Un débat sur le thème du tournage des scènes d’intimité, sous l’égide de Sony

par Margot Cavret
Sous l’égide de Sony, six femmes et un homme ont été rassemblés pour débattre avec le public des problématiques posées par le tournage des scènes d’intimité. Le sous-titre de la conférence, "A discussion on female perspective", est décriée par le panel, qui juge la problématique non genrée et universelle, surtout dans un milieu professionnel où l’on dénombre encore une grande majorité d’hommes. Pourtant le public est essentiellement féminin. Menée par Carmen Vaya Albert, éditrice du magazine Camera&Light, la conversation a principalement porté sur le nouveau métier de coordinateurrice d’intimité, de ses enjeux, et de la place des directeurrices de la photographie sur le tournage de ces scènes particulières. (MC)

La conférence rassemble les directrices de la photographie Ita Zbroniec-Zajt, Katja Rivas Pinzon, Julia Geiß ; le directeur de la photographie Piotr Sliskowski et la coordinatrice d’intimité Katarzyna Szustow, à qui on demande dans un premier lieu de définir son métier. « C’est encore très flou », répond-t-elle, « la méthodologie n’est pas encore clairement définie et on recherche encore quelle est la meilleure façon d’exercer ce métier. J’aime beaucoup avoir des retours constructifs des équipes et des comédiens avec lesquels je travaille, pour continuer de m’améliorer. Pour l’instant, la notion même de "scène d’intimité" est très vague, ce sont à chaque fois les réalisateurs et réalisatrices, et les comédiens et comédiennes qui décident de ce qu’ils jugent comme étant intime. C’est souvent des scènes de sexe, mais ça peut aussi être de la nudité ou de la violence. C’est Netflix qui propose la formation que j’ai suivie pour arriver à ce poste, ils essayent de créer quelque chose autour de ce sujet. Même si tout le monde peut se dire être coordinateur ou coordinatrice d’intimité, si l’on veut acquérir les compétences, c’est une formation difficile et très cher, de six mois à Los Angeles.
Je pense que ce métier se définit avant tout par la collaboration avec le réalisateur. Je commence toujours par appeler le réalisateur pour connaître ses intentions, et être capable d’accompagner sa vision. Mon rôle, c’est de faire en sorte que les scènes se tournent rapidement et dans une bonne ambiance. Je parle de consentement aux acteurs, parfois je dois leur expliquer cette notion qui n’est pas toujours très claire, surtout pour les plus anciennes générations. Je suis la personne qui assure que le dialogue soit continuellement ouvert, pour les mettre en confiance, et garantir leur sécurité et leur confort. Par exemple, souvent l’une des premières règles que je mets en place, c’est qu’ils aient le droit de dire "coupez !" à tout moment. Paradoxalement, ils se donnent plus quand ils savent qu’ils ont la possibilité de dire stop.
Je suis aussi responsable de la chorégraphie de la scène. Ce sont des scènes qui doivent être bien préparées en amont, chorégraphiées et répétées. Ces répétitions sont aussi le moment pour les acteurs de faire des proposition plus librement. En amenant la liberté dans le processus, on en retire la peur. Ça arrive que les acteurs et actrices me rencontrent avant même de rencontrer le réalisateur ou la réalisatrice. Ça crée une relation de confiance, mais parfois c’est perturbant pour eux, car ils me demandent des conseils sur leurs intentions de jeu, à moi plutôt qu’à la mise en scène. Donc j’essaye toujours d’inclure le réalisateur ou la réalisatrice à nos conversations et répétitions.
Il y a aussi un peu de travail administratif, je dois rédiger le protocole d’intimité avec l’assistante réalisateurrice, à partir des lois qui existent, et des limites que chacun a posées, pour garantir qu’elles soient connues de tous et respectées (la durée de la scène, les choses qu’on va pouvoir demander ou non aux comédiens, etc.).
Je suis en collaboration avec presque tous les départements, d’où la notion de coordination. Casting, image, mise en scène, costumes, maquillage, machinerie (pour les scènes dans les voitures notamment), etc. Mais les directeurs et directrices de la photographie sont souvent ceux à qui je parle le moins, car ils sont très silencieux, et préfèrent voir que parler ! Toute l’équipe doit être attentive à la sécurité des acteurs et actrices pour ce type de scènes, ce n’est pas que ma responsabilité. Je m’assure aussi que chacun surveille son langage, et qu’on travaille dans un climat sain et bienveillant. Il faut toujours faire attention à ce qu’on dit, car on ne connaît pas la sensibilité de la personne en face, ni ce qu’elle a vécu. Les blagues grossières et les remarques déplacées n’ont pas lieu d’être sur le plateau, et si quelqu’un continue d’avoir un comportement dérangeant, je lui demande de partir tout simplement. Je suis très stricte sur les règles. »

