Les 70 ans des "Cahiers du cinéma"

Contre-Champ AFC n°319

Pour le 70e anniversaire des Cahiers du cinéma et dans son numéro d’avril 2021, la revue offre un parcours dans le temps avec "70 films, 70 ans", une liste établie par Marcos Uzal, rédacteur en chef. Et propose, entre autres articles figurant au sommaire*, un dialogue avec Jim Jarmush, un état des lieux de cinéastes au travail, un panorama de la critique parlée – Serge Daney, Jean Douchet, Jean Narboni, Caroline Champetier, AFC – ainsi qu’une carte blanche donnée à Bertrand Mandico pour réaliser la couverture de ce numéro 775.

Un échantillon de trente-deux des "70 films, 70 ans"
1951 La Fille des marais, d’Augusto Genina, photographié par G.R. Aldo, AIC
1954 La Mère, de Mikio Naruse, photographié par Hiroshi Suzuki
1958 Une vie, d’Alexandre Astruc, photographié par Claude Renoir
1962 Les Honneurs de la guerre, de Jean Dewever, photographié par Ghislain Cloquet
1963 Pour la suite du monde, de Michel Brault et Pierre Perrault, photographié par Michel Brault, Marcel Carrière, Bernard Gosselin et Pierre Perrault
1965 Lilith, de Robert Rossen, photographié par Eugen Schüfftan
1967 Le Départ, de Jerzy Skolimovski , photographié par Willy Kurant, AFC
1972 Le Passé et le présent, de Manoel de Oliveira, photographié par Acácio de Almeida
1973 Au nom du père, de Marco Bellocchio, photographié par Franco Di Giacomo, AIC
1976 La Dernière femme, de Marco Ferreri, photographié par Luciano Tovoli, AIC, ASC
1977 Le Théâtre des matières, de Jean-Claude Biette, photographié par Georges Strouvé, AFC
1979 Les Mains négatives, de Marguerite Duras, photographié par Pierre Lhomme, AFC
1980 Simone Barbès ou la vertu, de Marie-Claude Treilhou, photographié par Jean-Yves Escoffier, AFC
1981 Ma première brasse, de Luc Moullet, photographié par Richard Coppans
1982 Toute une nuit, de Chantal Akerman, photographié par Caroline Champetier, AFC
1983 Les Trois couronnes du matelot, de Raoul Ruiz, photographié par Sacha Vierny
1987 Yeelen, de Souleymane Cissé, photographié par Jean-Noël Ferragut, AFC, et Jean-Michel Humeau, AFC
1991 L’Annonce faite à Marie, d’Alain Cuny, photographié par Caroline Champetier, AFC, Denys Clerval, AFC, Serge Dalmas et Julien Hirsch, AFC
1994 Travolta et moi (série "Tous les garçons et les filles de leur âge"), réalisé par Patricia Mazuy et photographié par Eric Gautier, AFC
1997 Dieu sait quoi, de Jean-Daniel Pollet, photographié par Pascal Poucet, AFC
1998 Velvet Goldmine, de Todd Haynes, photographié par Maryse Alberti
1999 Sicilia !, de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, photographié par William Lubtchansky, AFC
2000 Aïe, de Sophie Fillières, photographié par Christophe Pollock
2003 Un homme, un vrai, d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, photographié par Christophe Beaucarne, AFC, SBC
2005 Voici venu le temps, d’Alain Guiraudie, photographié par Antoine Héberlé, AFC
2008 Le Premier venu, de Jacques Doillon, photographié par Hélène Louvart, AFC
2012 Les Chants de Mandrin, de Rabah Ameur-Zaïmeche, photographié par Irina Lubtchansky, AFC
2013 La Fille de nulle part, de Jean-Claude Brisseau, photographié par David Chambille
2015 The Visit, de M. Night Shyamalan, photographié par Maryse Alberti
2017 Madame Hyde, de Serge Bozon, photographié par Céline Bozon, AFC
2018 Zama, de Lucrecia Martel, photographié par Rui Poças, AIP
2020 First Cow, de Kelly Reichardt, photographié par Christopher Blauvelt.

