Stephan Massis, AFC, parle de deux tournages en Zeiss Supreme Radiance

par Zeiss Contre-Champ AFC n°338

Série noire filmée à deux caméras mobiles en Forêt-Noire d’un côté, drame caniculaire provençal cadré au cordeau sur tête à manivelles de l’autre, la série en 4x52 mn "Les Disparus de la Forêt-Noire" (lauréate du Grand prix du Festival Polar de Cognac), d’Ivan Fegyvères, et le téléfilm Une confession, réalisé par Hélène Fillières, pourraient difficilement être plus éloignés l’un de l’autre en termes visuels – sans parler de la température ambiante. Ces différences n’ont pas empêché leur directeur de la photographie commun, Stephan Massis, AFC, de choisir les mêmes Zeiss Supreme Radiance conjugués à une Sony Venice pour les filmer. Devant les images projetées sur le grand écran d’Amazing Digital en compagnie de Fred Savoir, étalonneur sur les deux projets, il nous a expliqué comment cette expérimentation a porté ses fruits.

Le choix des optiques

"Les Disparus de la Forêt-Noire" se passe majoritairement en forêt l’hiver et mon questionnement portait sur la manière d’arriver à détacher les personnages sur fond de bois, dans la pénombre. Ma première intuition a été qu’il me faudrait des moments avec peu de profondeur de champ, et qu’un grand capteur s’y prêterait.

Hélène de Fougerolles et Tchéky Karyo dans "Les Disparus de la Forêt-Noire"
Hélène de Fougerolles et Tchéky Karyo dans "Les Disparus de la Forêt-Noire"

J’avais fait une publicité avec les Supreme que j’avais beaucoup aimés, mais là, je me suis dit que les Radiance pourraient plutôt convenir, parce qu’on est dans un film de genre, et on peut y aller, on ne cherche pas le naturel et les flares sont intéressants. Le bokeh des Supreme allié aux flares des Radiance étaient parfaits. On avait fait des petits essais en filmant un passage de moto au bois de Vincennes, dans l’ambiance qu’on imaginait pour la série et, sans avoir dit à Ivan Fegyvères, le réalisateur, de quelles optiques il s’agissait, quand il a vu les plans filmés en Radiance, ça lui a tout de suite beaucoup plu. Le capteur 6K de la Sony Venice allait me permettre de réduire la profondeur de champ mais j’aime aussi beaucoup sa perspective : c’est comme du Scope anamorphosé, un 40 mm devient un grand angle, et pourtant la focale fonctionne pour filmer un visage. C’est quelque chose qui me plaît beaucoup avec les grands capteurs.

"Une confession"
"Une confession"

Sur Une confession, réalisé par Hélène Fillières, on est reparti avec la Venice et les Radiance. Le film n’est pas naturaliste et on voulait mettre du roman dans l’histoire. Les flares assumés pouvaient apporter ça. J’en avais parlé à Hélène et elle avait dit : « Oui j’aime bien, mais pas trop souvent, aux bons moments ». Donc on en n’a pas fait tant que ça, ils ont été placés à des moments importants où le flare permettait de souligner quelque chose de magique.

Construire les plans

Ivan Fegyveres, le réalisateur de "Les Disparus de la Forêt-Noire", découpe beaucoup. On a tourné deux mois et demi, une trentaine de plans par jour, entre fin novembre et janvier. Onze jours par épisode, avec beaucoup de décors éloignés les uns des autres. Le rythme était soutenu, on déjeunait en une demi-heure quand on tournait dehors, à cause du peu de temps de lumière du jour.

Victoria Eber dans "Les Disparus de la Forêt-Noire"
Victoria Eber dans "Les Disparus de la Forêt-Noire"


"Les Disparus de la Forêt-Noire"
"Les Disparus de la Forêt-Noire"


On était tout le temps à deux caméras au moins, en mouvement sur slider, au Steadicam ou en travelling, et comme la série Radiance est très complète, à deux caméras, j’ai pu ne prendre qu’une série (louée chez Next Shot) sans qu’on ne soit jamais à court de focales. On utilisait un doubleur de focale si nécessaire. Pour avoir de plus longues focales, plutôt que de partir avec un zoom qui aurait une couleur très différente, je préfère en effet partir avec un doubleur et/ou passer en 4K et cropper dans le capteur de la Venice. Sur les très longues focales le bénéfice du 6K est moins visible – il l’est en courte, c’est certain, mais après le 135 mm… Mais c’est chacun selon sa méthode.