Les cheffes opérateurrices présents se montrent également très sensibilisés au sujet. « L’intimité, ce n’est pas un sujet genré », avance Piotr Sliskowski, « c’est une question de sensibilité et d’empathie. L’humanité est la chose la plus importante, et il faut prendre très soin des commédiennes dans ces scènes-là, car ils sont dans des émotions très fortes. On travaille souvent ces scènes en équipe réduite, avec juste les comédiennes et lela réalisateurrice. En général je cadre moi-même pour qu’ils se sentent plus en confiance. Aujourd’hui avec tous les systèmes sans fil, c’est beaucoup plus simple de laisser l’équipe à l’extérieur, avec les écrans et la commande de point ! Je fais la lumière en m’assurant que ça reste confortable pour les comédiennes, et tout le monde travaille dans ce sens, les costumes, la mise en scène, et évidemment lela coordinaeurrice d’intimité, qui est une personne essentielle, qui apporte la dimension psychologique. C’est une bonne chose que ce métier ait été créé, c’est mieux pour les acteurrices, et ça nous fait aussi gagner du temps, car on peut travailler tous en même temps.
En tant que chef opérateur, je me sens responsable de la sécurité et du bien-être des comédiennes. Je suis la personne la plus proche d’eux, et je ressens leurs émotions à travers le viseur. Je sens quand il y a un inconfort et qu’il faut couper la caméra. Et il y a aussi des situations où on sent qu’il ne faut pas couper ! Je me souviens d’une scène extraordinaire, où le comédien et la comédienne ont commencé à improviser, et je les ai suivis dans leur improvisation avec la caméra, tout en restant très attentif à la situation. Le réalisateur ne coupait pas, alors on continuait. Chaque réalisateurrice est différent, et en tant que chef opérateur, j’essaye de simplement le ou la guider, et de pointer mon regard dans la bonne direction. Chaque histoire est racontée à leur façon, à travers leur vision du monde qui est différente à chaque fois. Il faut juste adapter sa sensibilité et sa façon de photographier. Et au final en tant que public, on ressent si la scène véhicule de l’émotion ou pas. Notre rôle, c’est de créer une zone confortable pour permettre aux acteurrices de libérer cette émotion. Mais c’est une alchimie mystérieuse, et même si on met tout en place, on n’est pas sûr que ça va arriver. »

Ita Zbroniec-Zajt complète : « Parfois, il y a du travail à faire sur ces scènes. On reçoit le scénario, et c’est simplement écrit à la fin de la scène "ils font l’amour", sans aucune information ! Dans ces cas-là, je travaille avec le réalisateur ou la réalisatrice, on réécrit la scène ensemble, en complétant, ce qui se passe, ce qu’on voit, combien de temps ça dure, et au final, ça nous apporte des informations sur les personnages, l’enjeu dramatique qu’a la scène et en quoi elle est utile au film. Et si on se rend compte que ça n’apporte rien, alors il ne faut pas la tourner ! ». La coordinatrice d’intimité Katarzyna Szustow tempère : « Je préfère ces scènes qui restent très vagues sur le scénario, car ça permet pendant les répétitions avec les acteurrices de construire la scène tous ensemble. En les impliquant, ils peuvent directement poser leurs limites, et faire leurs propres suggestions. Les comédiennes savent toujours très bien ce qu’ils veulent ou acceptent de montrer, et sont riches de propositions si on leur laisse l’espace nécessaire ».

