Une après-midi de rêve...

par Luc Béraud, réalisateur

La Lettre AFC n°164

Il y a bien longtemps la maison Chevereau avait organisé une exposition de matériel sur le grand plateau des Studios de Boulogne. Patrice Leconte et moi, en préparation à l’IDHEC, nous étions procuré une invitation. Je me souviens de notre émerveillement devant tous ces outils mythiques. Nous avions à porté de mains des grues, des caméras Mitchell, des têtes manivelles… Une après-midi de rêve. Entre Les Ensorcelés et Le Mépris, et avant La Nuit américaine, c’était toute la magie du cinéma qui s’exposait devant nous.

Plus tard nous avons appris que le matériel n’est rien s’il n’est pas au service des idées, un moyen de servir la mise en scène.
Depuis je suis gagné par l’émotion et la nostalgie quand je vois cette photo de Griffith avec son grand chapeau (c’est déjà le réalisateur qui porte le bada) et Billy Bitzer sur le tournage d’Intolérance où les deux complices se tiennent debout derrière une petite caméra et son frêle trépied avec, devant eux, le gigantesque décor de Babylone, ses statues d’éléphants et une marée de figurants. Aujourd’hui on a un peu le sentiment du contraire, deux frêles comédiens dans une chambre de bonne devant une équipe pléthorique avec un matériel encombrant.

Cependant la technique évolue et la sophistication du matériel, si elle complique les journées de tournage, contribue à aérer la mise en scène. La mutation du numérique est aussi à l’ordre du jour. Et déambuler sur les trois étages de La fémis, étourdi par du matériel que je n’aurai jamais sur mes pauvres tournages de films pour la télé, est un événement que je ne rate jamais d’une année sur l’autre.
Croiser des amis opérateurs - et même cette année Dédé Bouladou pas vu depuis trente ans (même allure mais chapeau neuf) avec une espèce de grue pendulaire dont l’encombrement m’a laissé perplexe - et nos prestataires toujours avenant et heureux de présenter avec gourmandise leurs dernières nouveautés, me rappelle que le cinéma est un travail collectif où techniciens et matériel sont là pour faire naître une œuvre de l’esprit.

Ayant usé depuis près de quarante ans mes pantalons et mon énergie dans le militantisme professionnel, je suis avec attention les activités de l’AFC dont j’admire le dynamisme et l’esprit d’entreprise, nous qui avons tellement de mal à mobiliser les réalisateurs et les auteurs en général. Mais mon plus grand enthousiasme va à La Lettre de l’AFC, que je lis de la première à la dernière ligne, et qui arrive avec régularité à faire écrire à ses membres des articles et des témoignages de première main sur un métier que tous pratiquent avec passion. Très bonne revue aussi que Lumières qui a l’originalité de recueillir des témoignages de chefs opérateurs par des gens qui font le même métier et qui, du coup, posent les bonnes questions. Bref une grande et belle activité associative, où on sent souffler le vent de la confraternité, qui fait honneur à votre profession.