"Caroline Champetier - Incandescence radio"
De 1976 à 1984, Caroline Champetier, alors élève à l’Idhec, puis assistante et jeune cheffe opératrice, se révèle une voix critique d’une fulgurante précision dans l’émission de Claude-Jean Philippe "Le Cinéma des cinéastes", sur France Culture.

Votre carrière de directrice de la photo rend rétrospectivement surprenante l’assurance critique dont vous faites preuve à la radio, de 19 à 26 ans. Comment Claude-Jean Philippe a-t-il eu l’idée de vous embarquer dans cette aventure, avec votre camarade de l’Idhec, Pierre Donnadieu ?
Il s’est dit : « Qu’ai-je envie d’entendre, sur les films ? Des jeunes gens qui ont envie de faire du cinéma aujourd’hui. » Il s’est donc adressé à Louis Daquin, alors directeur de l’Idhec, qui lui a désigné deux élèves, l’un « très cinéphile », et l’autre, moi, « sauvage ». Dès cette première rencontre, Claude nous engage comme collaborateurs permanents. À la fois apprentie du geste cinématographique et apprentie cinéphile, je me suis mise à une dynamique d’apprentissage qui ne s’est jamais arrêtée : dans mon métier, le passage au numérique, si on veut bien le faire, implique une réflexion profonde sur la façon dont nous interprétons les couleurs, beaucoup plus en amont que sur la palette, déjà faite, que nous offrait la pellicule. Mon travail avec Godard a aussi participé à l’apprentissage comme fonction essentielle du rapport au cinéma. [...]

Vous n’aviez pas encore fait le choix d’être opératrice, à l’époque où vous interveniez à la radio ?
Je ne parlais pas comme une future cheffe opératrice mais je demandais déjà « comment ça marche ? », question transgressive quand elle était posée par des femmes, maintenues à distance de la technique. Comment tel plan fonctionne-t-il et s’articule-t-il à un autre ? C’est comme ça que j’en suis venue au montage, à l’acteur...

Dans une émission double sur Police avec Pialat, Yann Dedet, Jacques Loiseleux et Jacques Fieschi, vous évoquez la nécessité de préserver une forme de secret autour d’un tournage.
Dans le sens où, dans ce groupe humain que peut être un film, la prise de risque est constante ; et ceux qui en prennent le plus, ce sont les acteurs. Mais cela, je l’ai compris tard, à partir du moment où, de pointeuse, je suis passée au cadre, ce qui vous fait ressentir le rythme physique de l’acteur. Mais mon empathie principale va au metteur en scène. Je pense que cela s’entend dans l’émission. [...]

Vingt-cinq ans plus tard, au micro de Laure Adler**, vous vous concentrez beaucoup plus sur l’image.
Qu’est-ce qui fait qu’on a un appel physique, psychique, devant cette construction en deux dimensions qu’est un plan de cinéma ? Je trouvais qu’on ne parlait plus que du sujet des films ou du jeu de l’acteur... Laissée libre dans le choix des films, je me suis notamment plongée dans le cinéma de la fin des années 1920, où il y a des inventions de plans ahurissantes. C’est ce que je retrouve dans la force des images choisies par Godard dans Le Livre d’image, presque insoutenable physiquement dans la manière dont les plans surgissent les uns des autres. Il fait des noirs, mais c’est comme s’il retrouvait le moment d’incandescence de chaque plan.

(Extraits d’un entretien réalisé par Charlotte Garson le 16 mars, à Paris)

* Voir le sommaire complet du n° 775 sur le site Internet des Cahiers du cinéma

** Les Cahiers publie, p. 95 de ce numéro, une des chroniques que Caroline Champetier a tenues, de 2007 à 2009, dans l’émission de Laure Adler "L’Avventura", sur France Culture.