Images fixes, images animées

Quand Jimmy Glasberg, AFC, évoquait son enfance et ses débuts derrière la caméra

par Jimmy Glasberg Contre-Champ AFC n°339

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« OUF... Je craque... L’écriture est un vrai effort pour moi... J’ai fait relire à ma femme qui me dit que je parle trop de moi et pas assez de technique... Peut-être qu’elle a raison... Que penses-tu ? Tu peux reprendre et on en parle... » (Jimmy)
C’étaient très exactement les mots que Jimmy Glasberg m’avait écrits dans son mail pour accompagner sa bio... Je lui avais demandé de me raconter deux ou trois choses parce qu’une amie souhaitait mettre en avant des directrices et des directeurs de la photographie aux Rencontres Photographiques de la ville d’Arles où son père, photographe, avait déjà exposé. Ces rencontres ne se sont jamais produites et ce train - comme beaucoup d’autres - est resté à quai mais les mots de Jimmy sont restés sans que je n’ai eu besoin d’en "reprendre" un seul... (Gilles Porte, AFC)

Je suis fils de photographe. Mon père, Georges Glasberg, avait été invité pour présenter son travail dans le cadre des quatorzièmes Rencontres internationales de la Photographie en Arles.

Georges Glasberg
Georges Glasberg


Années cinquante : Mes jeunes années en Provence
J’ai donc été élevé en partageant la passion de mon père pour l’image photographique. Dans les années cinquante, il avait créé une boutique de photographe intitulée "Studio de Provence", à Apt dans le Luberon. Pendant mes vacances scolaires, je l’assistais dans ses prises de vues et dans les travaux de laboratoire. Mariages, communions, groupes de colonies de vacances, portraits style Harcourt, etc. Nous déménageons dans une ferme au milieu des vignes à Oppède, il construit un laboratoire dans des conditions précaires avec l’eau au puits, on lavait les photos en tirant des sceaux d’eau ! Il réalise alors les photos de l’ouvrage cosigné de l’écrivain Jean-Paul Clébert : "Provence insolite" édité chez Grasset, puis "Paris naïf", avec Paul Guth, "Les Monstres de Bomarzo" sur un texte d’André Pieyre de Mandiargues. Et des photos de danse, de théâtre, etc.



En juin 1983, dans le cadre des Rencontres, j’ai tourné des images à compte d’auteur, que j’ai utilisées pour un court métrage “expérimental“ que j’ai nommé "D76" du nom du révélateur dans lequel je trempais mes doigts jaunis par le produit. Soutenu par la production Gédeon, j’ai pu finaliser ce film ; je souhaitais questionner le passage filial de l’image fixe à l’image animée. Mon père était aussi un passionné des films muets du début du cinéma qu’il nous projetait sur son Pathé Baby acheté aux puces.

Années soixante : Actualiste

Je monte à Paris, décidé à être reporter cameraman et documentariste. Après un court séjour à la fac de la Sorbonne et à la classe préparatoire de l’IDHEC, mon sursis est rompu et je suis envoyé en Algérie espérant rejoindre le Service cinéma des armées. En 1961, j’ai rencontré Georges Méjat, un vieux reporter cameraman des actualités Fox Movietone. Georges avait débuté sa carrière d’"Homme à la caméra" au début du siècle en tournant la manivelle sur l’air de la Madelon. Sa longue carrière était glorieuse, il avait voyagé dans le monde entier avec sa caméra. Il était le plus ancien du staff des Actualités de la Fox, homme de caractère, il était très respecté par son parcours. Il a vu que j’étais passionné par l’image et m’a pris sous son aile.

Georges Méjat, célèbre caméraman d'actualités pour la Fox Movietone News
Georges Méjat, célèbre caméraman d’actualités pour la Fox Movietone News


