ça qu’elle ne dort jamais, elle est toujours en mouvement, et on voulait appliquer le même traitement à la caméra. La caméra la suit, avec le moins de coupe possible. Nous avons inventé une chorégraphie entre la comédienne et la caméra pour chaque décor, comme un "operatic ballet". Il fallait que ce soit organique, qu’on ne sente pas la virtuosité de la caméra. J’aime préparer le tournage en avance, donc j’avais fait une sorte de script pour la caméra, qui décrivait chaque plan et chaque mouvement, avec des plans en vue du dessus pour la lumière. Je ne dessine pas de story-board, mais ce document écrit nous a accompagnés pendant tout le tournage.
DS : J’ajoute qu’il n’y avait pas de story-board, par contre, Alejandro et Gorka avaient tout le film déjà filmé sur leurs téléphones, avec eux en doublures !
ZB : Le personnage ayant la foi, avez-vous cherché à créer quelque chose de transcendantal avec la lumière ?
GGA : Alejandro est croyant, moi pas, et nous nous respectons énormément mutuellement. Nous avons beaucoup parlé de ce sujet en préparation, et peut-être qu’au final nos visions sont les mêmes quand je dis que la lumière est la vie et lui que la lumière est Dieu. Il y a quelque chose d’immuable dans la lumière, quelles que soient les épreuves que doit affronter chaque être humain, quelle que soit l’endroit ou l’époque, le soleil et la nuit seront toujours là, et ce cycle immuable nous relie tous les uns aux autres à travers le temps et l’espace. En cela je pense que le film, bien qu’ancré dans son époque, parle aussi de ce que nous vivons dans le monde d’aujourd’hui.
Comment avez vous travaillé ensemble avec le chef décorateur ?
DS : Carlos [Lagunas, chef décorateur du projet, NDLR] est à la fois très talentueux et très ouvert. Il nous posait sans cesse des questions, pour la position des fenêtres, etc. Souvent nous faisions un deuxième repérage des décors avec lui, il était toujours d’accord avec nos demandes ! C’était une grande collaboration.
GGA : Il était toujours disponible pour nous aider. C’est mon deuxième film avec lui, c’est plus facile aussi de travailler avec des personnes qu’on connaît, on est plus proches et ça permet de rendre les choses plus faciles.
Comment avez-vous réalisé ce long plan où les personnages courent dans la mine ?
DS : Pour cette scène, on a trouvé un décor tellement beau que le scénario a été réécrit pour pourvoir y être tourné ! C’est une ancienne mine qui n’est plus en activité mais qui sert de musée. Gorka a planifié le plan, puis il a été confié à l’équipe B.
GGA : C’est un plan fait à l’aide d’un cable cam d’une cinquantaine de mètres.
Comment avez vous abordé la façon d’éclairer les visages dans ces décors aussi contrastés ?
GGA : Nous nous sommes inspirés des peintures baroques américaines et européennes. Nous voulions beaucoup de contraste, des ombres marquées, mais en même temps que le visage soit doux.
DS : Gorka n’aime pas avoir de fill light, il aime garder un côté très sombre, mais en même temps on aime tous voir des lumières douces sur les visages, donc j’ai utilisé des lumières en réflexion. En repérage, je regardais comment la lumière naturelle se reflétait sur les murs, les sols, et souvent c’était très beau comme ça. Si seulement le soleil pouvait rester au même endroit toute la journée ! J’utilise beaucoup les murs eux-mêmes pour les réflexions, souvent avec un Fabric. J’essaye plutôt d’avoir des fill light en réflexion en ¾ face qu’en latéral, ça permet aussi souvent de créer une lumière dans les yeux. J’aime aussi beaucoup les projecteurs munis d’un objectif, ce qui permet d’ajuster la lumière, de pouvoir être très proche de la scène avec un grand angle, ou au contraire très loin avec une focale longue.
Pouvez-vous parler des plans utilisant des reflets ? Est-ce que ce sont des heureux accidents ou étaient-ils prévus ?
GGA : Ce ne sont pas des heureux accidents, c’est très dur à faire ! Il y en a un qui n’était pas dans le scénario, mais le jour où nous avons fait les repérages il avait beaucoup plu et donc on voyait le reflet des personnages sur le sol. J’ai fais une photo, et en la voyant le chef décorateur a accepté de mouiller le sol le jour du tournage pour obtenir le même effet. Tous les autres étaient prévus dès la préparations, c’est moi qui ai apporté cette idée, connecté à la notion d’identité : les personnes qui émigrent ont une double identité, celle qu’elles laissent derrière elles, et celle qu’elles construisent dans leur nouvelle vive. Donc nous avons mis quelques plans en réflexion dans le film pour évoquer cette idée.
Quel était le décor le plus compliqué pour vous ?
DS : Dès le début nous savions que ça allait être celui du festival. Le réalisateur a tenu à tourner ça dans un champ qui avait la taille de huit terrains de football ! J’ai essayé de proposer un champ plus petit, mais sans succès ! On retournait continuellement sur ce décor en se demandant comment on allait s’y prendre... Il y a une scène de jour qui devait être tournée près du lac, et ensuite tout le reste était de nuit. Finalement, nous n’avons utilisé qu’une toute petite portion du champ, en angulant intelligemment la caméra pour pouvoir placer de la lumière. Dès la lecture du scenario je me suis demandé comment les personnages pouvaient éclairer cet endroit, car il n’avait pas de générateur portatif. Je me suis renseigné et j’ai découvert qu’on utilisait à cette époque des limelight, projecteurs de théâtre sans électricité, et j’ai montré ça au chef décorateur avec lequel nous avons construit une plate-forme sur laquelle mettre ces éclairages en décoration, et derrière laquelle on pouvait cacher nos projecteurs. Comme d’habitude nous avons texturé avec de la fumée. Finalement on ne voit quasiment jamais la plate-forme, mais ça nous a permis d’avoir une lumière un peu verte très raccord avec ce qui existait réellement à l’époque.
(Questions et réponses traduites de l’anglais et rédigées par Margot Cavret pour l’AFC)