"Songs for Drella" et rencontre avec Ed Lachman

"Impressions de Camerimage", par Juliana Brousse, La Fémis

A l’occasion de la présence, au 29e Camerimage, d’étudiants de l’ENS Louis-Lumière, de La Fémis et de la CinéFabrique, l’AFC leur a proposé de contribuer d’une manière ou d’une autre aux articles publiés sur le site. Dans une première contribution, Juliana Brousse, étudiante en 4e année au département Image de La Fémis, évoque le travail d’Ed Lachman, ASC, sur le film musical Songs for Drella, qu’il a réalisé et photographié.

L’échange avec Ed Lachman autour de Songs for Drella, dont il est à la fois le réalisateur et le directeur de la photographie, fut passionnant. Ce film nous transporte dans un voyage autour des visages et des histoires de Lou Reed et John Cale. Ils se retrouvèrent une dernière fois pour rendre hommage à Andy Warhol. Une tension entre eux surgit, indicible, qu’Ed Lachman nous permet d’effleurer. John Cale regarde Lou Reed et celui-ci fuit le regard de l’autre pour rester concentré. Ils ont l’air si proches, comme ces notes et ces chants qui s’entremêlent. Et lorsque le plan général apparaît, nous découvrons alors l’immense distance réelle qui existe entre eux. Le pouvoir des images nous transmet cette proximité intrinsèque à la musique. Les champs-contre-champs qui jouent des amorces rapprochent indéniablement ces musiciens. Et pourtant, Lou Reed n’adresse qu’un seul regard à John Cale. Leur rupture s’annonce évidente et les mouvements arrières de dolly et de zooms nous racontent très justement cette séparation. Celle-ci s’estompe dans la musique et le souvenir d’Andy Warhol, haut en couleur.
Ed Lachman raconte que Lou Reed accepta qu’il filme ce concert à une condition. Il n’y aurait jamais de caméra sur scène ou entre lui et le public. Alors, il demanda de filmer les répétitions et la mise en scène put se déployer ainsi, en filmant en plus le concert depuis l’extérieur de la scène.
Le découpage fut pensé précisément en fonction de chaque chanson et Ed Lachman put changer les lumières entre les morceaux. Les plans se suivent comme une partition musicale. Des silences, des plans fixes, des crescendos et decrescendos grâce à la dolly qui tourne autour d’eux, jamais par hasard. Les mouvements sensibles en osmose avec la musique ne la copient jamais mécaniquement.
Et il est impossible de deviner si les plans font partie du concert ou des répétitions.
La discussion était à la hauteur de la générosité du film. Pour Ed Lachman, le directeur de la photographie, discret, est un œil qui n’a pas besoin de passer par les mots. Sans dissocier le documentaire de la fiction, il s’agit toujours de rester à distance pour aider le réalisateur à traduire l’histoire qu’il raconte. Pour lui, la mise en lumière se construit par le contraste lumineux évidemment mais aussi énormément par celui de la couleur. Songs for Drella est habité par des teintes chaudes et froides, vertes et magentas qui naviguent sur cette scène, s’opposant ou s’associant, pour nous accompagner dans ces montagnes russes d’émotions.

En vignette de cet article, Ed Lachman pendant sa conférence - Photo Camerimage