Le dimanche matin, je me souviens, on se retrouvait dans les bureaux de la Fox situés derrière les laboratoires LTC où il ouvrait le cadenas de son placard pour me montrer les caméras 35 mm de l’époque. Magique !!! Il m’a ensuite enseigné le chargement et bientôt confié le soin de faire les "plans de coupe" des courses de chevaux a Longchamp, des courses de voitures, des remises de décorations à l’Arc de triomphe… Georges m’a confié la caméra Le Blay avec viseur clair et chargeurs de 15 mètres en m’enseignant les règles des points de vues pour le montage. J’étais très fier de me retrouver mêlé aux cameramen des cinq maisons d’actualités concurrentes de l’époque. je me faufilais avec ma caméra Le Blay au viseur clair pour trouver le bon angle. Plus tard on m’a confié le Bell & Howell Eyemo de 30 mètres équipé d’une tourelle de trois objectifs : 35 mm, 50 mm, 85 mm qui est devenu pour moi une caméra muette qui m’a suivi une grande partie de mon parcours professionnel. Le Caméflex et l’Arriflex 120 mètres avec des visées réflexe sont venus plus tard.
Je crois que c’est dans ces pratiques d’Actualiste que j’ai saisi la base des questions de point de vue et du montage. L’image animée était au service d’un événement de l’Histoire. La photographie qui racontait une histoire en une image me semblait obsolète bien que j’admirais les images de mon père et de ses contemporains.

La Télévision
Les actualités diffusées dans les salles de cinéma se sont éteintes…
L’ORTF a pris le pouvoir en diffusant des images sur une chaîne unique en noir et blanc à midi et le soir. Il y avait deux journaux télévisés par jour et puis des magazines ont été créés. Introduit par Georges Méjat, j’ai pu devenir reporter caméraman pigiste. Je devais attendre assis sur une banquette, prés du bureau du chef du planning, pour avoir un reportage à filmer. Pour avoir le job il fallait arriver tôt le matin et attendre assis que l’on appelle.
 Je partais ensuite avec mon Bell & Howell 16 mm et une bobine de 30 mètre avec un flashman-chauffeur au volant d’une DS 19 avec le sigle Actualités télévisées et le sigle ORTF. J’étais très fier de mon statut professionnel. Plus tard, j’ai eu le statut de grand reporter avec carte de presse officielle et j’ai voyagé avec ma caméra autour du monde.

Grande révolution technique : l’arrivée de la caméra Coutant-Mathot auto-silencieuse et synchrone avec le magnéto à bande. Cette caméra avait été expérimentée par Pierre Lhomme dans le film Le Joli mai, de Chris Marker. Elle pesait 12 kg et bien que lourde son ergonomie était très bonne pour avoir de la stabilité sur l’épaule et pour coller l’appareil à l’œil. Les plans-séquences étaient synchrones et nos mouvements de caméra étaient guidés par le son.

Jimmy Glasberg et la célèbre Eclair 16, en Pologne lors du tournage de "Shoah", de Claude Lanzmann, en 1978
Jimmy Glasberg et la célèbre Eclair 16, en Pologne lors du tournage de "Shoah", de Claude Lanzmann, en 1978


Cette révolution technique je l’ai vécue dès son début. Une deuxième chaîne a été créée. L’agence Télé Europe m’a engagé pour collaborer aux magazines des journaliste Sédouy & Harris qui m’ont confié des reportages pour : "Zoom", "Seize millions de jeunes" puis "Bouton Rouge".
Très vite j’ai dompté ma caméra sur l’épaule pour composer des longs plans-séquences synchrones. Je tournais environ 6 000 mètres de pellicule 16 mm par semaine. J’étais libre, je prenais des risques techniques en surdéveloppant les émulsions pour les faibles lumières. Je poussais la 4X Kodak jusqu’à 1 000 ASA, ce qui amenait du grain et je me battais pour imposer ce style d’images loin des plans “cleans“ académiques. Cette longue époque de reportage m’a fait rencontrer des réalisateurs et des journalistes du même âge que moi qui débutaient dans leur profession. On pourrait citer Garrel, Laperrousaz qui ont fait carrière dans le cinéma et beaucoup d’autres moins connus. Pour le magazine “Bouton Rouge“ j’allais à Londres une fois par mois. Je m’étais créé un style de filmage en plan-séquence, qui durait le temps de la chanson, je tenais ma caméra sur l’épaule et parfois à bout de bras au milieu des musiciens sur scène. J’avais adapté un objectif fixe de 16 mm Arri sur ma caméra dont la frontale était au fond de la monture et évitait la diffusion de la lumière sauf quand je cadrais de très prés les musiciens en mouvement en me servant des flux lumineux pour rythmer l’image. La liste des musiciens filmés sur scène est longue, le film le plus célèbre est le "Stax Tour", avec Ottis Reding et Sam & Dave filmé corps à corps. J’ai déposé ce film sur Vimeo.

(En vignette de cet article, une capture d’écran de Jimmy Glasberg extraite de l’entretien réalisé par Gilles Porte)