Les plans d’Une confession sont graphiques, très composés et précis. On se connait depuis longtemps avec Hélène, son cinéma est en demi-teinte, avec des silences, du vide, du hors-champ et lorsqu’elle me parlait de ce qu’elle voulait faire, j’ai trouvé que cadrer à la tête manivelles serait une bonne idée, pour la précision et la fluidité des mouvements. Dans des travellings très lents et composés, c’est ce qu’il y a de mieux.

Diane Rouxel, Théo Augier et Laurent Gerra dans "Une confession"
Diane Rouxel, Théo Augier et Laurent Gerra dans "Une confession"


En guise de boutade j’avais dit à Hélène que le champ-contre-champ est une sorte de défaite de la mise en scène, et elle l’a noté et on a dû faire deux champs-contre-champs pour tout le film…


Du coup les personnages étaient souvent cadrés ensemble et on avait beaucoup de discussions autour des bascules de point, ce qui est, dans la mise en scène d’Hélène, un paramètre important. Adrien Onesto, qui a été longtemps mon second assistant, est maintenant un très bon pointeur, et il participait avec sa grande sensibilité à nos réflexions. Nous choisissions aussi le degré de flou, et c’est là que ces optiques sont intéressantes, avec leur bokeh qui est très beau. J’adore le flou qu’elles proposent, la bascule du net au flou est très "smooth" et naturelle. On n’a pas arrêté de jouer avec ça.

De manière générale j’aime tourner à T2,8 ou T4, mais j’ai tout de même mis beaucoup de profondeur de champ sur certains plans où je voulais qu’on voit la nature provençale, contrairement à la Forêt-Noire, où il fallait détacher les personnages de l’arrière-plan. Pour Une confession, je voulais au contraire les fondre dans le paysage.


J’ai cassé le point pour les séquences de flashback racontées par un des personnages et dont on ne sait pas si le récit est inventé. Ces séquences sont plus heurtées, filmées à l’épaule.

Ambiances

En prépa, j’ai l’habitude de réaliser un dossier de références pour en discuter avec le ou la réal, et je l’envoie à Fred Savoir, de sorte qu’on peut commencer le film avec des intentions de couleurs, d’ambiance et de cadre. Pour "Les Disparus de la Forêt-Noire" une référence importante était la série danoise "Octobre". On a fait un choix d’étalonnage assumé dans le froid, ce ne sont pas des couleurs naturelles. Sur le plateau j’affiche le Rec 709, que je connais bien, et Fred nous envoyait les rushes étalonnés, selon ce dont on avait parlé en préparation, en cherchant sur les premiers essais tournés à Vincennes. Au vu des premiers rushes, Fred nous a fait des propositions en développant le RAW d’une certaine façon, on a ajusté le tir et, très vite, on a trouvé ce qui nous plaisait. On est très loin du Rec 709, par exemple, les couleurs des costumes sont complètement transformées, le manteau rouge d’Hélène de Fougerolles sort brun. Il y a eu des commentaires parce que la production et la chaîne ont été surprises, avant de l’accepter finalement. Les rushes étalonnés ont permis à tout le monde de s’habituer à ça avant même le montage.


Quand tout le monde a vécu des mois avec des images, c’est très difficile d’aller vers des choix radicaux différents à l’étalonnage, et là, on a juste eu besoin d’affiner. Les couleurs sont désaturées, on est dans les cyans… tout en gardant des contrastes de couleurs. Dans les choix des costumes, on est déjà dans une gamme chromatique très réduite. Nagui et Carole Della Valle, les producteurs, ont soutenu cette image de pénombre. C’est un film sombre.

