Entretien avec le directeur de la photographie Christophe Beaucarne, AFC, SBC, à propos du film "Tournée" de Mathieu Amalric

En compétition au Festival de Cannes 2010

par Christophe Beaucarne

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Christophe Beaucarne enchaîne les tournages depuis une vingtaine d’années et collabore avec de nombreux réalisateurs, dont Bruno Podalydès, Cédric Klapisch, Arnaud et Jean-Marie Larrieu, Jaco Van Dormael… Pour preuve, il signe l’image de deux films à Cannes cette année, Hors la loi de Rachid Bouchareb et Tournée de Mathieu Amalric.

Une Tournée avec cinq danseuses américaines de cabaret, dans un film de Mathieu Amalric, photographié par Christophe Beaucarne. Du nord au sud de la France, nous suivons les tribulations d’un producteur de show, Mathieu Amalric himself et de ces cinq femmes au caractère bien trempé.
Dans une lumière brillante et colorée, du grand spectacle ! C’est avec grand plaisir que je retrouve Christophe, avec lequel j’ai partagé quelques films (dont les films d’Yves Robert, ça ne nous rajeunit pas !) lorsque nous étions assistants… (BB)

Tournée nous plonge dans un univers qui paraît très réaliste, à la limite du documentaire, raconte nous comment vous avez suivi cette tournée ?

Christophe Beaucarne : Toute l’équipe du film était elle-même en tournée puisque nous avons vécu au rythme effréné de ces danseuses. Il n’y avait pas beaucoup de différence entre les jours de tournage et la " vraie " vie. Nous sommes restés " collés " tous ensemble pendant sept semaines. C’est pour moi un film évolutif, dans l’impulsion et l’instantanéité. Mathieu écrivait réellement les scènes le matin et les dialogues n’étaient pas vraiment écrits.
La scène de fin, par exemple, a été totalement improvisée. Il n’y a pas de " tricherie ", les nuits sont de vraies nuits, les séquences de cabaret ne sont jouées qu’une seule fois en " live ", avec un vrai public. C’est aussi un film de partage ; Mathieu, ayant le rôle principal, tenait vraiment compte de mon avis, de celui de la scripte et de l’assistante mise en scène. Il n’y a jamais eu de rapport de pouvoir, et c’était vraiment très plaisant.

Autour du combo avec Mathieu Amalric et Christophe Beaucarne - © Photo Nicolas Guérin
Autour du combo avec Mathieu Amalric et Christophe Beaucarne
© Photo Nicolas Guérin

Tu me disais tout à l’heure que c’est un film 100 % bio ?

CB : Oui, sauf le champagne qu’elles boivent, qui était toujours du vrai champagne, la camionnette de l’accessoiriste en était remplie ! Pas question de leur faire boire du Canada Dry ! Non, je plaisante, c’est un film 100 % traditionnel, pellicule 4 perf, étalonnage, copie… J’ai fait beaucoup d’essais en tournant dans la rue sans aucun apport de lumière, avec toutes les pellicules sensibles. Je cherchais celle qui donnerait le meilleur rendu dans les mélanges de couleurs et en terme de sensibilité. Parce que je savais que dans les boîtes de nuit, je n’aurais pas beaucoup d’ajout de lumière.
J’ai choisi la Kodak 5219 qui était la plus sensible en fait. Je la trouvais un peu saturée en couleur, mais Mathieu aimait bien parce qu’il disait que le film était un peu… pas toujours super gai, alors la couleur apportait un peu de piment. J’ai pris les Masterprime, parce que je les trouve vraiment incroyables ! Quand ma cellule disait " erreur ", j’avais quand même pas mal de choses sur le négatif.
Nous avons fait beaucoup de plans à l’épaule, c’est la raison pour laquelle j’ai utilisé l’Arricam Lite. Les premiers essais ont été tournés au Théâtre Déjazet à Paris, avec certaines des filles – elles se produisent en fait dans des shows séparément et c’est Mathieu qui a eu l’idée de les rassembler – pour choisir le format. On s’est vite aperçu que le Scope ne convenait pas, elles étaient seules sur scène, il n’y avait pas d’intérêt à tourner en Scope et en gros plan, pour avoir la poitrine, c’était un peu juste… !!! Alors on a tourné en 1,85.

