Un fil à la patte

Drôle de sentiment que me donne ce film : c’est la première fois de ma vie que la projection du film sur écran ne correspond pas du tout à ce que m’avait fait imaginer, jusque-là, la collaboration avec le metteur en scène.
Henri Alekan m’avait fait part d’un désarroi semblable quand il s’était rendu compte d’une divergence fondamentale sur l’image après un long travail " en commun " avec un réalisateur...
La collaboration a été, relativement, heureuse sur un tournage plutôt court et contraignant : 7 semaines de 5 jours, voyages compris dont 7 jours à Villeurbanne dans le Studio 24 de Roger Planchon (studio polyvalent théâtre - cinéma, très bien équipé avec une équipe intelligente, disponible et compétente).
Le réalisateur avait fait un découpage technique précis qui accompagnait le scénario lui-même et il s’y est tenu presque à la lettre. Il n’y a pas ou peu de répétitions, ce qui rend le travail du cadreur (Laurent Dhainaut a été remarquable) aussi difficile que gratifiant, puisque la précision relative de la prise de vues est obtenue avec un minimum de prises et avec très peu de pellicule (moins de 25 000 mètres de négative : Fuji 400, Kodak 5229 et 5218). Il serait presque hilarant de voir une description dessinée des plans aussi précise ne correspondre en rien avec l’efficacité d’une mise en place avec le cadreur si ça n’était pas aussi énervant et stérile à pratiquer, et, je dois avouer que je n’aurais pas pu tenir la caméra suivant cette règle du jeu censée obtenir la " spontanéité " des acteurs, tous excellents par ailleurs dans ce film.
Mon travail impliquait une prise en compte des balances intérieur - extérieur très variables, dans des décors avec de grandes surfaces de vitres. J’ai choisi de pouvoir doubler ou quadrupler la luminosité intérieure plutôt que de me battre avec des gélatines de gris neutre qu’il faut toujours changer. Le résultat a été très convaincant.
Détail amusant, Michel Deville fait lui-même une photo des tous ses plans après leur tournage.
Au chapitre des bonnes choses, il faut mettre aussi la projection régulière de rushes, chez Eclair, ce qui n’a pas empêché, d’ailleurs, le metteur en scène de prendre l’exact contraire du négatif au tirage et de me retirer l’envie de vous montrer mon travail à une avant-première AFC. Comme quoi, rien n’est parfait et il serait heureux de relativiser en France la notion " d’auteur " de la lumière de notre ami Storaro... Nous défendons l’auteur - metteur en scène et son film, même quand la qualité de l’image résultant d’une collaboration tronquée n’a pas été souhaitée par le directeur de la photographie, le principal étant que le film plaise à son auteur : le metteur en scène. Diviser le droit d’auteur consiste à renforcer le copyright. Même quand c’est très douloureux comme ici, sachons rester modestes, au service de... et garder de l’humour devant les hypertrophies d’ego de certains metteurs en scène " moitrinaires " et capricieux.

Équipe

Cadreur : Laurent Dhainaut

Technique

Négatives : Fuji 400, Kodak 5229 et 5218
Laboratoire : Eclair