Tout sur Robert, Berto, Lelouch... et les Leica Summicron

Par Ariane Damain Vergallo, pour Ernst Leitz Wetzlar

par Ernst Leitz Wetzlar La Lettre AFC n°267

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A la fin du tournage du dernier film de Claude Lelouch, Chacun sa vie et son intime conviction, Ariane Damain Vergallo a rencontré, pour CW Sonderoptic-Leica, Robert Alazraki, AFC, directeur de la photographie du film, et Berto, son cadreur, pour parler d’optiques évidemment mais pas seulement…
Robert Alazraki - Photo Ariane Damain Vergallo - Leica M, Summicron-C 100 mm
Robert Alazraki
Photo Ariane Damain Vergallo - Leica M, Summicron-C 100 mm


Tout sur Robert, Leica et une histoire de famille
Le désormais unique Robert de l’AFC est bien sûr Robert Alazraki, le chef opérateur qui promène sa cellule et son sourire malicieux sur les plateaux de cinéma depuis presque un demi siècle. L’heure n’est pas aux bilans mais aux tournages et à la transmission avec les étudiants de l’ESAV de Marrakech dont il a pris la direction de la filière Image à la suite de Charlie Van Damme, AFC, et tout dernièrement avec les apprentis des Ateliers Cinéma de Beaune.

En effet, le réalisateur Claude Lelouch vient de faire appel à lui pour la troisième fois en trois ans – comment avait-il pu échapper à Robert depuis si longtemps, c’est un mystère – avec Salaud on t’aime, en 2014, Un + Une, en 2015, et Chacun sa vie et son intime conviction dont il vient de terminer le tournage à Beaune.
La ville de Beaune est l’épicentre d’un projet d’envergure cher à Claude Lelouch ; créer un atelier de transmission des savoirs du cinéma à 13 jeunes apprentis – 13 étant le chiffre fétiche de Lelouch – qui effectueront leurs classes sur un tournage de long métrage. Robert Alazraki a donc fait participer la toute première promotion à toutes les étapes de son travail de préparation du film Chacun sa vie et son intime conviction.
La première étape a consisté à comparer les trois caméras du tournage : la Sony Alpha 7, qui avait été achetée lors du précédent film de Lelouch, la Canon XC10, qui allait être la caméra des apprentis et la caméra principale, la Sony F55.
La deuxième étape a été de confronter les performances de trois séries fixes, étant entendu que les zooms étaient déjà choisis ; la série Zeiss T:2.1, la série Cooke S4, enfin la série Summicron-C.

Avant de vous dévoiler la série gagnante – mais à ce stade vous devriez déjà vous en douter – permettez-moi de vous raconter une histoire.
Robert Alazraki a beaucoup hésité sur le choix d’un métier, quoique tous ses choix avaient quelque chose en commun ; le goût de la forme. Il a d’abord voulu être architecte, brièvement, puis, avant de se consacrer entièrement au cinéma il s’est tourné vers la photo. C’est un jeune homme de 19 ans qui quitte son Maroc natal et arrive à Paris dans les années 1960. Il devient photographe pour l’opéra, le théâtre, la musique mais il n’a pas les moyens de s’offrir un appareil photo Leica et il lorgne donc sur celui de son frère Georges qui est également photographe ; un magnifique Leica M3 avec un objectif 90 mm Summicron.
Dans ces années-là, le "swinging London" est la capitale du monde et Robert, à l’appel des sirènes, part faire une école de cinéma à Londres sans toutefois oublier ses premières amours en photographiant à tout va : Antonioni qui tourne Blow-up, un concert des Pink Floyd, le Living Theater ; toutes photos qui ont fait l’objet d’une exposition photographique en 2015.

De retour en France, Robert Alazraki commence alors la carrière qu’on lui connaît.
Il y a quelques années, son frère Georges meurt, Georges, l’aîné admiré, l’heureux possesseur du Leica M3 et du 90 mm Summicron et quand je demande à Robert pour quelles raisons il a finalement choisi la série Leica Summicron-C, il me répond :
« Pour toutes les raisons imaginables mais surtout – et je veux bien le croire tant notre rapport aux images est mélangé d’émotions de toutes sortes – en mémoire de mon frère ».
Il parle aussi de raisons plus rationnelles et d’autres jolies aussi comme : « La qualité difficile à égaler du point de vue de la brillance, du contraste, de la définition ».
« Et aussi la rondeur, le velouté ».
« Jamais vu des cailloux aussi beaux ».
« Des objectifs magnifiques ».
Il a, pour finir, une formule étonnante concernant des objectifs et cela clôt notre discussion : « Et puis ce sont des objectifs gentils ! ».

