Solidarité

Par Caroline Champetier, AFC
La faillite de Quinta Industries entraînant la fermeture de LTC n’est pas simplement une faillite financière, non plus que la seule résultante du virage technologique qui remonte à 1999, quand les studios américains ont chiffré à deux milliards de dollars par an, l’économie que pourrait dégager la généralisation de la projection numérique*.
Nous avions dix ans pour penser cette transition et lui conserver une inventivité artistique et humaine.

En lieu et place la financiarisation accrue de la production, la radicalisation du " above the line/under the line ", consacrant l’acteur/comédien comme produit marketing et reléguant la fabrication à un plan mineur, l’hybridité des outils et des supports exigeant toujours plus d’adaptabilité aux industries techniques et aux techniciens, enfin un rapport arbitraire et abstrait à la valeur, des gestes, de l’expérience, de la connaissance dans un secteur ou le prototype interdit la distance et surtout le cynisme, tous ces facteurs mis bout à bout, comme on le ferait des séquences d’un film, produisent un scénario catastrophe pour certains d’entre nous, et en premier lieu, pour les développeurs, tireurs, monteurs négatifs, étalonneurs photochimiques attachés de clientèle travaillant à Saint-Cloud.

Nous saluons encore une fois leur professionnalisme et leur courage à défendre, jusqu’à cette mémorable journée du 15 décembre, leur outil de travail... le 12 janvier nous organisons avec eux une projection de 5 bobines de 5 grands films argentiques, si l’industrie du cinéma était plus solidaire, ce pourrait être 25 bobines durant une nuit entière, un long rêve argentique...
Pendant ce temps-là, la cellule de crise née de la réunion du 22 décembre au CNC travaille sans répit au sauvetage des films dont les finitions sont en danger. Avec Eric Martin et les onze de Duboi, Baptiste Heyneman du CNC, Pascal Buron de la Ficam, Angelo Cosimano de la CST, Vincent Jeannot de l’AFC, certains ayant écourté vacances et réveillons, démêlent les différentes mesures à appliquer au " workflow " des 60 films concernés.
Ce sont eux, ces techniciens de labo, à LTC ou Duboi, et ces quelques " pompiers " volontaires, qui nous rappellent ce qu’est la responsabilité par rapport aux films arrivés au bout de la chaîne, dont ils se savent un maillon essentiel.
Est-ce que la responsabilité, autrement dit l’engagement, peut redevenir l’acte fondateur d’un film à chaque étape de sa création ? Est-ce que devant les milliers de choix, artistiques, techniques, logistiques, financiers qu’un film impose, ce sentiment de solidarité avec le reste de la chaîne peut reprendre sa place et redonner sa beauté au geste ?

* " screen digest " cité dans Le dernier tango argentique - le cinéma face à la numérisation - d’Olivier Bomsel et Gilles Le Blanc (Collection Sciences Economiques et Sociales)