Jon Kilik, producteur du film "Le Scaphandre et le papillon", de Julian Schnabel, parle du projet et de sa philosophie en tant que producteur

Propos recueillis par Margot Cavret pour l’AFC

Mis à l’honneur à Camerimage cette année par la récompense "Pour un producteur doté d’une sensibilité visuelle remarquable" ("Award for a Producer With Unique Visual Sensitivity"), Jon Kilik a participé à une séance de Q&R après la projection du film Le Scaphandre et le papillon, de Julian Schnabel, photographié par Janusz Kamiński. L’occasion pour lui de revenir sur le processus créatif de ce film émouvant, ainsi que sur l’ensemble de sa carrière, et sur sa philosophie en tant que producteur. (MC)

Jon Kilik : « Julian Schnabel est peintre, et pour tous ses films, comme pour tous ses tableaux, ça commence par une sorte de chasse au trésor, à la recherche d’objets, de petites pièces à collecter et assembler. Le livre de Jean-Dominique Bauby nous est apparu, et à partir de là, nous avons commencé à accumuler les idées. La première pièce, ça a été l’image inversée du glacier qui s’effondre, qui raconte de manière imagée le souvenir de la liberté, du voyage. Nous avons ajouté à notre collection une photo de Marlon Brando, des films français des années 1960, des éléments de décor qu’on trouvait en plus de notre travail de préparation. L’idée du point de vue subjectif est arrivée très tôt, avant même le casting ou le financement. Pour nous, c’était le moyen le plus honnête de raconter cette histoire. C’était une prise de risque, et il a fallu convaincre les financeurs de nous faire confiance, de sortir de leur zone de confort. Il faut trouver une façon d’expliquer quelque chose qui n’a pas encore été fait, qu’on ne peut pas encore montrer. Ils doivent nous faire confiance, en nos goûts, nos choix, nos passés, pour investir dans le futur. On a essayé de tourner le film aux États-Unis, mais nous n’avons pas réussi, et le producteur français Pathé a accepté de nous produire en France. Finalement, ça a été bénéfique pour le film, car nous avons pu tourner dans l’hôpital qui avait réellement accueilli Jean-Dominique Bauby, et avons été entourés par ceux qui l’avaient connu. Ce tournage est un merveilleux souvenir de collaboration avec le casting et l’équipe. C’était comme une famille. Nous avions conscience de l’importance du film que nous étions en train de tourner, et tout le monde était très investi de la responsabilité de rendre hommage à cette histoire et au courage du personnage.


« Il y a eu une très belle collaboration entre le cadreur français Berto et le directeur de la photographie Janusz Kamiński. C’est un film qui avait besoin de beaucoup de spontanéité, d’improvisation, de réponse instinctive aux choses. On n’aurait pas pu le faire avec un story-board ! Le film se réécrivait au fur et à mesure, et Julian est très fort pour s’adapter perpétuellement. Ça peut sembler effrayant pour un producteur, mais je lui faisais confiance, et je le soutenais complètement. Nous avions quelques idées auxquelles on avait réfléchi, les mouvements de flou, la paupière, mais le reste avait besoin d’espace et de liberté, d’être nourri par l’interprétation des acteurs, et le décor.


« J’ai l’impression que souvent c’est le projet qui me choisit, et non l’inverse. Je reçois un scénario, je le lis, et je sens que c’est quelque chose que je dois faire, que le film a besoin de moi. J’essaye de rester toujours ouvert et à la recherche de nouvelles voix. Je me demande ce qui peut être fait pour accompagner chaque histoire, quelque chose qui n’a peut-être jamais été fait avant, qui apporte quelque chose de spécial. Quelle que soit l’ampleur du projet, qu’il ait un budget de 8 millions ou de 100 millions, je m’en sens tout autant responsable. Je ne change pas ma philosophie par rapport à ça, je choisis n’importe quel film, si l’histoire est humaine et qu’elle me parle. Hunger Games, je l’ai choisi car il a une dimension intime, un rapport à la famille, se protéger les uns les autres, un questionnement sur l’environnement et la société. Il a finalement beaucoup de similitudes avec les autres films que j’ai produits.


« Hier, j’ai vu Inshallah a Boy, c’est un film magnifique. Je me souviendrais toujours de l’avoir vu, ici, et de ce que j’ai ressenti. Je n’étais pas simplement en train de regarder un film, j’étais dans le film. Je continue d’être inspiré par les jeunes réalisateurs, rien ne tue la voix de l’artiste, peu importe les technologies, les IA qui menacent de remplacer les acteurs, je continuerai d’encourager ceux dont les voix sont à entendre, les histoires à raconter. »

Propos retranscrits par Margot Cavret pour l’AFC.

(En vignette de cet article, Marek Żydowicz, directeur du festival, et Jon Kilik, trophée en main, lors de la cérémonie d’ouverture - Photo Katarzyna Średnicka)