Entretien CNC avec Denis Lagrange, AFC, à propos de son travail sous-marin

Contre-Champ AFC n°352

Dans un entretien publié sur le site du CNC à l’occasion du Paris Images 2024, intitulé "Décryptage : comment accompagner les tournages aquatiques ?", le réalisateur et directeur de la photographie français Denis Lagrange, AFC, spécialisé dans les tournages en milieu marin et sous-marin, explique les enjeux d’un métier qui allie passion, technologie, sécurité, écologie et désir d’aventures.

Comment se spécialise-t-on dans les tournages marins et sous-marins ?
J’ai réalisé ma première photographie sous-marine à l’âge de 10 ans. Je vivais alors en Polynésie française, ma mère m’avait transmis le virus de la photo. L’endroit de cette prise de vues est baptisé Rangiroa, c’est un magnifique lagon tahitien. De retour en métropole, j’ai gardé le virus de la plongée et validé tous mes diplômes. Pour autant, mes études m’ont entraîné ailleurs. En 1999, j’ai démissionné d’un poste de contrôleur de gestion pour rejoindre Tahiti et ce fameux lagon. Je m’étais juré secrètement d’y revenir un jour pour allier mes deux passions, la plongée et la photographie. Un ami venait justement d’y ouvrir un club de plongée et il m’a proposé de réaliser des films-souvenirs pour les touristes. Je me suis donc acheté une petite caméra, un ordinateur, un transcodeur pour adapter le format de mes images aux clients qui venaient des quatre coins du globe, et je suis parti. Rangiroa était alors très connu pour sa forte présence de requins. Ma chance est d’avoir fait mon service militaire comme plongeur en Martinique et d’avoir eu accès à un matériel de prises de vues à la pointe. Déjà à l’époque, les premiers systèmes de recycleur à circuits fermés permettaient au plongeur de ne pas produire de bulles. Précisons d’ailleurs qu’aucun animal marin ne fait des bulles sauf s’il se sent agressé. Si vous arrivez à ne pas en faire vous-même, vous pouvez approcher les mammifères marins plus facilement. J’ai été l’un des premiers à savoir me servir correctement de ce type de matériel. Très vite, j’ai été contacté par des équipes de tournage.

Comment définir ce domaine d’activité ?
Encore aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’image marine et sous-marine reste une niche. Il faut savoir dialoguer avec des commanditaires qui ne connaissent pas forcément tous les paramètres en jeu. Ce qui est tout à fait logique. J’ai souvent entendu cette réflexion : « Ce que l’on peut faire sur terre, on ne peut pas le faire sous l’eau ! » Mon rôle est justement d’innover et de proposer des solutions, d’inventer des outils de prises de vues. J’ai créé il y a plusieurs années ma propre société pour les tournages, Aloha Production, basée en Polynésie française. Je possède un bateau spécialement équipé pour les tournages avec une mise à l’eau au ras de l’eau, la possibilité de monter sur la cabine pour repérer les baleines, la fixation de palans afin de mettre à l’eau des caissons de 15 kg…

Que proposez-vous aux équipes de tournage ?
Je les accompagne en tant que chef opérateur dans leurs prises de vues sous-marines, notamment en leur fournissant l’équipement adapté comme les caissons sous-marins – j’en possède dix –, mais aussi les éclairages et les bateaux. En parallèle, je gère aussi la production exécutive des tournages (documentaire animalier, fiction, publicité…). Les sociétés de production me contactent et m’expliquent ce qu’elles souhaitent comme images. J’organise alors l’aspect logistique : réservations d’hôtel, organisation des différents transferts, demande des permis de tourner… En Polynésie, par exemple, il faut des autorisations spécifiques pour filmer certaines espèces protégées… Et quand parfois, les tournages nécessitent des prises de vues aériennes, il faut aller chercher les bons pilotes, ceux respectueux des consignes de sécurité. [...]