"Les Disparus de la Forêt-Noire"
"Les Disparus de la Forêt-Noire"


"Les Disparus de la Forêt-Noire"
"Les Disparus de la Forêt-Noire"


Pour Une confession, Hélène et moi avons cherché des ambiances de western. Certes, on est dans un décor de vignes vers la montagne Saint-Victoire… D’habitude je n’aime pas trop le jaune, mais là, on y est allé à fond. L’influence du western peut se voir dans le rapport entre les corps et l’espace qui les environne, les contre-plongées sur les personnages, la dureté des ombres avec le soleil zénithal – comme dans le cimetière, où j’ai volontairement tourné à midi. Ces ombres tranchées donnent un surcroît de réalité, pourtant c’est très interprété. Moi j’aime qu’on sente qu’il fait chaud, même sans la bande-son.

Laurent Gerra et Théo Augier dans "Une confession"
Laurent Gerra et Théo Augier dans "Une confession"

Il fallait justement être attentif aux peaux qui auraient tendance à rougir avec la chaleur. On a fait attention avec la maquilleuse que les carnations n’aillent pas trop dans le rouge, sachant qu’il faudrait peut-être faire des masques sur les visages à l’étalonnage, parce que globalement l’étalonnage irait encore davantage dans le chaud. On joue vraiment la canicule, donc les brillances dues à la transpiration, elles, sont intéressantes. Autant, sur "Les Disparus de la Forêt-Noire", la production a vite accepté l’idée de faire étalonner les rushes, autant pour ce film-là, il a fallu les convaincre. Mais très vite, tout le monde a été content et a soutenu ce choix. Les LUTs, ce n’est vraiment pas la même chose ! Tu ne peux pas partir avec des LUTs adaptées à tous les cas de figure d’un film.

"Une confession"
"Une confession"


Je joue avec les deux bases ISO de la Venice, 500 ou 2 500, mais je ne tire pas sur le signal au tournage, quitte à être un peu sous-exposé, parce que les outils du labo seront plus performants pour remonter le signal. Parfois je le préviens que je risque d’être trop bas, et on vérifie que ça passe. En argentique je travaillais au spotmètre, donc je me suis refait un "zone system" avec le False Color, en numérique. Avec la Venice je peux choisir les couleurs allouées aux densités, donc quand j’affiche le False Color je sais que telle couleur correspond à tel diaph, à telle sous-ex ou surexposition. Je sais toujours comment je suis posé.

Tchéky Karyo dans "Les Disparus de la Forêt-Noire"
Tchéky Karyo dans "Les Disparus de la Forêt-Noire"


Doutes et heureux hasards

Je me suis demandé si les Radiance (loués chez Transpacam cette fois-ci) ne seraient pas un peu durs avec Catherine Frot sur Une confession, peut-être que j’aurais pu adoucir un petit peu. La réalité, c’est que des essais avec les comédiens n’étaient pas possibles. Quand on n’a pas le temps de faire de vrais tests, je préfère partir avec un matériel que je connais, et dont je peux anticiper les caractéristiques, même celles qui ne seraient pas adaptées. J’ai douté sur le tournage, par moment les rushes manquent de velouté, mais en fin de compte je suis très content et je sais que la postproduction permettra de revenir sur certaines choses. Je pense que le doute fait partie du travail, autant que les hasards heureux. Sur "Les Disparus de la Forêt Noire", on tournait dans un décor de commissariat construit pour une autre série à Strasbourg, où j’ai changé toute la lumière. A un moment, le reflet d’une femme apparaît dans la vitre qui la sépare d’un interrogatoire, et le plan prend tout son sens parce qu’elle joue un certain rôle dans l’enquête. Ce n’était pas prévu au découpage, c’est un hasard survenu avec une bascule de point.

Laëtitia Eïdo, Grégory Fitoussi eTchéky Karyo dans "Les Disparus de la Forêt-Noire"
Laëtitia Eïdo, Grégory Fitoussi eTchéky Karyo dans "Les Disparus de la Forêt-Noire"


Tchéky Karyo, Astrid Whettnall et Laëtitia Eïdo dans "Les Disparus de la Forêt-Noire"
Tchéky Karyo, Astrid Whettnall et Laëtitia Eïdo dans "Les Disparus de la Forêt-Noire"