La Marche de l’empereur a-t-elle deux réalisateurs ?

par Nicole Vulser

AFC newsletter n°161

Laurent Chalet a délivré le 22 septembre une assignation dans laquelle il demande, « au vu des conditions de tournage », 870 000 euros de rémunération, comme coréalisateur du film, et une indemnisation, au titre du droit moral, de 100 000 euros pour non-figuration au générique. « 92 % des images ont été tournées par moi, alors que Luc Jacquet n’était pas là et ne me donnait pas d’instructions », affirme-t-il.

Le directeur de la photographie a passé treize mois sur la banquise de l’Antarctique, à traquer la marche des manchots. Il travaillait en tandem avec un spécialiste du son et des images sous-marines, Jérôme Maison, qui lui ne demande pas de requalification. Le réalisateur et biologiste Luc Jacquet avait précédemment effectué de nombreux repérages et connu plusieurs hivernages dans ce froid austral. « Tout a été extrême dans ce film, la production, le tournage et aussi le succès. En tant que directeur de photographie, Laurent Chalet a fait du très bon travail dans des conditions très difficiles, mais cela ne peut pas en faire un réalisateur », assure Yves Darondeau, producteur associé de Bonne Pioche. « Ce sont des métiers très différents », souligne-t-il.
Anne Boissard, l’avocate de Bonne Pioche, affirme qu’« à la suite de nombreux débats en 1957, le code de la propriété intellectuelle a admis en France comme coauteurs d’un film uniquement le réalisateur, l’auteur du scénario, des dialogues ou de l’oeuvre préexistante ».

La Marche de l’empereur est un exemple de rentabilité : ce petit film, dont le devis déposé au Centre national de la cinématographie s’élevait à 2,30 millions d’euros, a généré 122,6 millions de dollars de recettes en salles dans le monde, dont 78 millions de dollars grâce à l’exploitation en salles aux Etats-Unis. C’est devenu en quelques mois le premier film français en termes de recettes au box-office américain.
« Malheureusement, quand un film français marche bien, cela fait tourner la tête de certains et il y a presque toujours des poursuites juridiques. C’est devenu une mode, après les plaintes de l’instituteur et des élèves dans Etre et avoir de Nicolas Philibert », assure Yves Darondeau. De même le succès surprise des Choristes de Christophe Barratier a amené les parents d’une jeune chanteuse à réclamer une plus grosse part du gâteau.
Le producteur du documentaire animalier se déclare plus « attristé qu’agacé » et « déstabilisé par le fait que Laurent Chalet refuse tout dialogue » . Une première audience s’est tenue au tribunal de grande instance de Paris le 6 décembre. Les conclusions de l’avocate de Bonne Pioche seront déposées le 7 février, et la date d’audience ne devrait pas être fixée avant 2008.
(Nicole Vulser, Le Monde, 14 décembre 2006)