Témoignages
A la suite de la soirée de présentation de la Charte de l’image, nous avons reçu des témoignages d’Eric Faivre, Françoise Piraud, David Grinberg.
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Eric Faivre, effets spéciaux
Le 14 novembre, une réunion impulsée par l’AFC réunissait autour d’une table ronde des professionnels de l’image, opérateurs, assistants, monteurs(euses), acteurs de la chaîne de postproduction, quelques réalisateurs et directeurs de production. Dans la salle de projection de La fémis au trois-quarts pleine on pouvait également noter la présence de chefs décorateurs, cadreurs, ingénieurs du son etc.
Débats très larges et très engagés sous l’impulsion incisive de Benoît Jacquot et la houlette protectrice de Pierre Lhomme.
Je fais des effets spéciaux depuis vingt-cinq ans, des effets spéciaux de plateau, ce qui signifie, pour le préciser, que je ne travaille que devant la caméra parfois derrière et jamais sur de la pellicule impressionnée. J’ai reçu une formation artistique.
Comme tout le monde, j’ai vu le cinéma changer et j’en ressens les différences. Lors des débats, il me semble avoir perçu quelque chose de sensible qui nous relie tous à notre métier.
Dans tous les métiers de la création et à tous les échelons, il est important d’être relié au résultat de notre travail. Nous devons pouvoir identifier ce résultat, le palper, quelqu’y soit notre apport. A la question " Qu’avons-nous fait aujourd’hui ? " nous avons aussi besoin d’une réponse qui soit autre chose qu’un décompte d’heures d’activités ou un gain d’argent ou de notoriété. Cette réponse, c’est dans l’exposition d’un travail collectif que nous allons la trouver.
À plusieurs reprises la traditionnelle " projection " des rushes pour l’équipe en fin de journée a été citée.
Il est probable, sans que cela ait été clairement défini, que nous savons tous que cette tradition permettait à toute une équipe de se retrouver librement reliée au travail effectué dans la journée. Quant on parle de " projection de rushes ", il faut bien comprendre qu’il ne s‘agit absolument pas de montrer quelques images sur CD aux intéressés pour " corriger " des erreurs. Dans ce cas-là, il s’agit d’une prise de possession de l’image et en tout cas rien de comparable, il me semble, avec une projection de rushes en salle, dans le silence, dans la neutralité où chacun s’apprécie à l’image et identifie son travail en tête-à-tête avec lui-même.
Cette relation identitaire avec le " résultat du travail " quotidien est en train de disparaître de notre métier. Il ne faut pas se tromper, cette relation qui relie chacun d’entre nous à notre travail et soude une équipe dans la liberté d’appréciation disparaît en laissant le champ à d’autres relations. Pendant tout le tournage d’un film, que nous reste-il aujourd’hui comme " résultat de notre travail " ? Par défaut, n’est visible sur le tournage comme " résutat de notre travail " qu’un résultat principalement économique, énergétique, agrémenté d’un coefficient de notoriété.
Dans notre métier, nous ne pouvons défendre que ce qui est visible, à tous les échelons du travail. En étant privé d’un certain résultat de notre travail, nous sommes amputés des moyens de le défendre.
Le résultat d’un travail artistique collectif doit constamment rester visible et neutre pour tous les acteurs qui veulent bien y exposer un peu d’eux-mêmes.
Notre métier s’individualise sans que soit nommé un responsable précis et pour cause : il n’y en a pas d’autre que nous-mêmes.
Françoise Piraud, directrice de postproduction
En discutant avec Diane Baratier et avec d’autres après cette rencontre du 14 novembre et en réfléchissant aussi à ce que j’aurais pu dire et que je n’ai pas dit, j’ai eu envie de vous envoyer cette petite lettre.
Je voulais avant tout vous remercier de m’avoir invitée et offert cette place à l’occasion de ce débat que vous avez eu l’intelligence d’amorcer pour présenter votre " Charte de l’Image ". Cela m’a immédiatement encouragée dans la poursuite de mon travail pour lequel il faut être très motivée tellement il est parfois peu reconnu.