Berto - Photo Ariane Damain Vergallo - Leica M, Summicron-C 100 mm
Berto
Photo Ariane Damain Vergallo - Leica M, Summicron-C 100 mm


Lelouch, Berto et le 21 mm Summicron
Lorsqu’ils se sont rencontrés par hasard (hasard ou coïncidence ?) vers 1h du matin sur la Croisette lors du Festival de Cannes 2014, Claude Lelouch et Berto n’avaient pas travaillé ensemble depuis presque 20 ans. Lelouch a alors eu cette merveilleuse phrase que tout le monde rêve d’entendre de la part d’un réalisateur tel que lui à la carrière si exceptionnellement longue, variée et remplie de succès – et c’était presque comme une réplique d’un de ses films – il a alors dit à Berto : « Tu m’as manqué »… et leur collaboration était repartie.

Lelouch est un adorateur du plan-séquence et donc un adorateur presque inconditionnel des zooms, aussi la série Leica Summicron-C choisie par Robert Alazraki avait étonné Berto qui avait alors pensé : « Une série fixe, on ne la sortira jamais ». Ce serait mentir que ne pas avouer que les moyennes et longues focales sont restées sagement dans leur caisse, en revanche les courtes focales ont eu régulièrement leur heure de gloire et particulièrement le 21 mm.

Dans la gamme Leica Summicron-C, les courtes focales s’échelonnent de très près ; 18, 21, 25 et 29 mm et ce choix important se justifie dans les intérieurs en décor naturel où l’on doit s’adapter aux dimensions du lieu.
Utiliser une courte focale en intérieur s’avère parfois périlleux tant les horizontales et surtout les verticales des murs, portes, fenêtres et mobilier sont présentes. En cela les courtes focales Summicron et leur absence de déformation s’imposaient.
Pour les plans fixes larges en intérieur, Berto proposait d’abord le 14 mm Zeiss (le 15 mm Summicron arrive à la fin de l’année 2016 !) – logique car Lelouch adore cette focale – et puis il ne le trouvait pas assez "plein" car il aime que ce que l’on donne à regarder soit essentiel. Le 14 mm s’avérait toujours trop large et avec le 21 mm tout est plus proche et on voit mieux avec une impression similaire de plan large, de décor très présent avec des amorces possibles en différents endroits.

Berto et Claude Lelouch en tournage
Berto et Claude Lelouch en tournage

Certains plans-séquences en intérieur étaient tout simplement impossibles à faire avec des zooms, même à focale équivalente, aussi Berto choisissait alors le 21 mm car toutes les courtes focales de la série ont une distance minimum de mise au point inégalable de seulement 1 ft – 33 cm – et un encombrement de 10 cm ce qui lui permettait de se caler dans les endroits les plus exigus comme lors de ce long plan séquence à l’épaule dans le petit appartement de Béatrice Dalle qui incarne dans le film une prostituée dont c’est la dernière "passe" et où, après l’avoir précédée dans toutes les pièces, Berto terminait dans la cuisine coincé entre le mur et un réfrigérateur dont Béatrice Dalle ouvrait la porte et en sortait un gâteau qu’elle offrait à son dernier client qui entrait alors dans le champ de la caméra pour un dernier échange avec elle.
A la fin de ce long plan les comédiens étaient alors extraordinairement proches de lui, dans une intimité et une intensité rendues possibles par la quasi absence de déformation des traits de leur visage même à cette très courte distance.

Comme dans tous les films de Claude Lelouch, le format de Chacun sa vie et son intime conviction est le Scope 2,35 en version Super 35 qui permet donc l’utilisation d’objectifs sphériques comme la gamme d’objectifs fixes Leica Summicron-C. Le Super 35 est d’ailleurs un format que Lelouch a "inventé" pour le tournage du film Les Uns et les autres, en 1981, et que Berto a découvert en 1986 lors de leur première collaboration.
30 ans et neuf films plus tard, Berto est toujours bluffé par Lelouch, le réalisateur qui l’a formé, lui a donné sa chance et surtout ses "heures de vol" indispensables pour le cadreur expérimenté qu’il est devenu.