Katja Rivas Pinzon apporte également son opinion : « C’est important de discuter de la scène en amont, mais c’est également important d’être attentifs à la sensibilité des acteurrices, et de leur laisser de la liberté au tournage s’il faut changer des choses. Il faut prendre conscience que les acteurrices, contrairement aux directeurrices de la photographie, n’ont pas d’outil entre eux et l’émotion qu’ils apportent, ils montrent directement leur visage en permanence, donc c’est impossible de vouloir dissocier le processus du résultat. C’est une chorégraphie qu’on doit répéter ensemble, et il faut inclure la caméra à cette chorégraphie. Je suis souvent très proche avec la caméra, et c’est important que tout le monde se sente à l’aise, moi y compris, je dois me sentir bienvenue dans leur zone de confort. » Piotr Sliskowski rebondit : « Ça ne concerne pas que les scènes de sexe d’ailleurs. Une fois un réalisateur m’a demandé de me rapprocher brutalement d’un comédien, c’était une scène d’enquête avec des policiers donc ça n’avait rien à voir avec ce que l’on peut rassembler sous le terme "scène d’intimité", mais cette intrusion brutale dans son espace a beaucoup perturbé le comédien, qui a interrompu la scène et a demandé à avoir un temps pour se remettre et se préparer à recommencer. J’étais très embarrassé, car je sentais que j’avais brisé sa zone de confort. Il faut tout le temps faire attention, l’intimité a de nombreux aspects, et il faut tous les respecter ».

Julia Geiß partage son expérience de tournage documentaire : « Je ne peux pas imaginer avoir un coordinateurrice d’intimité en documentaire, car c’est un travail que j’effectue conjointement avec lela réalisateurrice. Je reste calme et en retrait pour laisser l’espace au réalisateur ou à la réalisatrice, mais je demande toujours aux protagonistes s’ils se sentent bien, s’ils acceptent que je les filme, afin d’établir une relation de confiance. Souvent, on noue une relation très forte pendant le tournage. Cette proximité aide également le documentaire à avoir un aspect plus authentique. Mon devoir, c’est de laisser les personnages se sentir en sécurité, tout est une question de confiance ». Ita Zbroniec-Zajt ajoute : « Il faut continuer de faire attention au montage. Souvent en documentaire on filme des personnes qui n’ont jamais été l’objet d’un documentaire, et qui ne se rendent pas forcément compte de ce que ça implique. Et le fait qu’ils aient donné leur consentement au tournage n’implique pas forcément qu’ils continue de le donner au montage ».

A la fin du débat, la conversation s’ouvre, comme traditionnellement, aux questions et remarques du public. « C’est beaucoup de stress et de concentration pour toute l’équipe, mais est-ce que ça peut tout de même être agréable à tourner ce genre de scènes ? ». Katarzyna Szustow s’esclaffe : « Bien sûr que oui ! Une fois qu’on a posé les limites de la sécurité, du confort et de la confiance, ça devient une scène comme une autre. Mon but c’est justement de supprimer tout ce qui pourrait la rendre gênante ou désagréable. Pour les scènes qui se déroulent dans une voiture, les comédiennes ont froid, et la seule chose que je puisse faire c’est essayer de faire en sorte que ce soit tourné rapidement, mais en studio, ils s’amusent ».

Naomi Amarger, jeune cheffe opératrice française, profite de ce panel majoritairement féminin pour ouvrir la conversation : « Récemment, un réalisateur m’a envoyé un scénario très violent, et m’a dit qu’il recherchait une femme cheffe opératrice pour différencier les points de vue. Je n’ai pas vraiment apprécié qu’il me propose le film pour mon genre, et non pour ma personnalité. J’ai l’impression qu’on est tous différents, par nos expériences et nos sensibilités. Est-ce que vous pensez que ça existe vraiment, une approche féminine, ou un regard féminin ? ». Les réponses sont unanimes : « Je me reconnais complètement dans cette histoire », commence Julia Geiß, « on me demande souvent d’être le regard féminin du film, et je n’aime pas ça, je n’aime pas qu’on pense que les femmes sont plus sensibles. C’est toujours une relation entre nous, le ou la réalisateurrice, et le sujet, et ça n’a rien à voir avec notre genre ». Ita Zbroniec-Zajt enchérit : « Toutes les femmes cheffes opératrices ont vécu cette expérience. Et à l’inverse, une fois j’ai été écartée d’un film sur le sport car le producteur pensait qu’une femme n’était pas capable de le faire. Je ne juge pas. Il y a aussi des fois où, quand on me demande ça, c’est dans l’idée de rassurer la comédienne, dans les scènes d’intimité notamment ». C’est Katja Rivas Pinzon qui aura le mot de la fin et les applaudissements de l’audience : « On demande aux femmes cheffes opératrices d’assurer la photographie d’un film afin d’avoir une approche différente, un regard plus empathique et qui ne chosifie pas les personnages. Mais ça n’a pas à être exclusivement féminin, tout le monde doit faire la démarche de créer un espace bienveillant, et d’apprendre à filmer les comédiennes et les personnages avec respect ».

(Propos retranscrits par Margot Cavret, pour l’AFC)