Tom Stern, ASC, AFC, dirige la lumière d’une Master Class à La fémis

Par François Reumont pour l’AFC

AFC newsletter n°280

[ English ] [ français ]

Entre deux tournages hollywoodiens, le directeur de la photographie Tom Stern, ASC, AFC, a trouvé le temps, les 4, 5 et 6 septembre 2017, de répondre à l’invitation de Pierre-William Glenn, AFC, codirecteur du département Image de La fémis, à venir y diriger un séminaire de trois jours.

Venant d’achever récemment les prises de vues du nouveau film de Clint Eastwood (en partie tourné en région parisienne et dans un vrai Thalys entre Arras et Paris), Tom Stern est venu se prêter au jeu des questions-réponses autour d’une Master Class précieuse avec les élèves en image. Au programme, trois jours de discussions à bâton rompu avec l’opérateur de Million Dollar Baby ou de Gran Torino où confidences sur le métier, anecdotes croustillantes et conseils techniques se mêlent à un atelier pratique sur un décor dans les studios de la rue Francœur.

« Ayant travaillé longtemps en tant que chef électro avec Conrad Hall et Haskell Wexler, j’ai appris à leurs côtés une certaine philosophie de la simplicité en lumière », explique Tom Stern aux apprentis chefs opérateurs. « Par exemple, lors d’un des premiers tournage avec Conrad – c’était une publicité pour une bière ou un soda..., je ne me souviens plus très bien ! –, on faisait notre repérage du décor en extérieur-jour dans la campagne. Après avoir passé la matinée à relever minutieusement toutes les positions propices à l’installation des projecteurs à arcs en fonction des plans (à l’époque les HMI n’étaient pas encore sur le marché), face à un Conrad Hall plus que mutique, ce dernier me prend à part et me dit avec un sourire malicieux : « Tu sais, Tom, en extérieur-jour, j’essaie de ne pas rééclairer ! » Et je me suis vite rendu compte qu’il avait raison. Le soleil est extrêmement difficile à recréer en dehors du studio, aussi j’essaie la plupart du temps de m’appuyer dessus, de le renvoyer, voir de le diffuser sans tomber dans le piège de vouloir l’imiter ou le contrarier avec des projecteurs aussi puissants soient-ils ! »

Pour mettre en pratique cette simplicité, le chef opérateur américain a choisi de construire une série de plans dans le décor oriental proposé par La fémis pour l’occasion. « On va faire un truc à la Lawrence d’Arabie », lance-t-il avec humour. Tandis que les élèves mettent en place la caméra et le cadre, d’autres s’installent à une table pour faire les doublures. « Ça va être une scène de vente de chameaux dans une tente de Bédouins, on va d’abord filmer un plan un peu large pour montrer la situation, et puis on fera des plans plus serrés sur les comédiens. »

Tom Stern, centre, and the group of students
Tom Stern, centre, and the group of students

Utilisateur fervent de la lumière tungstène, le chef opérateur ne déroge pas à ses méthodes de travail. « J’adore les Arri T12 (10 ou 12 kW) », explique-t-il. Ce sont mes projecteurs de prédilection. J’en ai même acheté une bonne trentaine qui me servent sur tous mes films. Parfois, ça m’arrive aussi d’utiliser la version 24 kW, mais c’est plus exceptionnel. Par exemple, sur la séquence de fin de Mystic River, c’est un 24 kW tungstène qu’on avait installé au sommet d’une grue à presque 500 mètres des comédiens. Une seule source, quelques réflecteurs et voilà. La simplicité ! »

Tandis que les étudiants installent le projecteur, le chef opérateur les dirige pour leur donner quelques conseils. « Quand vous êtes sur un plateau, commencez toujours par allumer les Fresnel en mode spot. Ça permet de les orienter précisément... et au-delà de ça, je trouve que la lumière est plus intéressante à travailler en spot qu’en flood. Il se passe des choses que je n’arrive pas trop expliquer et qui donne plus de vie aux choses qu’on filme. »

Two students of La fémis in the Bedouin tent
Two students of La fémis in the Bedouin tent

Placé en latéral, à environ 3,5 m des comédiens, le 10 kW est donc en full spot, délivrant une quantité de lumière assez saugrenue pour les gens habitués aux niveaux extrêmement faibles nécessaires aux caméras numériques. « Moi j’aime bien tourner à 8 ou même 11 de diaph en intérieur. Je n’ai pas peur de la profondeur de champ, au contraire, je la trouve porteuse de sens dans beaucoup de cas de figure, permettant de mieux voir le décor, et parfois l’action. C’est très rare que je tourne à pleine ouverture. La plupart de mes films ont presque toujours le même diaph sur l’intégralité des prises de vues, soit 4 ou 5,6. Après, s’il y a besoin de casser cette profondeur, j’utilise bien sûr des filtres de densité neutre et je dose l’ouverture en conséquence. »

