Un prophète

de Jacques Audiard, photographié par Stéphane Fontaine, AFC

by Stéphane Fontaine

Stéphane Fontaine a longtemps été le premier assistant d’Eric Gautier. Issu des cours de l’Ecole nationale supérieure Louis-Lumière (promotion 1985), il se met parallèlement à son travail de pointeur à faire la lumière sur des documentaires ou des films d’art.
Après un passage dans le milieu de la publicité, son premier long métrage en tant que chef opérateur est Bronx Barbès d’Eliane Delatour en 2000. Il a depuis collaboré avec Philippe Grandrieux, Arnaud Despleschin ou Barry Levinson.
Un prophète est son deuxième film avec Jacques Audiard, après De battre mon cœur s’est arrêté.

Quel est l‘enjeu de ce nouveau film ?

Stéphane Fontaine : Pour moi le film raconte vraiment la création d’un individu… C’est le trajet d’un jeune homme, qui va se révéler à lui-même tout au long des six ans que dure sa peine de prison. Une sorte de parcours initiatique, sans jugement de valeur, comme c’est souvent le cas dans les films de Jacques Audiard.
Ce film repose donc beaucoup sur le casting. Un choix ambitieux de visages nouveaux, avec notamment Tahar Rahim, ce jeune comédien de 27 ans pour qui tout a l’air si simple sur un plateau. C’est à mon sens la révélation d’un grand talent.

Comment avez-vous mis au point la stratégie visuelle pour ce projet ?

On a mis un peu de temps à trouver comment faire ce film… On a fait pas mal d’essais, en super 16, en 35 et aussi en numérique avec la Red et la HVX200.
Idéalement, nous aurions aimé tourner de manière quasi documentaire, en allant dans une vraie prison, et en adoptant un mode de filmage très libre. De ce point de vue la solution Super 16 était très bien adaptée, sachant qu’on tournerait beaucoup à l’épaule, avec un zoom de rapport plus important qu’en 35 mm.
Et puis à la vision de ces essais, l’image Super 16, et ce qu’elle ramenait notamment en grains à l’écran, nous est apparue comme une pose esthétique très éloignée du propos du film. Finalement, on a choisi de tourner en 35 mm, avec le moins de grain possible dans l’image. Et c’est aussi pour cette raison que j’ai insisté pour que la présentation cannoise du film se fasse en projection numérique, à partir d’un Master JPEG 2000. Une manière d’aller au bout de cette volonté de " non grain " !
En dehors de cette histoire de grain, on a pris beaucoup de soin à éviter les cadres trop composés, les choses trop " belles ". La lumière est rude, pas spécialement aimable, en jouant le jeu des visages dans l’ombre, et des yeux qu’on ne voit que rarement.

Comment avez-vous finalisé l’image ?

A l’origine la postproduction devait être photochimique. Mais au fur et à mesure que le film se montait, et que les effets spéciaux commençaient à s’élaborer, on s’est vite aperçu qu’il était plus logique de tout passer en 2K. Du coup, on a pu avoir accès à un étalonnage numérique, pendant trois semaines chez Eclair, au côté d’Isabelle Julien, avec qui je travaille régulièrement que ce soit dans la filière argentique ou numérique.
Cet étalonnage numérique n’a pas consisté à réinventer l’image du film mais a plutôt confirmé les choix faits lors du tournage. L’intention doit être sur le négatif. En fait je n’ai fait que me souvenir de la consigne habituelle de Jacques Audiard : « Sombre, et brillant dans le fond ! »

Quel matériel avez-vous choisi ?

Le film a été tourné en 3P 1,85 sur une Aaton 35-III équipée d’une série Cooke S4 et d’un zoom Angénieux 28-76 mm Optimo, une combinaison tout à fait maniable à l’épaule, sachant que Jacques Audiard privilégie ce mode de filmage. La presque totalité des scènes a été tournée à une caméra, à l’exception de quelques séquences de groupes qui nous ont poussés à utiliser deux caméras.

Et en terme de pellicule, vous parliez d’essais… Qu’avez-vous finalement pris ?

C’est mon premier film en Fuji (500T et 64D), et ça m’a permis de trouver des teintes que je ne connaissais pas en filmant en Kodak. Que ce soit dans certains bleus et certains cyans, on obtient une palette très différente et des rendus de peaux qui sont aussi assez différents… Seules deux séquences ont été tournées en Kodak (5218).

Dans quelle configuration de décor avez-vous tourné ces scènes de prison ?

Le décor de la prison a été entièrement construit par Michel Barthélemy sur un site désaffecté. En fait l’image qu’on se fait de la prison est très souvent modelée par celle des films américains… Dans une prison française par exemple, il n’y a pas de réfectoire… Les détenus prennent leur repas dans leur cellule, il n’y a pas non plus d’uniformes ou de tenues spéciales (sauf dans le cas des auxis, détenus employés par l’administration pénitentiaire à l’intérieur de la prison)…
Il y a en outre de grandes disparités entre les maisons d’arrêt ou les centres de détention… On a essayé de faire une sorte de synthèse en construisant le décor de manière à ce que ça ne ressemble à aucune prison en particulier, mais que ça soit quand même réaliste…

Lors des essais, nous avons pu bénéficier d’une cellule témoin construite en priorité, et qui nous a permis de cerner plus précisément les problèmes liés à l’exiguïté du lieu. C’était un véritable décor de studio, sans plafond, avec des feuilles pouvant bouger.
Du point de vue de Jacques, toutes ces facilités étaient autant de handicaps qui feraient obstacle au film ; nous avons donc décidé de faire construire les murs en dur et de rajouter un plafond. Cette décision a profondément modifié l’acoustique et m’a aussi placé dans un contexte d’exercice imposé pour les projecteurs.
Finalement toute la lumière utilisée sur le film est soit intégrée dans le décor en collaboration avec Michel Barthélemy, soit provient de l’extérieur par les quelques fenêtres qui peuvent se trouver dans ce genre de lieu…

Avez-vous mis au point une palette de tons précise ?

Le décor a été construit très vite… Michel m’a proposé une sélection de tons pour les murs, et les différentes pièces qui avaient pour caractéristique commune leur faible saturation. Mais la palette de couleurs d’un décor n’est pas toujours quelque chose que la lumière doit respecter à la lettre. Par exemple, il m’arrive d’éclairer avec une lumière chaude un décor qui est plutôt dans des tons froids…
Quoiqu’il en soit, éclairer un décor ou des comédiens ne m’intéresse pas. Ce qui me plaît, c’est de trouver une ambiance, une humeur dans laquelle les personnages vont aimer évoluer.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)