"Transferts", une série d’anticipation made in France

Entretien avec le directeur de la photographie Pascal Lagriffoul,

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Pour sa deuxième incursion dans l’anticipation et après la série "Trepalium", Arte France a décidé de confier à Patrick Benedek et Claude Scasso l’écriture d’une saison de six épisodes consacrée à l’immortalité, au transfert de corps à corps. Une série diffusée à partir du 16 novembre et dont Pascal Lagriffoul, AFC, a signé l’image de la première saison. Le premier épisode est sélectionné à Camerimage en compétition Pilotes Série TV. (FR)

En quoi ce projet est-il différent des autres pour vous ?

Pascal Lagriffoul : La première des particularités, pour moi, est de travailler avec un producteur scénariste, en l’occurrence Patrick Benedek. Le fait de cumuler ces deux rôles l’a énormément impliqué dans la série, il en a été le producteur artistique et cela nous a motivés à tous les postes.
Comme d’autres téléfilms que j’ai pu tourner par le passé avec Patrick comme producteur, c’est Olivier Guignard qui s’est chargé de la réalisation. Mais cette fois-ci, sur les six épisodes qui constituent la première saison, deux ont été confiés à un deuxième metteur en scène – Antoine Charreyron – qui est issu du monde des jeux vidéo. Il a apporté à la série un univers graphique. J’ai été le chef opérateur sur toute la saison pour assurer une continuité visuelle, définie pour la série, avec deux metteurs en scène qui avait forcément une vision et une approche parfois assez différente...

Comment se traduisait cette approche ?

PL : Antoine, par exemple, avait des demandes très précises sur la construction de l’image. Son vocabulaire précis sur la lumière et le cadre vient de termes utilisés en infographie et n’était pas, d’entrée, le même que le mien. Je me souviens, par exemple, du terme "Rimlight", un effet qui consiste, en 3D, à créer des brillances sur la peau des personnages. Il privilégiait aussi les plans larges et très larges, par rapport à Olivier, et puis n’hésitait pas à jouer les effets de mise en scène. Forcément, je pense qu’il a parfois dû être un peu frustré par le rythme et les possibilités d’un tournage de série télé...
Par exemple, il est difficile de faire une bonne quarantaine de plans par jour, en étant précis et ambitieux dans chaque mouvement caméra en tournage "réel", ce qui est très différent d’une création dans le domaine du jeu vidéo. Sa précision, son exigence dans la construction des plans et des séquences m’ont amené, moi et d’autres, à repousser certaines limites de temps et de matériel, ce qui concrétisait l’ambition de tous dans ce projet.
Olivier, de son côté, est un réalisateur qui met un soin particulier aux personnages et aux comédiens. Sa caméra cherche l’émotion, l’intimité, elle est très proche des corps, des visages... pas forcément à distance. Il a une grande maîtrise du processus de production. Une grande capacité d’adaptation aux contraintes et une envie de laisser la place à l’inspiration de la caméra, des comédiens, pour nous faire "danser ensemble" sur le plateau.

Comment se passaient les choses d’un épisode à l’autre ?

PL : La plupart des journées étaient consacrées à l’un ou l’autre des segments, pourtant il y a eu certaines exceptions qui ont donné lieu à du "cross boarding" sur le plan de travail, avec l’intervention d’un réalisateur, puis de l’autre, sur le même décor, parfois dans la même journée. Comme souvent en téléfilm, on essaye de s’assurer qu’ils vont garder à peu près les mêmes axes lumière pour ne pas tout avoir à refaire de l’un à l’autre et "tenir" la journée... Les promesses ne sont pas toujours tenues... et il faut de toute façon s’adapter ! Quoi qu’il en soit, j’essaye chaque fois de placer au moins une source importante à l’extérieur de chaque décor, sur la ou lesquelles je m’appuie, en sachant que je n’aurais pas le temps de changer sa position selon les plans.

Vous faites des longs métrages et travaillez souvent en fiction TV. Pour vous, où se trouve la différence ?

PL : Il y a plusieurs différences mais parlons de la plus concrète. Quand on met en chantier une série, il faut élaborer une sorte de bible visuelle de référence ("mood board") qui sert ensuite pour toute la préparation et pour le tournage. À la fin, je propose aux personnes qui participent à la proposition artistique visuelle de la série de participer à l’étalonnage au début ou en fin de processus. Une démarche plus collective qu’en long métrage, qui associe à la fabrication de l’image le producteur artistique, les réalisateurs et la chaîne (dans ce cas-ci, Odile Carrière, très impliquée et attentive à chaque étape). Ce qui est motivant à la fin, c’est d’arriver à les associer tous pour aboutir à une direction artistique cohérente, en tenant compte des idées et des avis de chacun. Tout en sachant que chaque spectateur pourra y trouver son propre sens.
En long métrage, l’image germe plus dans un dialogue... à deux, réalisateur et chef op’. Ici, j’ai dû trouver ce fil dans une discussion multiple.

