Des propositions pour que les "gros" films français aident davantage les "petits"

par Nathaniel Herzberg

La Lettre AFC n°185

Le Centre national du cinéma veut « renforcer la solidarité ».

« Le milieu n’est plus un pont, mais une faille. » Il y a un peu moins d’un an, un groupe de 13 professionnels du cinéma, conduit par la réalisatrice Pascale Ferran, choisissait ce titre provocateur pour dénoncer l’incapacité du système à soutenir les films ambitieux (Le Monde du 28 mars 2008). Le rapport déclenchait une vive émotion, et la ministre de la culture, Christine Albanel, confiait une mission au Centre national de la cinématographie (CNC).

Vendredi 6 février, le CNC a rendu public, dans l’hebdomadaire professionnel Le Film français, une première série de « conclusions » qui promettent, à leur tour, de provoquer quelques remous.

Réuni régulièrement de juin à novembre 2008, le groupe de suivi – qui rassemblait producteurs, réalisateurs, auteurs et les chaînes Canal et France 3 – s’est d’abord penché sur la phase d’écriture et de production des films. Ses recommandations sont techniques. Mais elles promettent de modifier les règles de financement en faveur des petits films et des films dits « du milieu », autrement dit chers (5 à 7 millions d’euros), mais artistiquement exigeants.

Le CNC propose ainsi de rendre le « soutien automatique producteur plus redistributif ». Le système de financement du cinéma français repose sur une taxe, prélevée sur toutes les entrées et reversée ensuite aux films selon des critères techniques (lieu et langue du tournage, nationalité des acteurs...) et de fréquentation. Au final, les gros aident les petits.

Ce principe est encore accentué. Pour « renforcer la solidarité entre les films à grand succès et les films plus difficiles », le CNC propose un nouveau barème qui avantage fortement les productions ayant réalisé moins de 2 millions d’entrées.

« Soutenir les auteurs »
En outre, afin de récompenser la prise de risque artistique et financière, le CNC souhaite favoriser le « producteur délégué ». C’est lui qui initie un projet, lui qui trouve l’argent en rassemblant des coproducteurs et des chaînes de télévision.

Le groupe des 13 avait pointé une dérive : pour monter son film, le producteur délégué se voit contraint de céder de plus en plus de parts de production (aux coproducteurs, aux chaînes et même aux acteurs). Il perd du même coup le bénéfice de l’essentiel du compte de soutien. Le CNC propose de lui réserver ses versements, jusqu’à 150 000 euros. Au-delà il conserverait au minimum 50 % des sommes générées.

Le CNC avance encore des mesures afin de « soutenir les auteurs ». Les producteurs qui investiraient dans l’écriture de projets, avant d’avoir rassemblé l’intégralité de leur financement, recevraient un soutien spécifique (jusqu’à 100 000 euros par an). Quant aux scénaristes eux-mêmes, ils pourraient bénéficier d’une aide forfaitaire (10 000 euros maximum) dans la phase de conception du scénario, un moment où ils n’ont souvent aucun producteur à leurs côtés.

Dernier volet, le CNC s’engage à augmenter le montant de l’avance sur recettes. Pas question de multiplier le nombre de films sélectionnés par cette commission : environ 60, en 2008, qui se sont partagé 24 millions d’euros. Mais le CNC souhaite accueillir des univers réputés plus grand public (policier, comédie). Et surtout donner plus à certains films, jusqu’à 800 000 euros, indique-t-on.

Le Club des 13 a salué, vendredi, ces propositions. « L’addition de ces mesures devrait modifier à terme le paysage de la production française et remettre au centre du système le désir du film porté par des auteurs, et un producteur davantage maître des rythmes et des investissements », indique son communiqué. Avec toutefois une inconnue : le soutien de la ministre. C’est à elle que reviendra la décision.

D’ici là, les gros producteurs (Pathé, Gaumont, UGC, MK2), qui avaient boudé le groupe de travail, feront sans doute entendre leur voix. « Nous restons vigilants », avertit Pascale Ferran.

(Nathaniel Herzberg, Le Monde, 8 février 2009)