Tom Stern, right, explains the output of an Arri T12 to a female student
Tom Stern, right, explains the output of an Arri T12 to a female student

Pour modeler l’image et travailler la lumière, Tom Stern fait installer par les étudiants un cadre de diffusion 250 qui coupe en deux le faisceau du 10 kW. « On l’installe par le dessus, de façon à ce que le haut du faisceau qui tape sur les comédiens soit légèrement diffusé, tandis que le bas du faisceau qui tape sur leurs jambes et le sol reste à nu. Ça permet de garder du contraste sur la partie gauche du cadre, et pourtant d’adoucir un peu les visages. »

Tom Stern explains the light entering the tent on the monitor
Tom Stern explains the light entering the tent on the monitor

Continuant à réfléchir à l’image à haute voix, le chef opérateur insiste sur le contraste en profondeur. « J’essaie, la plupart du temps, d’éclairer depuis l’extérieur du décor et d’utiliser le moins de sources possible. Néanmoins, il faut parfois redonner des touches de lumière à certains endroits dans le cadre pour tricher le manque de place qu’on peut avoir sur un décor, et notamment la relative proximité des sources en comparaison avec la lumière naturelle du soleil. »
Pour ce faire, il installe ensuite deux autres Fresnel (2 kW et 1 kW) afin de donner de la texture au décor (avant-plan droit et arrière-plan gauche). « J’aime bien pour ça utiliser les incidences rasantes. Ça donne vraiment de la matière dans l’image. »

Tom Stern, left, Michel Galtier and students
Tom Stern, left, Michel Galtier and students

Autre truc, le contraste toujours assez élevé pour lui. « Il ne faut pas avoir peur du blanc ! Bien sûr, selon les caméras, la réaction à la surexposition peut être plus ou moins douce. Mais la plupart du temps, on arrive toujours, à l’étalonnage, à retrouver un peu de matière, et c’est cette sensation de contraste entre le blanc et noir qui permet de construire l’image… »

Tom Stern, right, adjusts the effect of a diffusor with Richard Brodet
Tom Stern, right, adjusts the effect of a diffusor with Richard Brodet

Questionné par les élèves sur l’étalonnage, Tom Stern avoue être, là encore, partisan du "less is more". « Je travaille un peu toujours avec les mêmes étalonneurs, comme Isabelle Julien, par exemple, en France. L’étalonnage, pour moi, doit aller très vite, quelques jours, une semaine la plupart du temps au maximum. Je m’arme de deux stylos pointeurs laser tout en regardant l’image projetée, et j’indique à l’étalonneur tel changement de contraste, ou tel volet pour assombrir telle ou telle partie d’image. Hors de question pour moi de se lancer dans 50 couches de masques qui bougent... ça me fatigue ! »

Sur les réglages caméra, et notamment sur la balance des blancs, le chef opérateur également se confie : « Personnellement, je reste fidèle à la méthode qu’on utilisait en argentique. C’est-à-dire que je fais régler la caméra soit sur 3 200 soit 5 600 et je n’y déroge jamais. De cette manière, je suis à peu près sûr que les rushes seront bien faits, et qu’il n’y aura pas d’erreur d’interprétation de la part du laboratoire numérique. Certes il y a quand même quelques exceptions, par exemple si je tourne avec des tubes fluorescents que je ne peux pas changer, et qui nécessitent un réglage intermédiaire. Mais autrement, c’est toujours tungstène ou lumière du jour. »

Autre conseil prodigué aux étudiants de La fémis : « Oubliez les chercheurs de champs ! », met en garde Tom Stern. « C’est l’attribut des mauvais réalisateurs qui ne connaissent rien aux caméras. Au contraire, munissez-vous d’une longue-vue un peu efficace qui vous permettra d’observer de très près le visage des comédiens, et en toute discrétion. C’est un outil que j’utilise tout le temps, et qui remonte même à ma carrière de chef électro. Avec ça, vous vous mettez dans l’axe caméra et vous pouvez contrôler par exemple les brillances, l’effet de tel ou tel réflecteur sur le visage, ou la tenue de tel ou tel postiche ou perruques qui peuvent facilement s’altérer au cours de la journée. »

Simplicité, humour et rapidité. Trois qualités auquel on pense quand on observe le bonhomme. « Vous connaissez la blague à Hollywood au sujet des directeurs de la photo ? », raconte Tom Stern… « Quand vous en choisissez un, c’est comme quand vous vous retrouvez face à un bon génie. "Bon", "Rapide" et "Pas cher" sont les trois qualités qu’il a répertoriées. Mais attention, quelque soit la personne choisie, le génie n’exauce jamais plus que deux vœux sur les trois ! »