Sony annonce sa nouvelle tête de gondole

Par François Reumont pour l’AFC

AFC newsletter n°279

C’est au studio britannique de Pinewood (berceau d’un certain espion britannique honoré à chaque coin de rue ou bâtiment) que l’équipe de Sony a officiellement dévoilé la "Venice", nom de baptême du nouveau vaisseau amiral de la flotte CineAlta.

Cette nouvelle caméra haut de gamme destinée avant tout à la prise de vues numérique de cinéma est la première, chez le constructeur japonais, à s’éloigner radicalement de l’héritage devenu encombrant des caméras vidéo. D’abord son nom, qui évoque tout à la fois le quartier lacustre de Los Angeles et son origine italienne, berceau du plus ancien festival de cinéma.
Techniquement aussi, en proposant un capteur "full frame" aux dimensions héritées de l’âge d’or d’Hollywood (le VistaVision utilisé par Alfred Hitchcock sur Vertigo), avec de nombreux modes d’exploitation (dont un "vrai" mode anamorphique au rapport 4/3), ainsi qu’une toute nouvelle interface utilisateur bien plus adaptée à l’humain que les traditionnels menus ésotériques plébiscités par la frange la plus conservatrice du syndicat des ingénieurs de la vision.

L’un de ses concepteurs, M. Takahiro Kagawa, a même fait le voyage depuis Tokyo pour venir nous en parler dans un anglais impeccable.
« C’est une caméra dans laquelle nous croyons beaucoup », explique-t-il, « d’une part pour ce nouveau capteur 6K qui a été entièrement mis au point pour elle et qui va donner à l’utilisateur une très grande versatilité d’utilisations. Que ce soit en 4/3 à la définition de 4K, pour la première fois sur une caméra Sony, ou en 6K "full frame" (24x36), qui permettra ensuite d’exploiter presque une infinité de formats de cadrage selon les besoins ».
Autre nouveauté, l’option industrielle de séparer la partie capteur de la partie caméra. « Avec ce choix, la Venice est faite pour durer dans le temps », explique M. Kagawa, « on pourra envisager non seulement une maintenance ou une évolution du capteur sans changer la partie caméra. On pourra aussi envisager d’équiper la caméra avec un capteur plus petit, par exemple pour faciliter un enregistrement en haute vitesse ».
Profitant d’une nouvelle gamme dynamique encore plus élevée que ses prédécesseurs, le nouveau capteur Exmor de la Venice affiche ainsi 15 diaphs de latitude. « On a choisi délibérément de répartir 9 diaphs en dessous de la sensibilité nominale de 500 ISO, et 6 au-dessus. Ainsi on peut tirer partie de noirs très profonds, sans bruit, et pourtant aller chercher des détails encore à 500 ISO – 9 diaphs [soit 250 000 ISO, si mon calcul est bon - NDLR]. »

Takahiro Kagawa
Takahiro Kagawa

Pour illustrer ces propos, l’équipe de Sony a montré deux films assez différents tournés avec la petite merveille en mode 4K anamorphique (la caméra ne fonctionnant pas encore en mode 24x36, du moins pas avant le premier semestre 2018). Une démo assez sage filmée en Grande-Bretagne où il est question d’un couple qui se déchire filmé sur fond de riche demeure victorienne puis de Lamborghini bleue vintage. Et puis The Dig, une production hollywoodienne d’une ambition (et d’un budget sans doute plus conséquent) mettant malicieusement en scène le vol des plans de la nouvelle Venice par une jeune femme fatale à qui bien peu d’hommes semblent en mesure de résister. Une excellente surprise, filmée par Claudio Miranda, ASC, et réalisée par Joseph Kosinski, qui prouve enfin au monde que même dans les films de lancements de caméra (ou jadis de pellicule) on peut s’amuser et voir du cinéma à l’écran.

Mais, trêve de plaisanterie, retournons à l’objet Venice. D’abord sa taille. Résolument moins encombrante que la F65, elle rejoint désormais les Arri Alexa, Panavision DXL ou Panasonic VariCam dans son facteur de forme comme disent les brochures. Une sorte de cube allongé de 13x16x17 cm compact et manifestement très solide dans sa conception. Pesant 4 kg à nu, la caméra vient vite s’équiper d’un nouveau viseur, d’une batterie (12 ou 24 V) et des accessoires courants comme l’enregistreur modulaire AXS R7 permettant, comme sur la F55, d’exploiter les images en format RAW ou XOCN (un RAW compressé mis au point par Sony qui, selon les ingénieurs, pourrait bien devenir le nouveau standard notamment en série TV). Ce dernier codec permettant aux productions d’atteindre quasiment la qualité d’une captation RAW avec une diminution de 30 ou 60 % (selon les réglages) du volume de données. Le stockage s’effectue alors sur les cartes mémoires Sony AXS pouvant être déchargées très vite par liaison "thunderbolt".

La caméra Sony Venice avec l'enregistreur AXS-R7 incorporé
La caméra Sony Venice avec l’enregistreur AXS-R7 incorporé

Au niveau optique, la caméra est équipée à la base d’une monture Sony Alpha intégrée à la face avant, qui peut être recouverte par une monture PL via une platine fixée par 6 boulons. Là encore, une solution versatile qui permettra à certaines productions plus modestes (par exemple en documentaire) de filmer avec des optiques photo bien moins lourdes et onéreuses que leurs grandes sœurs destinées à la fiction ou la publicité.

La face avant de la Venice équipée de sa monture de base Sony Alpha
La face avant de la Venice équipée de sa monture de base Sony Alpha
La monture PL recouvrant la monture de base
La monture PL recouvrant la monture de base

Autre nouveauté interne de conception : la Venice est désormais équipée d’une double roue de 3 filtres neutres permettant à l’opérateur de choisir extrêmement rapidement avec une précision de 8 combinaisons allant de 0,3 à 2,4 en densité (soit -1 à -8 diaphs). Une idée saluée notamment par Claudio Miranda, dont le court métrage The Dig propose une scène entière tournée dans le désert californien avec une météo du jour assez changeante. Le réglage de la balance des blancs a lui aussi entièrement été revu, avec un accès direct côté assistant et surtout un réglage fin au Kelvin près.

Les deux roues de 3 densités neutres
Les deux roues de 3 densités neutres

Tout semble donc bien étudié pour cette nouvelle caméra qui a profité, selon les équipes de conception, de nombreux retours d’utilisateurs venant du monde entier.
Reste maintenant à parler du prix de la bête, 37 000 euros annoncés pour le corps caméra nu, avec en option de base unique l’enregistrement 3,8K en format 16/9 ou 4K 17/9.
Pour filmer en anamorphique 4K, il faudra débourser une licence "firmware" complémentaire (permanente ou temporaire selon les budgets et les moyens), tout comme le mode 6K "full frame" (actuellement encore en développement à Tokyo).
Un "full package" permanent qui devrait faire monter l’addition aux alentours des 50 000 euros, si les estimations sont bonnes.

On attend les premiers exemplaires sur le marché pour février prochain...

  • Consulter la page de Sony dédiée à la caméra Venice.

Voir le film The Dig
https://www.youtube.com/watch?v=6nH-IH17xKE&feature=youtu.be