"Vördnad för ljuset" ou "Culto a la luz" de Sven Nykvist

Un conseil de lecture de Marc Salomon, membre consultant de l’AFC

La Lettre AFC n°210

Sven Nykvist avait publié en 1997 — sur la base d’entretiens avec Bengt Forslund — une passionnante autobiographie en suédois (Vördnad för ljuset) et il est pour le moins surprenant, pour ne pas dire totalement incompréhensible, que cet ouvrage essentiel sur un des plus grands directeurs de la photo de l’histoire du cinéma n’ait jamais été traduit, sinon en espagnol et en 2002 seulement, grâce à l’entremise de nos confrères de l’AEC. (Quand on voit le nombre de livres inutiles ou abscons qui encombrent les étagères "cinéma" de nos librairies en France…).
C’est bien sûr cette version espagnole que je me suis procurée, mes connaissances en suédois se limitant au montage laborieux d’un meuble Ikea !

Autant dire d’emblée qu’il s’agit là d’une des plus belles et des plus émouvantes autobiographies de chef opérateur qu’il m’ait été donnée de lire*, la vie de Sven Nykvist se révélant à la hauteur d’un scénario de Bergman.
Sans fausse pudeur mais avec beaucoup de modestie, de franchise et de lucidité, Nykvist revient sur son parcours exceptionnel, depuis son enfance malheureuse au sein d’une famille de pasteur luthérien, une éducation stricte dans « la discipline et la crainte du Seigneur » (ses parents, missionnaires au Congo, partaient pour des périodes de quatre ans, laissant leurs enfants en pension), mais aussi une enfance comme transfigurée par la lecture de Siddartha d’Hermann Hesse (livre adapté au cinéma en 1971 par Conrad Rooks dont Nykvist signa la photographie).
Il n’élude rien d’une vie personnelle tumultueuse et parfois tragique, sacrifiée au profit d’un parcours professionnel nourri d’une réflexion ininterrompue sur la lumière, comme une ascèse.

Un récit qui se referme sur ces mots prémonitoires : « Chaque film est unique et représente un nouveau défi. Il est clair que l’on se sent plus en confiance avec un réalisateur, une équipe et des acteurs que l’on connaît, mais ce qui rend la vie passionnante ce sont justement les nouveaux visages et les nouvelles idées.
Chaque film nous apprend quelque chose de nouveau et je veux mourir curieux. Tant que j’aurai du plaisir dans mon travail, je continuerai, et le jour où cela s’arrêtera et viendra la grande solitude, je le prendrai avec calme. La lumière me tient compagnie. Et il y a toujours de la lumière. »

Beaucoup plus que le simple recueil de souvenirs et d’anecdotes d’un opérateur (comme il y en a tant…), c’est avant tout le récit d’une aventure humaine hors du commun.
Rappelons que son fils, Carl-Gustav Nykvist, a réalisé en 2000, en reprenant la trame de cette autobiographie sous forme d’extraits en voix off, un tout aussi passionnant documentaire de 75 minutes disponible en DVD (Light Keeps Me Company) alors que son père était déjà atteint d’aphasie.

  • Vördnad för ljuset, de Sven Nykvist (Albert Bonniers Förlag – 1997)
  • Culto a la luz, de Sven Nykvist (Ediciones del imán – AEC – 2002)

Dans les années 1950, Sven Nykvist avait effectué plusieurs voyages en Afrique (Congo, Gabon) où il rencontra et se lia d’amitié avec Albert Schweitzer. Il publiera un carnet de voyage illustré par ses propres photos en 1959, Resan till Lambarene (Voyage à Lambaréné).
Le titre de l’autobiographie de Sven Nykvist ("Respect de la lumière") s’inspire d’ailleurs de l’éthique d’Albert Schweitzer, "Respect de la vie" dont Nykvist tira le titre du documentaire qu’il tourna en 1951 (Vördnad för livet) sur le Dr Schweitzer.

* Avec celles de Walter Lassally et de David Watkin