Camerimage 2023 : Netflix et les plateformes, vers une exception culturelle pour le noir et blanc ?

Par Simon Petitjean, étudiant en Image à La Fémis

Ce 31e Camerimage a été l’occasion pour l’AFC de proposer aux étudiantes et étudiants du département Image de La Fémis présents à Toruń de contribuer d’une manière ou d’une autre aux articles publiés sur le site. Simon Petitjean, étudiant de la promotion 2024, nous fait partager ses impressions en s’interrogeant, à la vue de films sélectionnés, sur l’avenir du cinéma en noir et blanc.

Lors de cette 31e édition du festival, j’étais assez enthousiaste à l’idée de voir que deux films de la compétition principale étaient en noir et blanc, voire même trois si l’on prend en compte le nouveau Poor Things, de Yórgos Lánthimos photographié par Robbie Ryan, ISC, BSC, qui est en grande partie en noir et blanc. Ces deux films sont respectivement Maestro, de Bradley Cooper, photographié par Matthew Libatique, ASC, et El Conde, de Pablo Larrain photographié par Edward Lachmann, ASC.
Cette présence de films en noir et blanc à Camerimage a continué à alimenter ma réflexion dans la rédaction de mon mémoire de fin d’études sur ce sujet vaste qu’est le noir et blanc. L’actualité cinématographique noir et blanc m’évoque principalement des questions ouvertes concernant l’avenir. Je vais essayer de les exposer dans cet article.

A l’issu du festival, El conde est récompensé de la Grenouille d’argent ; quant à Poor Things, il obtient la Grenouille de bronze. Ces deux films, et plus spécifiquement El conde, s’inscrivent dans les quelque films en noir et blanc récompensés par le festival :
1999 : Grenouille de bronze pour Juha, photographié par Timo Salminen, FSC
2013 : Grenouille d’or pour Ida, photographié par Ryszard Lenczewski et Łukasz Żal, PSC
2018 : Grenouille d’argent pour Cold War, photographié par Łukasz Żal
Grenouille de bronze pour Roma, photographié par Alfonso Cuarón
2019 : Grenouille de bronze pour The Painted Bird photographié par Vladimír Smutný, ACK
2021 : Grenouille d’or pour Nos âmes d’enfants (C’mon C’mon), photographié par Robbie Ryan
Grenouille d’argent pour The Tragedy of Macbeth, photographié par Bruno Delbonnel, AFC, ASC
2023 : Grenouille d’argent pour El Conde, photographié par Edward Lachmann, ASC.

Films partiellement en noir et blanc :
2007 : Grenouille de bronze pour Reverse, photographié par Marcin Koszałka, PSC
2009 : Grenouille de bronze pour I’m Not There, photographié par Edward Lachmann
2023 : Grenouille de bronze pour Poor Things, photographié par Robbie Ryan
Ces prix sont un des marqueurs qui permettent aisément de constater une remise au-devant de la scène des productions en noir et blanc et notamment de leurs valeurs esthétiques reconnues par leurs pairs.

Cette année, les deux films en noir et blanc de la sélection sont distribués par Netflix. De ce fait et au regard du catalogue Netflix*, on peut donc se demander si cette plateforme se présente comme le nouveau rempart du cinéma d’auteur noir et blanc.

* Films "Netflix Originals" en noir et blanc : Blue Jay (2016), The Other Side Of The Wind (2018), Roma (2018), Curtiz (2018), Elisa & Marcela (2019), Mank (2020), The Forty-Year-Old Version (2020), Passing (2021), Malcolm & Marie (2021), El Conde (2023), Maestro (2023).

Logo Netflix volontairement passé en noir et blanc
Logo Netflix volontairement passé en noir et blanc

En effet, depuis 1967, lorsque les Oscars ont arrêté la double catégorie "Meilleure photographie couleur" et "Meilleure photographie noir et blanc", seuls trois films noir et blanc ont été récompensés : La Liste de Schindler (1994), puis deux films d’initiative Netflix : Mank (2021) et Roma (2019).
Au-delà de l’univers des récompenses cinématographiques, on peut légitimement se demander si Netflix souhaite se forger une image de marque et une légitimité dans le paysage cinématographique en produisant des films d’auteurs en noir et blanc ou si ce sont les sociétés de production "classiques" qui sont trop frileuses à l’idée de produire du noir et blanc.
Le cinéma traditionnel continue bien sûr toujours à en proposer, notamment avec les habitués de l’esthétique noir et blanc comme Paweł Pawlikowski, Philippe Garrel, Bertrand Mandico et toutes les récentes exceptions "noir et blanc" de cinéastes : Les Olympiades, Belfast, Frantz, The Artist, Leto, Chers camarades !, Tetro, Frances Ha, The Lighthouse, 3 jours à Quiberon, Qu’Allah bénisse la France
Après tout y a-t-il encore sens à opposer films de plateforme et de cinéma tant bien même que les deux médiums de diffusion tissent de plus en plus de liens ?
Cette "concurrence" entre cinéma classique et de plateforme n’est, selon moi, que la résultante de l’existence parallèle entre le cinématographe des frères Lumière et le kinétoscope d’Edison.
Le tout reste l’art de l’image animée.
A noter que El conde fait partie des quelque rares films tournés (3 jours à Quiberon, Mank, Blonde...) en caméra numérique monochrome. On peut mentionner : les caméras dites monochromes de Arri et de RED. Est-ce qu’un nouveau marché de niche se profile pour les constructeurs ou cela résulte-t-il d’exceptions qui auront leurs pages dans le répertoire de l’histoire des caméras ?