Tourner à 24 images par seconde, nostalgie ou choix commercial

Par Jean-François Hensgens, AFC, SBC
Dans la cadre de la préparation d’un long métrage destiné en primeur à la salle et dont je vais commencer le tournage d’ici peu, la question m’a été posée de savoir si tourner le film à 25 i/s était une option afin de simplifier le travail de postproduction. En effet, dans ce cas, il n’y aurait qu’un master à 25 i/s valable pour l’exploitation en salles sous forme de DCP mais également pour l’exploitation vidéo.

J’ai utilisé le dialogue actif de l’AFC, formidable medium permettant de communiquer entre nous de manière simple et rapide via une adresse e-mail commune, pour questionner mes collègues directeurs(trices) de la photo membres de l’AFC. J’ai également utilisé un groupe WhatsApp regroupant des directeurs(trices) de la photo venant de divers horizons.
Voici un résumé des nombreuses et enflammées réponses et échanges que j’ai reçus.

Depuis que la norme SMPTE a remplacé le 1er standard de DCP appelé Interop (IOP), il y a beaucoup plus d’options de cadences possibles et notamment 25 i/s, pourquoi donc alors ne pas normaliser le 25 i/s ?
Voici quelques pistes de réponses.

Un grand nombre de directeurs(trices) de la photo, et c’est compréhensible, estiment que tourner à 24 i/s aujourd’hui n’est qu’un effet de nostalgie, en effet certains m’ont expliqué tourner systématiquement à 25 i/s par envie de simplicité, ce n’est plus une question pour eux aujourd’hui, pour moi, ce n’est pas aussi clair que ça.

Tourner à 25 i/s pour l’exploitation en salles impose que les serveurs des salles soient tous en mesure de lire le 25 i/s, ce qui est maintenant quasiment le cas en France puisque seulement 300 à 400 salles hexagonales rencontrent un problème de cadre en 25 i/s. Il a été mis à jour par la CST que, dans ces salles, le serveur reconnaît le 25 mais applique un cadre HD : concrètement, il manque, en projection sur la droite, la différence entre le 2 K et la HD : 128 pixels x 1080 (on s’en rend compte généralement lors du générique).

Mais quid des salles à l’étranger, si je tourne à 25 i/s et que le film est bien vendu à l’étranger, qu’en sera-t-il de la projection dans un cinéma de village, par exemple dans les Ardennes belges, dans les Pouilles ou en Amérique du Sud ? Lors de l’exploitation à l’étranger de films en ratio de cadre 2,39:1 à 25 i/s, il existe aussi des problèmes de non-reconnaissance du DCP par le serveur. Lors de l’activation des sous-titres le serveur ne permet pas la projection (certaines postproductions proposent d’incruster - burner - les sous-titres dans l’image, limitant ainsi l’exploitation du film).

Sachant cela, il est fort probable que dans la chaîne de distribution, on demande un DCP à 24 i/s, il faudra alors faire une harmonisation (downconversion), ce qui risque d’altérer le son, particulièrement sur la musique. En effet, il faudra faire un streech et une harmonisation du son à 4 % plus aigu pour compenser la réduction de cadence à 24 i/s si le film a été tourné à 25 i/s. Et si la musique en pâtit, c’est le rythme qui en est tout autant modifié, avec un rythme lent le changement peu s’avérer important.

Alors que la qualité devrait être à son plus haut niveau pour l’exploitation en salles, là où elle sera le plus mise à rude épreuve, c’est l’inverse qui va se produire puisqu’on privilégiera l’exploitation sur TV, écran, tablette, téléphone… Là où, même si la qualité de l’image et du son s’est accrue, une harmonisation 24 i/s vers 25 i/s sera moins perceptible qu’une harmonisation 25 i/s vers24 i/s pour les salles.

Si l’on reste sur le registre de l’exploitation internationale, on pourrait aussi mettre en avant qu’une des raisons qui pourrait nous pousser à tourner à 24 i/s est la diffusion TV dans les pays à 60Hz.
Ainsi, on n’aurai aucun problème à passer de 24 (en fait 23,97) à 30 (en fait 29,97) avec le système d’entrelacement en 3:2 Pulldown*.

Et si l’on veut réfléchir à l’impact de notre profession sur la planète, un autre point me questionne.
Sur la base de 90’ de rushes/jour, la différence entre 24/25 images s’établit à 216 secondes de plus de datas par jour.
Si on multiplie par 3 pour les back-up sauvegarde assurance… on arrive à environ 11 minutes par jour de datas supplémentaires à multiplier par le nombre de jours de tournage.

En RAW 4K, on a un supplément de datas avec back-up de 150/200 gigas par jour, (base moyenne d’enregistrement, 1T de l’heure), cela serait doublé pour un film tourné en grand capteur 8K, ce qui veut dire prêt de 400 Go/j de différence, cela impactera fortement la quantité de stockage nécessaire (et donc d’impact sur l’environnement) mais aussi le travail du Data Manager qui bien souvent ferme les portes du plateau, finissant après tout le monde.
Certains choix que nous faisons, grand capteur, utilisation de groupe électrogène, gélatine… ont, bien sûr, un impact sur l’environnement mais c’est avec ces choix que nous fabriquons le caractère et la personnalité de notre image. A mon sens, tourner à 25 i/s n’impacte d’aucune manière notre singularité de directeur(trice) de la photo mais bien la planète sans autre raison que la facilité que ça engendre pour la postproduction. Comme il me semble évident qu’il faudra probablement quand même au final un master 24 i/s pour l’international et un master 25 i/s pour l’exploitation TV, on ne peut même pas miser sur la fabrication d’un seul master 25 i/s pour équilibrer ce déficit.

Le débat animé qu’a provoqué ma question s’est tourné à un moment vers quelque chose de presque philosophique, opposant gentiment les pro 24 i/s et les pro 25 i/s sur la question de la nostalgie, nostalgie de la salle obscure, de l’utilisation d’une cellule plutôt qu’une Waveform…
Je ne crois pas qu’il y ait de camps liés à nos choix d’utilisation d’une technique plutôt qu’une autre, nous faisons toutes et tous le même métier, avec bien sûr, nos spécificités mais avec l’envie avant tout de raconter quelque chose grâce a notre travail.
Il y a si peu de choses pour lesquelles nous avons l’opportunité d’être toutes et tous sur la même page à travers le monde que je me demande si ce standard du 24 i/s, qui est fiable et universel depuis la création du cinéma (suite à la découverte de la persistance rétinienne par Joseph Plateau), ne vaut pas la peine d’être encore protégé.

Merci à Brice Pancot, Olivier Chambon, Philippe van Leeuw, Yves Cape, Eric Guichard, Baptiste Magnien, Frédéric Serve, Gertrude Baillot, Philippe Ros, Steeven Petitteville, Guillaume Desfontaine, tous "AFC", et Guillaume Le Grontec, Simon Roca, Julien Roux !

* Ref : Three-two pull down