Christophe n'en perd pas une miette ! - © Photo Nicolas Guérin
Christophe n’en perd pas une miette !
© Photo Nicolas Guérin

Vous avez dû préparer énormément car Mathieu est dans presque tous les plans…

CB : En travaillant avec lui sur Le Stade de Wimbledon, je me suis rendu compte qu’on avait le même sens photographique. Quand on tournait dans des lieux pas terribles, comme le couloir de l’hôtel Mercure, on se disait qu’au lieu de rajouter de la lumière pour essayer de rendre ça joli, il valait mieux oublier et procéder autrement… J’ai profité de la minuterie, j’avais juste un Kino en réflexion sur le sol et j’ai placé les comédiens de telle manière qu’ils soient éclairés par la lumière du couloir. Quand la lumière s’éteint, on rentre dans leur intimité et du coup ça raconte un truc… Tout est un peu comme ça, quand on voit un endroit qui est mieux qu’un autre qu’on avait choisi au préalable, on peut changer au dernier moment pour celui qui nous paraît mieux.
Le plus important pour lui, c’était de rester dans son point de vue. Pour les shows, on est toujours trois-quarts dos avec lui dans l’image, on joue sur la profondeur de champ, avec le point sur lui, on le suit dans ses déplacements. Une 2e caméra filmait tout de face, mais il l’a peu utilisée au montage ; parfois des plans très larges pour voir le théâtre.

Christophe propose un cadre - © Photo Nicolas Guérin
Christophe propose un cadre
© Photo Nicolas Guérin
Complicité avec Jean-Pierre Lacroix - © Photo Nicolas Guérin
Complicité avec Jean-Pierre Lacroix
© Photo Nicolas Guérin

L’image est vraiment brillante et contraste mais pas dure, tu as la recette ?

CB : En fait, avec cette 500 ISO et les Masterprime, même à 1,3, on a les bons ingrédients ! Je crois surtout que le fait de tout faire en traditionnel, sans scan ni shoot, on gagne vraiment en brillance.
Faire un film comme, ça nous ramène à l’époque où l’on devait gérer les choses sur le plateau. Par exemple, en intérieur avec une lumière fin de jour qui rentre par les fenêtres à 5 500 K, une lampe allumée et un abat-jour à 2 600, tu mets une ampoule bleue, tu la " dimes " et tu es à 3 500… Je fais ça quand je suis en film. En numérique, je m’en fiche, je sais que je descendrai juste les rouges à l’étalonnage.
Pour Tournée, les étalonneurs m’ont dit qu’ils n’avaient rien eu à faire ! J’ai fait très attention aux couleurs, surtout pour les peaux. Je cherchais toujours à être à 0 avec un thermocolorimètre souvent sorti. Ça donne envie de faire des films en argentique pur. De plus, les pellicules ont beaucoup évolué et ça c’est génial !

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)

Equipe image
1er assistant opérateur : Luc Pallet
Chef électricien : Jean-Pierre Lacroix
Chef machiniste : Julien Covens

Capture de l'écran HD de l'étalonneur
Capture de l’écran HD de l’étalonneur
Capture de l'écran HD de l'étalonneur
Capture de l’écran HD de l’étalonneur
Capture de l'écran HD de l'étalonneur
Capture de l’écran HD de l’étalonneur


Autour de notre conversation, Christophe parle de ses dernières expériences

Christophe m’explique que sur le film de Cédric Klapish sur lequel il travaille en ce moment, il expérimente l’appareil photo Canon (1D) qu’il mélange au 35mm. Il a tourné la scène finale en n’éclairant pratiquement pas et le résultat est que l’on voit la digue de Dunkerque jusqu’à la Belgique (extra, pour un belge !) et qu’on peut aller jusqu’à 1500 ASA sans avoir de grain. Il a fait adapter les Masterprime pour les mettre sur le Canon. Il souligne que ce n’est intéressant que pour certaines images et démontre, par un geste, que la dynamique n’est pas terrible : coude sur la table, bras vertical, poignet cassé et main à l’horizontale. Le pied de courbe, c’est le coude posé et le haut de la courbe c’est la main, à plat.

« Il y a un côté très pratique avec le Canon, mais il faut toujours diffuser les sources sinon on les sent. Même si on a seulement une attaque de lumière naturelle, ça fait presque comme si c’était une sitcom ! au Lustre on casse ça mais bon… ».
Les électros travaillent beaucoup, il leur fait sortir des grandes diffusions qu’ils installent à 4/5 m de hauteur devant chaque réverbère…
« Le film absorbe la lumière alors que l’appareil photo voit tout. Pour gommer les rides, c’est compliqué car dès que tu surexposes c’est moche. Le support doit servir le lieu et la scène. »

Nous terminons l’entretien en admettant que l’idéal serait d’avoir des appareils de différents supports dans le camion !