Jean Kalman et Dominique Bruguière, créateurs de lumières

La Lettre AFC n°126

  • Jean Kalman
    Jean Kalman a créé les lumières du Salomé de Richard Stauss, mis en scène par Lev Dovin, actuellement à l’Opéra-Bastille. Il a " accompagné " Peter Brook, Hans Peter Cloos, Pierre Audi, Robert Carsen, Peter Stein... De son métier, il dit : « De l’art ? Nous faisons des métiers d’artisanat. L’art est ailleurs. Nous sommes au service de textes, d’œuvres. Se hisser au niveau de ce que ceux-ci disent est déjà beaucoup. » Comment définir ce métier ? « On devrait dire éclairagiste, mais cela fait un peu " lampiste ". Alors, en France, on écrit simplement, au crédit des spectacles : " Lumières ". En anglais, c’est plus chic : " Lightening Designer "... »
    Pas de lumière sans espace créé par un scénographe ou un décorateur : « Je ne pense pas que les lumières soient une fin en soi. Elles sont au service d’un contenu. Mais j’aime travailler avec le plasticien Christian Boltanski. » Découpe-t-il avec précision cet espace ? « J’ai l’impression que je fais tout l’inverse. Souvent je laisse aller, plus que je ne dirige, le trait lumineux comme un coup de brosse large sur la toile. Je laisse faire le hasard, l’accident, et j’utilise parfois des techniques " défendues " ou peu orthodoxes. » Le hasard peut transfigurer la lumière elle-même, comme lors du fameux Mahabharata de Peter Brook présenté au festival d’Avignon en 1985 : « Nous avions certes répété les lumières en pleine nuit, dans les décors naturels de la carrière Callet, à Boulbon. Mais la surprise a été totale lorsque l’aube s’est levée à l’issue de la première représentation du Mahabarata. L’insolente beauté naturelle de l’aurore a été une gifle. »
  • Dominique Bruguière
    Si pour Jean Kalman la lumière n’existe que par les espaces (et les corps) sur lesquels elle s’accroche, Dominique Bruguière, elle, la définit ainsi : « C’est un volume. La matière lumineuse est volume. Une architecture et du temps. La lumière est histoire de temps. » Répétant ces jours-ci Variations sur la mort mise en scène par Claude Régy, elle a travaillé avec Antoine Vitez, Patrice Chéreau, Jérôme Deschamps, Luc Bondy... « Mes maîtres, Vitez ou Régy, ne m’ont pas seulement introduit à l’art théâtral, ils m’ont appris une éthique. La conviction que ce que nous faisons est absolument vital. Vitez disait qu’un acteur n’entre pas sur le plateau sans un couperet au-dessus de la tête. Une question de vie ou de mort. »
    Pour les spectacles de Claude Régy, contre-jours, éclairages contrastés et pénombres : « Quand on va vers l’ombre, on peut aller immensément loin, plus peut-être que lorsqu’on va vers la lumière. Plus on approche l’ombre, plus on a de choses en main. On va vers l’infini. » Avec la complicité du scénographe Daniel Jeanneteau : « Daniel le dit lui-même : les dispositifs qu’il crée n’existent que par la lumière. En lumière de service ça ne ressemble à rien. »
    Choisir de créer les lumières, c’est, pour Dominique Bruguière, choisir de se mettre elle-même dans l’ombre : « On ne peut retrancher cette dimension de mon travail. Au demeurant, je suis très abstraite. Je ne suis pas dans la psychologie, ni même dans la dramaturgie, mais dans la volume et le temps. »
    (Le Monde, 1er et 7 octobre 2003)