En tout cas, j’étais impressionnée et fière d’être parmi vous et de pouvoir, du haut de cette estrade, vous observer et apprécier la passion qui vous anime. Voir les films que certains d’entre vous éclairent et cadrent m’a ravie maintes fois et vous avez certainement raison de demander que - quelles que soient les technologies utilisées - votre responsabilité à l’image puisse toujours s’exercer dans les meilleures conditions possibles et pour le bénéfice de tous à savoir producteurs, réalisateurs, distributeurs et spectateurs.
Dans votre Charte, Article 3, il y a une phrase importante, comme une philosophie de la production : « Il s’agit d’établir une cohérence entre le projet artistique, les moyens techniques et financiers de production et de postproduction et les différents supports de diffusion. »
Je voulais succintement donner mon avis sur trois points qui ont été plusieurs fois énoncés lors de ce débat :
- La possibilité de choisir certains prestataires, fournisseurs, loueurs, laboratoires, etc.
- La réduction du temps de préparation qui fragilise ainsi votre capacité à prendre connaissance du projet et à en assumer la responsabilité à l’image telle que vous la définissez dans le châpitre 1 de votre charte.
L’absence désormais trop fréquente de projection ou " visionnage " de rushes.
J’accepte que mon avis sur ces trois points soit contesté par les producteurs ou les directeurs de production mais le voici :
- Vos préférences quant aux prestataires, fournisseurs, laboratoires, étalonneurs doivent être communiquées aux instances de production. Il faut dans tous les cas essayer et faire faire des devis, même si ceux que vous souhaiteriez ne sont pas les habitués des producteurs. Si des effets spéciaux sont refaits 10 fois avant d’être validés par le réalisateur et par vous, cela coûtera cher au producteur : en temps de travail de l’équipe montage, en délais de livraison, en inquiétude. De même, si vous ne pouvez pas communiquer avec l’étalonneur, photochimique ou numérique, parce que vous ne connaissez pas son travail, le temps passé à l’étalonnage risque de se prolonger. Dans nos métiers, beaucoup relève de la communication, puisque le travail est un travail d’équipe au service d’un réalisateur - ou d’une réalisatrice - qui nous informe de ses choix artistiques et nous demande un résultat.
De la même façon : toutes les étapes de production - de la préparation, au tournage, montage, étalonnage, mixage, etc. - doivent être pensées en terme de temps, discutées en connaissance de cause et valorisées. Chaque film est différent, aura son élaboration particulière et donc un schéma et un temps différent. C’est cette cohérence dont vous parlez entre le projet artistique et les moyens techniques et financiers qui doit être trouvée pour chaque projet. On ne peut pas non plus tourner 12 heures par jour, puis ne pas voir les rushes, puis rentrer chez soi et recommencer le lendemain sans briser un équilibre personnel, ce qui n’est pas compatible avec l’attention qui nous est demandée dans cet art-industrie si coûteux.
Quant aux rushes, j’ai souvent entendu des réalisateurs se plaindre de n’avoir rien vu de leur film et de le découvrir au premier bout à bout du montage. Ils ont alors l’impression qu’on leur a volé leurs images et que le film ne leur appartient plus. C’est évident aussi, que si les machinistes, les électriciens, les maquilleurs, costumiers, chefs opérateurs, scriptes, ingénieurs du son, etc., ne voient pas leur travail au moment du tournage, ils pourront difficilement éprouver leur savoir-faire à l’aune des réactions du réalisateur et corriger quoique ce soit au moment opportun.
Mais bien sûr, ceci est un monde qui pourrait être désormais idéal si vous n’étiez pas intervenus et si vous ne continuez pas de le faire.
Les films commencent à être diffusés à partir de disques durs, pour le grand bonheur des distributeurs et des exploitants - on ne peut leur en vouloir. Le marché du DVD bat son plein, la phase numérique est quasiment incontournable, en postproduction en tous cas. Mais cette technologie peut être très intéressante, à condition bien sûr d’avoir les moyens de l’utiliser donc à condition de la prévoir.
Il y a en France d’excellents prestataires et laboratoires, et certainement du travail pour tout le monde. Certains d’ailleurs étaient présents lors de ce débat. Les avoir comme interlocuteurs pour mettre en place un film et suivre sa fabrication est extrêmement utile et intéressant. Il ne faut jamais hésiter à réunir tout le monde au moment de la préparation, y compris les monteurs image et son. Tout ce qui est anticipé est bienvenu.