Vous parlez de "mood board"... aviez-vous choisi d’autres séries en référence ?

PL : La mini série britannique "Red Riding Trilogy" (2009), qui est pour moi un modèle absolu, et puis aussi, pour le côté série d’anticipation fantastique, "The Leftovers".

Quels sont les grands choix d’image ?

PL : On a eu cette idée d’image assez chaude, solaire, qui prévaudrait sur l’ensemble de la série. Bon, la série a été tournée en Belgique, et ce n’est pas l’endroit idéal pour tourner au soleil ! Néanmoins, j’ai essayé de tirer parti le mieux possible d’ambiances un peu dorées. J’ai également essayé de travailler beaucoup sur les couleurs complémentaires, un peu comme jouer sur le contraste en noir-et-blanc.
C’est vrai que de ce point de vue, tourner en noir-et-blanc offre un contrôle sur l’image qu’on a perdu avec la couleur. Les couleurs se mélangent ou s’affaiblissent sans cesse, si elles ne sont pas parfaitement décidées et coordonnées. À moins d’avoir le temps et les moyens d’un travail ciselé entre décors, costumes et lumière, c’est assez difficile de jouer cette carte.
Néanmoins, il y a quelques épisodes, comme celui de la pianiste, qui jouent sur les associations entre le jaune et le bleu, de manière à renforcer les narrations parallèles. Dans notre métier, les principes de réalité de budget, de temps et de mise en scène, mettent parfois à rude épreuve les idées de départ !

Et pour les décors ? Faire croire à un univers d’anticipation n’est pas la chose la moins chère !

PL : Si Bruxelles n’était pas la ville la plus ensoleillée, en revanche, nous y avons trouvé un foutoir architectural vraiment idéal pour traduire cette notion de futurisme contemporain. On peut très bien passer d’une rue à l’autre de la période moderne aux années 1950, en passant par les 70’s...
Cette carte de futur indéfini qu’on a choisi de jouer, proche de notre présent visuellement, avec juste quelques éléments (comme la rareté des voitures) qui évoque l’univers d’anticipation.
Peu d’effets spéciaux à la fin... Mais plutôt des idées de mise en scène.

Quelle caméra avez-vous choisie ?

PL : Le rythme très soutenu de tournage (68 jours pour six épisodes de 52 minutes) m’a forcé à opter pour une caméra portée très souple et rapide à installer. On voulait aussi une certaine intimité du transfert. Être proche des comédiens et avoir une caméra épaule qui s’assume en amenant un peu d’incertitude. Un des personnages principaux transféré étant une petite fille, j’ai donc été amené à tourner à sa hauteur, soit grosso modo caméra au niveau de la taille. Comme je n’aime pas trop les systèmes de harnais suspendus comme l’Easy Rig, j’ai demandé à mon équipe machinerie de mettre au point une structure aluminium déportée avec œilleton – baptisée "la cage" par l’équipe image – qui m’a permis de conserver toutes les sensations de la caméra épaule, mais à hauteur de hanche.

Et comme optiques ?

PL : Je pars habituellement avec une série Cooke S4, que je connais bien et dont j’apprécie le rendu. Mais vu le très grand nombre de plans à tourner, et surtout le temps que prenait chaque changement d’objectif sur ma "cage" déportée, j’ai décidé cette fois-ci de prendre aussi trois zooms Angénieux ultra légers (15-40 mm, 28-76 mm et 45-120 mm) qui m’ont beaucoup servi. Après comparaison, impossible de faire la différence avec la série fixe, à moins peut-être un peu plus de pompage sur les bascules de point. Des outils précieux pour ce projet.

Un mot sur l’étalonnage ?

PL : L’étalonnage s’est effectué en Belgique, au Studio l’Equipe, avec Peter Bernaers dont je salue le travail. Comme je l’expliquais, j’aime vraiment décider des couleurs et du contraste à la prise de vues, et il ne s’agit pas, à l’étalonnage, de repartir des fichiers Raw RED en appliquant des couches qui reconstruisent trop les images. J’attends du coloriste qu’il vienne chercher l’image qui existe dans le Raw plutôt qu’il ne tente de trop la fabriquer après coup. Et c’est exactement comme cela que Peter Bernaers a travaillé avec moi. Cela demande un geste vif et un regard sûr. Je voudrais joindre à cet entretien un petit texte où Peter dira l’essentiel mieux que moi.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

  • Lire le texte de Peter Bernaers à propos de l’étalonnage de la série "Transferts".

Production : Patrick Benedek pour Arte France (Odile Carrière)
Scénario : Patrick Benedek et Claude Scasso
Réalisation : Antoine Charreyron et Olivier Guignard