Festival Manaki Brothers 2024, 45e édition

Une conférence du responsable DIT de "The Zone of Interest", Krzysztof Wlodarczyk, au Festival Manaki Brothers à Bitola

Par Nathalie Durand, AFC

par Nathalie Durand Contre-Champ AFC n°359


Comment raconter la vie de famille d’un dignitaire nazi, vivant dans une maison qui jouxte le camp d’Auschwitz ? Le film The Zone of Interest décrit le quotidien de la famille de Rudolph Höss, chef du camp, père de cinq enfants. Il est en compétition Longs métrages pour la Camera 300 au 45e Manaki Brothers.

Le tournage a été innovant dans sa conception. Jonathan Glazer, le réalisateur, cinéaste rare mais toujours inventif, est arrivé avec une demande très particulière pour Łukasz Żal, PSC, le directeur de la photographie. Filmer à plusieurs caméras, fondues dans le décor, sans aucun technicien sur le plateau quand les comédiens jouaient et tout en lumière naturelle (même pour les scènes de nuit éclairées uniquement par la lumière diégétique). A partir de ces contraintes, il a fallu trouver le matériel et la manière de répondre à cette demande.

Le choix s’est porté sur la caméra Venice 1 (la Venice 2 n’existait pas encore...) pour de multiples raisons mais notamment la possibilité d’avoir le capteur séparé du corps caméra donc un encombrement moindre dans le décor. La double sensibilité du capteur, les filtres internes ont été aussi déterminant dans ce choix.
Krzysztof Wlodarczyk, DIT, a géré la préparation et la logistique de l’installation des caméras.
Dans le décor principal de la maison, il y avait dix caméras. Pour éviter les problèmes d’interférences et de perte de signal, les moteurs de point ainsi que le retour vidéo étaient câblés. 4,5 km de câbles SDI utilisés, entre les caméras et les assistants installés dans la cave. Pour éviter la perte de signal, il a fallu enrober une partie des câbles avec du papier alu… 
Depuis la cave, les assistants pouvaient gérer température de couleur, ISO, mise au point, diaph, gestion des cartes…
Les tournages en extérieur ou dans les autres décors se sont aussi déroulés sur le même principe. Plusieurs caméras pour suivre les comédiens tout au long d’une scène. Seul un machiniste était présent pour pousser la dolly lors des rares travellings. Sinon la majorité des plans ont été des plans fixes (une seule tête remote mais qui n’a quasiment jamais servi).
 Le choix du codec s’est porté sur le XOCN ST avec le capteur 6K. La volonté de Jonathan Glazer était de mettre le spectateur en position de témoin, sans parti pris. Les plans de ce fait sont plutôt des plans larges dans lesquels les acteurs peuvent évoluer sans contrainte. Les prises faisaient souvent 10 à 15 mn. Les scènes pouvant évoluer dans plusieurs pièces et les différentes positions de caméra permettaient de suivre les acteurs dans la continuité. Ainsi, il est apparu que cinq focus puller pour dix caméras étaient suffisant. Ils pouvaient pointer une première caméra puis passer sur une autre caméra qui filmait les acteurs dans le décor suivant.
Il y avait des mises en place, des répétitions avec les comédiens professionnels puis les enfants, acteurs non professionnels, s’intégraient pour le tournage des scènes. Il y a eu peu de prises pour chaque scène. Et c’est souvent la première prise qui a été choisie.
Le montage s’est fait en parallèle.
Pour les retours, il a fallu trouver une solution pour que Jonathan Glazer puisse avoir une vision d’ensemble de tout ce qui se passait devant les différentes caméras. Krzysztof Wlodarczyk a donc opté pour avoir le retour de quatre caméras sur une seule grande télévision. De cette façon l’amplitude du "village vidéo" n’était pas trop étendue. Deux téléviseurs LG C01 pour huit caméras et deux moniteurs pour les deux dernières caméras.
La station DIT a été installée dans un Algeco ou les DIT pouvaient gérer les images.
Un nouveau terme s’est imposé : le pétaoctet (1 000 téraoctets). Pour le film 400 To, soit 0,6 pétaoctet, ont été enregistrés. Le film s’est tourné en 50 jours.

Le décor principal de la maison a été conçu dans une maison située à 300 m du lieu réel (celle de Rudolf Höss jouxtait véritablement le camp d’Auschwitz, seul un mur séparait le jardin des baraquements).
Deux semaines avant le début du tournage Krzysztof Wlodarczyk a pu, avec son équipe, réaliser l’installation, c’est-à-dire percer des trous dans les planchers/plafonds pour passer tous les câbles, vérifier les connections, installer le "village vidéo" et la station DIT, les postes des assistants dans la cave… s’assurer que tout fonctionnait.
Le fait de tourner en lumière naturelle imposait de pouvoir réagir aux éventuelles "fausses teintes". Une caméra de surveillance 360° a été installée à l’extérieur du décor pour garder un œil sur le ciel et pouvoir prévenir les assistants en charge du diaph de l’arrivée de nuages. L’intérêt de capter les scènes avec toutes les caméras en même temps a rendu possible de garder les prises avec des "fausses teintes", tournage en temps réel en quelque sorte…

Jonathan Glazer avait la volonté que ce film soit un film d’observation, un peu comme Big Brother dans la maison d’un dirigeant nazi. L’un de ses objectifs était de ne pas juger les personnages du film. En tant que spectateur, on est témoin, on sait tout ce que le film ne montre pas. C’est d’une force incroyable.