Que vive votre Charte et le cinéma qui la soutient !
David Grinberg, assistant opérateur
Je tiens à vous remercier pour cette soirée réussie de présentation de la Charte de l’Image et pour laquelle vous avez eu la gentillesse de m’inviter.
Je me suis dit que vous seriez aussi intéressés de recueillir les impressions des personnes invitées.
Beaucoup de problèmes ont été soulevés en présence de plusieurs " acteurs " de la profession.
Mais il aura manqué le point de vue d’au moins un producteur. Aucun n’a daigné venir. J’insiste sur ce point car cela amène à s’interroger sur leur préoccupation ou même l’absence de préoccupation de la qualité des images des films produits aujourd’hui. Leur priorité n’est peut-être pas ou peut-être plus la qualité d’un film. Ou bien peut-être n’est-elle pas la même. Or il faut pouvoir la connaître, en discuter. Et pour cela ouvrir un dialogue franc avec les producteurs d’aujourd’hui.
On ne peut se passer de les rencontrer si l’on veut voir appliquée cette charte sur les tournages. Quelqu’un a dit lundi soir : « Plus encore qu’une charte de l’image, c’est presque une charte de la production d’un film qu’il serait nécessaire de rédiger. Les producteurs sont quand même les premiers garants de la qualité d’un film. »
Au ton passionné des différentes interventions lundi soir, on ressent la forte motivation de chacun à voir s’appliquer cette charte de l’image et à se l’approprier.
Cette initiative est donc mobilisatrice, ce qui est immense, et cette soirée lui a donné tout son élan.
Et la lumière fut...
(Article paru dans Télérama du 23 novembre 2005)
Sur les tournages, les chefs opérateurs - ou directeurs de la photographie - sont les maîtres du cadre et de la lumière. A l’ombre des studios, ils peaufinent leur travail. Mais depuis la déferlante des technologies numériques, leur domaine d’intervention est de plus en plus flou. Avec la généralisation de l’étalonnage numérique, des effets spéciaux ou encore du DVD, ils n’ont plus toujours le dernier regard sur la qualité artistique et technique de l’image. Pour éviter que s’étende cette perte de contrôle, l’AFC a rédigé une charte de l’image. Son but ? Définir noir sur blanc, les fonctions précises du chef op’ pour réaffirmer la prépondérence des enjeux artistiques sur les possibilités technologiques.
« Il y a encore une dizaine d’années, on travaillait avec trois personnes dans un seul labo : le cinéaste, le monteur et l’étalonneur », explique Eric Gautier, corédacteur de la Charte. « Avec l’omniprésence du support vidéo, l’image peut être constamment modifiée, et l’atomisation des tâches a multiplié le nombre d’intermédiaires. Le risque majeur, c’est que cela produise à l’arrivée une image uniformisée, que se dilue la notion de style qui fait la marque des grands films ou, simplement, que ce style ne corresponde pas aux désirs du cinéaste. »
A terme, les rédacteurs de la Charte souhaiteraient qu’elle figure sur les contrats passés entre cinéastes et producteurs. Pour que la lumière soit, encore faut-il que le texte ne reste pas un vœu pieux. (Mathilde Blottière)
Les directeurs de la photographie (AFC) établissent leur charte
(Article paru dans le film français du 25 novembre 2005)
Les chefs opérateurs regroupés au sein de l’association française des directeurs photo (AFC) viennent d’éditer une charte prônant l’instauration de bonnes pratiques et redéfinnissant leur place dans le processus de fabrication d’un film, en tenant compte de l’arrivée du numérique et de l’apparition des nouveaux moyens de diffusion.
« L’idée-force de cette charte, c’est la défense de l’intégrité de l’œuvre du metteur en scène », souligne Eric Guichard, président de l’AFC. « Avec l’arrivée des nouveaux supports numériques (HD, DV, DVD), il y avait un véritable besoin de clarification. D’ailleurs, quand nous sommes allés voir les réalisateurs, les producteurs, les directeurs de production, les monteurs, les coloristes..., notre démarche a obtenu un très bon écho. »